Une approche inédite fondée sur la datation par luminescence apporte un nouvel éclairage sur le site paléolithique de la Ferrassie

Coordonné par Guillaume Guérin (Institut de Recherche sur les Archéomatériaux, IRAMAT, UMR5060, CNRS / Université technique Belfort-Montbéliard / Université Bordeaux Montaigne / Université d'Orléans), un nouveau projet interdisciplinaire* a été lancé sur une partie du site paléolithique de La Ferrassie laissée intacte lors des fouilles antérieures. L'un des objectifs était de fournir des informations chronologiques pour la séquence des niveaux archéologiques et d'y replacer les squelettes mis au jour par Louis Capitan et Denis Peyrony au début des années 1900.

Le gisement paléolithique de La Ferrassie (Savignac-de-Miremont, Dordogne) est un site préhistorique majeur de France et d’Eurasie occidentale pour l’étude de l’histoire de l’Humanité et des premières manifestations de pensée symbolique. Si on se limite à sa séquence du Paléolithique moyen, c’est un site éponyme car il y fut découvert un assemblage lithique qui permit à François Bordes de définir le techno-complexe Moustérien de type Ferrassie. De plus, le site a livré les restes d’au moins sept individus néandertaliens (deux adultes, 4 enfants dont un nouveau-né, un fœtus) qui avaient été intentionnellement inhumés. La Ferrassie est ainsi le deuxième site au monde (après celui de Shanidar, Kurdistan irakien) quant à la quantité de squelettes néandertaliens mis au jour.

Le gisement ayant été fouillé au début du XXe siècle par Louis Capitan et Denis Peyrony, puis dans les années 1970 par Henri Delporte, de nouvelles recherches ont été conduites, depuis 2011, par une équipe internationale dirigée par Alain Turq (Musée National de Préhistoire / De la Préhistoire à l'Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie ), en collaboration avec Harold Dibble (université de Pennsylvanie), Shannon McPherron (Institut Max Planck, Leipzig) et Dennis Sandgathe (Université Simon Frazier, Vancouver). L’un des objectifs était de dater la séquence de niveaux archéologiques et d’y replacer les squelettes néandertaliens. Les premiers résultats, qui apportent aujourd’hui des informations chronologiques inédites pour ces restes humains, ont fait l’objet d’une publication dans le Journal of Archaeological Science.

Etant donné l’importance du site, une étude comparée impliquant des datations par radiocarbone et par luminescence a donc été menée. Une méthodologie innovante, tirant partie de l’étude de plusieurs signaux de luminescence (la lumière émise par des grains de sédiment sous l’effet d’une stimulation optique – OSL pour Optically Stimulated Luminescence – ou infra-rouge – IRSL – permet de dater les niveaux archéologiques dont ils sont issus) a été mise en œuvre afin d’affiner l’analyse des données. La convergence des résultats obtenus à partir de méthodes indépendantes permet de considérer les datations obtenues avec un grand degré de confiance.

Le squelette de l’individu n°2 (une femme adulte), découvert le 17 septembre 1909 et conservé au Musée de l’Homme, a pu être associé avec le niveau archéologique 5 correspondant à une occupation moustérienne de type Ferrassie. Ce niveau, daté entre 54 ± 4 et 40 ± 2 ka, est donc attribué au stade 3 de la chronologie isotopique marine (la période relativement tempérée de la fin du Paléolithique moyen, ayant vu les Néanderthaliens disparaître) et est ainsi beaucoup plus récent que ce que nous supposions avant la reprise des fouilles.

 

Par ailleurs, les résultats obtenus apportent un éclairage nouveau sur la chronologie des industries lithiques des Néandertaliens :

1) Les outils bifaciaux retrouvés à la base de la séquence sont datés des stades isotopiques  4 et 5 — fait très rare pour des sites en grotte de la région — ce qui suggère la présence de bifaces durant tout le Paléolithique moyen.

2) Le Moustérien de type Ferrassie est généralement chronologiquement associé, dans les modèles de succession des techno-complexes du Paléolithique moyen, au stade isotopique 5 et précède ainsi le Moustérien de type Quina. Or, ici, il est daté du stade isotopique 3 et est donc indubitablement postérieur à certaines occurrences de Moustérien de type Quina dans la région : en d’autres termes, la succession chronologique des différentes cultures matérielles du Paléolithique moyen doit être revue.

3) Ces résultats apportent ainsi de nouveaux éléments au débat entre François  Bordes et Lewis Binford (le premier expliquant la variabilité du Moustérien principalement par les aspects culturels, tandis que le second voyait plutôt un déterminisme climatique et environnemental) et semblent réfuter l’hypothèse d’une stricte succession des techno-complexes Moustériens telle qu’elle a été formulée, par exemple, par Paul Mellars.

Cette étude montre aussi qu’il est indispensable de multiplier les études chronologiques des sites moustériens replacés dans leur contexte géomorphologique et paléoenvironnemental. Il faut également revoir la définition des industries lithiques pour cette période, dans le sud-ouest de la France, et particulièrement ceux antérieurs au Moustérien de type Quina.

 

 

* Outre l'IRAMAT, le projet associe différentes équipes rattachées au CNRS parmi lesquelles : PACEA (De la Préhistoire à l'Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie, UMR5199, CNRS / Université de Bordeaux / Ministère de la culture et de la communication) ; TRACES (Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés, UMR5608, CNRS / Université Toulouse Jean Jaurès / Ministère de la culture et de la communication) ; HNHP (Histoire naturelle de l'Homme préhistorique, UMR7194 , CNRS / Museum National d'Histoire Naturelle / Université de Perpignan De la Préhistoire à l'Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA, UMR5199, CNRS / Université de Bordeaux / Ministère de la culture et de la communication)

 

 

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Référence :

Guérin, G., Frouin, M., Talamo, S., Aldeias, V., Bruxelles, L., Chiotti, L., Dibble, H. L., Goldberg, P., Hublin, J.-J., Jain, M., Lahaye, C., Madelaine, S., Maureille, B, McPherron, S. P., Mercier, N., Murray, A. S., Sandgathe, D., Steele, T. E., Thomsen, K. J., Turq, A. A Multi-method Luminescence Dating of the Palaeolithic Sequence of La Ferrassie Based on New Excavations Adjacent to the La Ferrassie 1 and 2 Skeletons, Journal of Archaeological Science, 2015, Elsevier.

 

 

 

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