20 & 21. Revue d’histoire

« Combattants irréguliers », n°141 janvier-mars 2019

Sous la direction de Raphaëlle Branche et Julie Le Gac

20 & 21, Revue d’histoire, comme son titre l’indique, privilégie l’histoire contemporaine, de l’affaire Dreyfus à nos jours, et fait jouer le rapport entre le présent et le passé. S’appuyant sur un réseau d’auteurs principalement universitaires, elle entend diffuser les résultats de la recherche française et étrangère auprès des chercheurs, des enseignants, des étudiants comme du grand public averti. Des articles variés et des rubriques sur l’actualité de la discipline (présentations de fonds d’archives, comptes rendus de colloques, recensions de livres récemment parus) offrent au lecteur une approche historique rigoureuse de sujets divers, sans exclusivité aucune. Numéros spéciaux et dossiers thématiques enrichissent régulièrement la revue, permettant ainsi d’approfondir un sujet.

Figures héroïques d’individus dressés contre l’oppression ou incarnations d’une menace terroriste diffuse pesant sur les sociétés civiles, les combattants irréguliers marquent profondément l’histoire des XXe et XXIe siècles. Si Raymond Aubrac et Bob Denard sont des visages bien connus des lecteurs français, les combattants irréguliers sont la plupart du temps anonymes, comme le veulent les impératifs de la clandestinité. Depuis le tournant des XIXe et XXe siècles, alors que les pratiques combattantes se transforment et que se multiplient écrits sur la guerre irrégulière et règles de droit international, ils sont avant tout définis comme le double négatif du soldat. Pour autant, la distinction entre réguliers et irréguliers n'est ni stable ni évidente.

Plutôt que d’endosser les principes et distinctions posés par le droit, et refusant de les réduire à des enjeux tactiques ou stratégiques, ce numéro étudie ces hommes simplement comme des combattants. Est privilégiée ici une approche par en bas, marquée par l’histoire des mouvements sociaux et l’anthropologie historique. Les pratiques de recrutement, l’exercice de l’autorité, les rapports de genre ou encore la relation que ces combattants entretiennent à ceux qu’on dit « réguliers » apparaissent dès lors comme des indicateurs des guerres et des violences spécifiques qui s’y déploient. Leurs rapports aux civils constituent par ailleurs un enjeu fondamental auquel ce numéro consacre toute son attention.

Parce qu’ils sont devenus la réalité dominante des conflits contemporains, il importe de comprendre leur histoire.

L’article de Michael P. M. Finch traite de la piraterie à la fin du XIXe siècle dans le territoire indochinois du Tonkin vue par l’autorité militaire française. L’auteur réfléchit à l’évolution et à la persistance du brigandage avant et après l’arrivée des Français et analyse la composition, les activités et les modes d’action des groupes de pirates, avant d’évaluer le rôle de la confrontation et de la négociation dans la disparition de cette forme d’opposition au régime français. Il montre que qualifier ceux qui s’opposent à la conquête coloniale de « pirates » permet aux autorités françaises de nier la dimension nationaliste de leur résistance.

Jan-Philip Pomplun s’intéresse à l’histoire de la violence paramilitaire après la Première Guerre mondiale en Allemagne et dans les pays baltes. Il étudie l’émergence des corps francs, leurs opérations dans la révolution de 1918-1919, leur quotidien et le comportement violent de ses membres. L’approche quantitative apporte des informations nouvelles sur la structure sociale de trois corps francs allemands. L’idée de la prépondérance des étudiants au sein de ces corps francs est contestée et le poids des classes populaires et des déclassés est souligné.

Les atamans sont des dirigeants militaires dont le nombre a cru en Ukraine au cours de la guerre civile qui a fait suite à la révolution de 1917. À la tête de troupes insurgées paysannes, ils ont profondément affaibli tout pouvoir d’État. Thomas Chopard étudie les modalités de leurs actions dans cette guerre irrégulière incessante et la portée politique de leurs combats. Si l’anticommunisme et la réaction constituent de fréquents mobiles, le caractère systématiquement antisémite de leurs actions participe aussi de leur politique.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les forces irrégulières des communautés juives de Palestine, notamment la Haganah, collaborèrent avec les forces impériales britanniques et participèrent à l’effort de guerre, avant de se retourner, une fois la guerre terminée, contre la puissance coloniale. Jacob Stoil revient sur la constitution de ces forces irrégulières et passe en revue les motifs qui les poussèrent à l’engagement et à la coopération, tant au niveau collectif qu’au niveau individuel. L’engagement dans les troupes irrégulières, notamment parmi les jeunes générations, était perçu comme un rite d’initiation ou une épreuve de virilité.

