Comment les pollutions au plomb éclairent une partie de l’histoire urbaine de Rome

Les sédiments vieux de plus de 2000 ans du bassin portuaire d'Ostie, le premier port antique de Rome, constituent de riches archives sédimentaires encore peu explorées. Leur étude montre que les canalisations en plomb du système hydraulique de la ville ont causé une forte source de contamination des eaux de ruissellement urbain. La lecture isotopique des traces de plomb révèle que la construction du réseau de canalisations en plomb dans la cité éternelle n’a été entreprise qu’aux alentours du IIe s. av. J.-C., témoignant ainsi d'un délai d'environ un siècle et demi entre la mise en place initiale du système d’aqueducs romain et celle d'un réseau de canalisations. L’arrivée tardive des excès de plomb anthropogéniques dans les sédiments montre sa capacité à capturer les principales étapes du développement urbain de Rome jusqu’à son apogée au début du Haut-Empire romain. Ces découvertes font l’objet d’une publication dans la revue PNAS le 28 août 2017 par le laboratoire Archéorient – environnements et sociétés de l'Orient ancien (UMR5133, CNRS / Université Lumière Lyon 2) 1  et le Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (UMR5276, CNRS / ENS de Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1), en collaboration avec des experts internationaux 2  .

  • 1Ce laboratoire fait partie de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, une fédération de recherche sur les sociétés anciennes.
  • 2L’équipe pluridisciplinaire et internationale implique le département d’archéologie de l’université de Southampton et le département de sciences humaines de l’université de Glasgow. Ces travaux ont bénéficié du soutien logistique de la Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Roma e Sede di Ostia et d’un soutien financier à travers le programme ANR Jeune Chercheur (ANR 2011 JSH3 00201) et le Conseil Européen de la Recherche (programme "Rome's Mediterranean Ports" – 339123).

En 2014, une campagne de carottages sur le delta du Tibre en Italie a permis de retrouver le premier port antique de Rome qui est aujourd’hui colmaté (figure 1). L’une de ces carottes sédimentaires, longue d’une douzaine de mètres (carotte PO2 sur la figure 1), a fait l’objet d’analyses géochimiques et plus précisément de la mesure des concentrations et des isotopes du plomb dans toutes les couches de sédiments qui se sont déposés dans l’ancien port au cours des siècles. Ces analyses ont montré que les excès de plomb d’origine anthropogénique contenus dans les sédiments portuaires sont issus principalement du système d’adduction d’eau de la ville. Ce plomb, principal composant des canalisations, se dissolvait au contact de l’eau et se répandait dans les différentes fontaines et points d’apport des cités, pour finalement rejoindre le Tibre après son transport par les égouts (figure 2), et se déversait en bout de cours dans les bassins portuaires situés à l’extrême aval.

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Figure 1. Photographie aérienne d’Ostia antica (cliché : S. Keay). Le carottage PO2 se situe dans une dépression naturelle qui correspond au site d’implantation de l’ancien bassin portuaire de Rome

 

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Figure 2. L'égout le plus célèbre de la Rome antique, le Cloaca Maxima, qui transportait les eaux de ruissellement urbain contaminées au plomb. Cet égout faisait la liaison entre le système urbain de canalisations plombées et le Tibre (cliché : Elisabetta Bianchi).

 

Les premières contaminations métalliques enregistrées dans les sédiments portuaires remontent au IIe s. av. J.-C. Elles témoignent de la mise en place du système de canalisations en plomb au sein du réseau urbain de distribution de l’eau environ un siècle et demi après l’introduction du système d’aqueducs de Rome. Le profil sédimentaire des paléo-pollutions au plomb enregistrées dans le port d’Ostie s’avère être un marqueur sensible de la croissance du système de distribution d'eau de Rome et, par conséquent, de la ville elle-même. En effet, une fois le réseau de canalisations en plomb installé, ce dernier connut une expansion initiale jusqu’à atteindre son extension maximale au début du Haut-Empire romain vers le Ier s. ap. J.-C. Au cours de cette période, le débit de l’écoulement dans la tuyauterie en plomb de la ville connut une contraction soudaine et significative puisque les entrées de plomb dans le Tibre chutèrent d’environ 50 %. Cette évolution trouve une explication dans la période agitée des guerres civiles qui empêcha la construction d’aqueduc et entrava la maintenance du réseau existant.

Une lecture plus générale de ces paléo-pollutions au plomb associant les sédiments du Portus, le port impérial maritime de Rome situé à trois kilomètres au nord de celui d’Ostie, suggère des niveaux de contamination relativement élevés jusqu’au milieu du IIIe s. ap. J.-C. Ces données corroborent les enseignements fournis par l’histoire et l’archéologie qui indiquent que le réseau d’adduction d’eau urbain de Rome et d’Ostie (aqueducs et canalisations en plomb) fut maintenu au moins jusqu’au Bas-Empire romain. La construction du Portus entre le Ier et le IIe s. ap. J.-C. s’est traduite à Ostie par une réduction temporaire des entrées de plomb anthropogénique dans la colonne d’eau portuaire. En effet, l’aménagement du complexe portuaire de Portus s’accompagna d’une diversion significative du débit du Tibre dans un canal artificiel situé à l’amont d’Ostie. Une telle configuration a eu pour conséquence de réduire mécaniquement le transport du plomb vers le port d’Ostie.

 

Référence :

Rome’s urban history inferred from Pb-contaminated waters trapped in its ancient harbor basins, Hugo Delile, Duncan Keenan-Jones, Janne Blichert-Toft, Jean-Philippe Goiran, Florent Arnaud-Godet, Francis Albarède. PNAS, 28 août 2017.

 

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