Romantisme. Littérature - arts - sciences - histoire

Le Merveilleux, , n°170 2015/4

Sous la direction d’Alain Vaillant

Revue trimestrielle fondée en 1971 par la société des études romantiques et dix-neuviémistes, Romantisme publie des dossiers et des articles centré sur le XIXe siècle et ouvrant sur des perspectives trans-séculaire et transdisciplinaire. Littérature, arts, sciences, histoire trouvent leur place dans la revue qui explore les voies nouvelles qu'offre l'interdisciplinarité. Concernant l'ensemble de l'Europe et lues dans le monde entier, les contributions de chercheurs français et étrangers participent à la connaissance des différents courants littéraires, artistiques, scientifiques, historiques, politiques.

Dans l’introduction du dossier, Alain Vaillant explique que, depuis toujours, le XIXe siècle français a eu un problème avec le merveilleux. D’abord, les écrivains eux-mêmes, mal à l’aise avec cette infraction avouée au rationalisme et au réalisme ; ensuite, leurs commentateurs qui devaient penser que toutes ces histoires à dormir debout n’étaient pas vraiment dignes d’attention. Bien sûr, on trouve des traces du merveilleux au XIXe siècle. Même beaucoup de traces ; mais seulement des traces. Rien de comparable avec l’ambiance féerique qui enveloppe la culture de l’Angleterre victorienne, avec la fantaisie joyeusement malicieuse des contes allemands (de Novalis, Tieck, Hoffmann), avec l'œuvre prodigieuse du Danois Andersen. C’est à cette présence-absence du merveilleux qu’est consacré ce numéro de Romantisme, au premier balisage du vaste chantier ouvert par la recherche des visages, nombreux et métamorphiques, du merveilleux. Chacun de ses auteurs a accepté sans restriction de jouer le jeu qui est celui de Romantisme, renonçant à l’approche monographique pour proposer, chacun dans son périmètre de spécialité, une vraie synthèse qui permette réellement de mettre en perspective l’ensemble des problèmes que pose le merveilleux moderne.

L’article d’Anne Chassagnol montre la persistance d’une culture féerique héritée des Victoriens qui fait du merveilleux anglais un culte aujourd’hui unique au monde. Ce merveilleux anglais connaît un âge d’or au XIXe siècle, les contes de fées investissant des domaines qui ne sont pas exclusivement réservés à la jeunesse, tels que la peinture figurative ou les arts vivants comme l’opéra ou le ballet. Les Anglais, en proie à la nostalgie d’un monde rural menacé de disparition, aiment croire aux fées au point d’en faire une religion de substitution dans un monde ébranlé par l’argument darwinien. 

Isabelle Saint-Martin évoque, elle, le « merveilleux chrétien » d’un XIXe siècle catholique qui fut bien de diverses manières « un monde enchanté » où les signes du ciel sur la terre manifestent la proximité avec le monde céleste. Elle décrit la persistance et même la résurgence des formes de piété liées aux miracles ou aux apparitions. D’une façon plus générale, elle peint la vitalité d’une dévotion populaire qui s’enracine dans les traditions médiévales tout en s’inscrivant dans la modernité de l’âge industriel tirant parti des chemins de fer comme de l’édition de masse pour forger un univers visuel associé aux dévotions nouvelles. 

Pour Christian Chelebourg, le bilan est mitigé, pour un XIXe siècle français qui, malgré sa fascination pour le merveilleux, ne parvient finalement qu’à le dérouter vers la culture enfantine ou à le cantonner dans des pratiques spectaculaires qui en affaiblissent la portée jusqu’à le dénaturer. L’attitude de Mme de Staël témoigne d’une évolution durable à l’égard du merveilleux en France : le besoin de vérités hérité des Lumières empêche désormais toute hypotypose de l’irréel. D’accord avec Walter Scott qui redoute une mise à nu des artifices de l’écriture, Nodier prône un merveilleux rationalisé : ce sera le fantastique. 
Reste donc à se tourner vers la littérature réaliste. Corinne Saminadayar, passant en revue les grands romanciers du siècle (Balzac, Flaubert, Zola), montre que le merveilleux est à la fois un objet qu’ils interrogent (dans ses formes traditionnelles ou dans ses variantes modernes) et un motif qu’eux-mêmes, dans leur écriture, réinvestissent et réactivent. D’où la fabrique d’une forme hybride et inédite de merveilleux, qui vient travailler plus ou moins explicitement les formes et les motifs du romanesque réaliste, et interroge indirectement les pouvoirs (cognitifs et imaginaires) propres à la fiction.

Selon les analyses de Paule Petitier, l’histoire, au XIXe siècle, aborde le merveilleux des traditions anciennes et des chroniques avec le scepticisme devant le surnaturel que lui impose le statut scientifique auquel elle aspire. Les historiens, tout en tenant à distance les enjolivements des fables, en viennent à reporter sur l’histoire même, la dimension du merveilleux. Très sensible dans l’engouement pour une discipline qui fait ressurgir, à la manière d’une évocation magique, le passé, l’aura merveilleuse de l’histoire n’est pas sans poser, aux yeux d’un Quinet et d’un Michelet, le problème de la fonction idéologique de leur science.

C’est naturellement dans l’univers de la scène que le merveilleux féerique trouve son meilleur épanouissement, comme le démontre Hélène Laplace-Claverie. L’opéra cultivant de plus en plus le réalisme, le ballet reste le refuge privilégié du surnaturel, tandis qu’apparaît un genre nouveau, la féerie, véritable équivalent scénique du conte de fées. Parallèlement le merveilleux délaisse les facilités de l’enchantement visuel au profit de la magie verbale. Une féerie de nature poétique se développe, de Gautier à Maeterlinck, perçue par nombre d’écrivains et de théoriciens comme le refuge du vrai théâtre, loin des compromissions du vaudeville et de ses avatars.

Enfin l’article de Sylvain Frezzato s’intéresse à la relation que le premier cinéma entretient avec le merveilleux fin de siècle, c’est-à-dire à un exercice de dévoiement des codes du merveilleux traditionnel. La modernité s’introduit dans le conte de fées pour créer un merveilleux à destination des adultes où la dépravation l’emporte sur l’innocence. Les réalisateurs exacerbent l’intérêt porté à l’accessoire et le merveilleux scientifique rationalise l’extraordinaire. Les moyens fournis par la caméra constituent une nouveauté : qu’il soit question de l’annihiler ou non, le merveilleux se réinvente par l’image, prend un nouvel essor grâce au cinéma.

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