Raphaële Balu s’interroge sur la construction progressive de l’identité combattante des maquisards français. Grâce à une étude fine de leur composition (réfractaires au STO, mais aussi femmes ou soldats coloniaux) et des défis militaires et politiques posés par leur existence à la France libre et aux alliés états-unien et britannique, elle en éclaire l’évolution de 1943 aux lendemains de la Libération. Combattants irréguliers aux yeux du régime de Vichy et de l’occupant, ils appartenaient pour la France libre à l’armée de la nation ; ils ont néanmoins toujours été considérés comme des adjuvants au combat principal, des acteurs « paramilitaires ».

Victor Louzon analyse le legs paramilitaire de l’Empire japonais en Asie orientale après 1945 (Taiwan, Corée, Mandchourie). La guerre froide a contribué à occulter le fait qu’en Extrême-Orient la sortie de guerre s’étend sur de nombreuses années après la capitulation japonaise. Dans les anciennes colonies japonaises, les combattants et les groupes paramilitaires issus de la mobilisation pendant la guerre sont souvent remobilisés dans des formations irrégulières. Les trois cas examinés ici montrent que, dans le contexte d’États faibles ou divisés, ils jouent un rôle crucial au cours des années 1945-1950, avant d’être progressivement intégrés dans des formations régulières.

Comment un mouvement faiblement armé a-t-il pu résister à l’armée française pendant plus de sept ans ? Pour répondre à cette question, Raphaëlle Branche mène une étude au plus près des combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) afin d’avoir une vision fine de ce que furent les maquis algériens. Si les combattants indépendantistes se présentent comme des libérateurs, la nouvelle armée d’un peuple souverain, l’étude des liens qui les rattachent aux civils montre qu’ils doivent d’abord être des hommes d’honneur, fidèles aux valeurs de la société rurale à laquelle ils appartiennent. La figure du paysan en armes reste ici très prégnante.

La guerre du Mozambique entre 1976 et 1992 met aux prises le Front de libération du Mozambique (Frelimo) — au pouvoir sous la forme d’un régime « marxiste-léniniste » — et la Résistance nationale du Mozambique (Renamo), qui mène une guérilla de droite avec le soutien extérieur de la Rhodésie puis de l’Afrique du Sud. Michel Cahen explore les caractéristiques de cette guérilla qui trouva pendant de longues années le soutien d’une partie de la paysannerie du pays. Il se penche sur les modalités d’entrée dans la guérilla, étudie les relations complexes nourries avec la population civile, notamment les femmes, et scrute les constructions identitaires qui en découlèrent, tant pour les individus que pour les groupes.

Pour Jean-Pierre Bat, entre la décolonisation de l’Afrique subsaharienne et la fin de la guerre froide, un mercenariat particulier, « à la française », s’est développé et a pleinement pris part aux processus de violences postcoloniales du continent africain. Le modèle s’est construit au fil des décennies, d’abord dans la guerre civile du Congo puis avec la création des gardes présidentielles sur le modèle de celle fondée au Gabon après le coup d’État de 1964. Les « soldats perdus » des guerres coloniales ont laissé place à une nouvelle génération, celle de la compagnie de Bob Denard, dont l’épopée s’achève avec la fin de la guerre froide.

Camille Boutron interroge les apports des femmes à la lutte armée menée par le Parti communiste péruvien Sentier lumineux. En intégrant l’émancipation féminine au sein de son projet révolutionnaire, le parti maoïste a su constituer une importante militance féminine. On observe cependant des contradictions entre la remise en question des rôles traditionnels de genre dans la société péruvienne et l’expérience concrète de la lutte armée. Les militantes sendéristes se voient en effet avant tout mobilisées dans des activités de propagande, de logistique, de soin médical ou encore dans des tâches reproductives et sexuelles, limitant ainsi les gains suscités par la lutte armée.

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