Les contrôles réduisent-ils l'honnêteté intrinsèque ?

Résultats scientifiques Economie/gestion

Dans un article paru récemment dans The Economic Journal, des chercheurs du Groupe d'Analyse et de Théorie Économique Lyon-Saint Etienne (Gate, UMR5824, CNRS / Université Lumière Lyon 2 / Université Jean Monnet Saint-Etienne / ENS de Lyon) et de l’Université de Venise ont analysé le comportement des usagers des transports en commun lorsqu’ils sont confrontés à des situations de contrôles ou de sanctions et ont mesuré l'honnêteté intrinsèque de ces mêmes personnes dans un contexte différent et indépendant du premier.

Les mesures de contrôle et de sanction sont largement utilisées dans les sociétés modernes pour décourager la violation des règlements. On en mesure généralement l'efficacité en testant si leur mise en œuvre conduit à une réduction des comportements illicites ou réprouvés que ces règlements visent à éliminer. Toutefois, on néglige généralement d'estimer si ces institutions ont également un impact au-delà de leur champ d'application immédiat. Or, si cet impact existe mais est ignoré, l'évaluation de l'efficacité des mesures est probablement biaisée. Ces effets de diffusion inter-contextes, c'est-à-dire au-delà du domaine visé initialement par l'institution de dissuasion, peuvent être positifs ou négatifs. Ils sont positifs si la sanction d'un comportement illicite ou inapproprié dans un domaine a un effet éducatif qui se propage sur le comportement dans un domaine différent et indépendant du premier. Ils sont négatifs si la sanction conduit, au contraire, à encourager des violations des règles dans un autre domaine. Mesurer la présence de ces effets de diffusion sur le comportement des personnes directement sanctionnées à la suite d'une violation des règles n'est toutefois pas suffisant. En effet, rien n'empêche de penser que ces effets, éducatifs ou renforçants, peuvent aussi affecter les témoins de ces sanctions.

Pour mesurer ces effets, Fabio Galeotti et Marie Claire Villeval, chercheurs CNRS au Gate, et Valeria Maggian, professeur à l’Université de Venise, ont conduit une étude de terrain utilisant une variation naturelle des inspections et des sanctions dans les transports en commun. Dans une première étape, les chercheurs voyageaient à bord de bus ou de trams et, par simple observation, identifiaient des passagers fraudeurs et non-fraudeurs, c'est-à-dire validant ou pas un titre de transport. Lors de leur trajet, ces passagers ont été exposés, ou pas, à des inspections de billets par la compagnie de transport, selon une occurrence naturelle. Dans une seconde étape, après leur sortie du véhicule, ces passagers ont été exposés à une situation expérimentale dans laquelle un acteur interpelait le passager dans la rue en lui demandant si un billet prétendument ramassé sur le trottoir lui appartenait. Cette simple manipulation offrait une mesure de l'honnêteté intrinsèque de ces mêmes personnes, selon qu'ils prenaient le billet ou pas, dans un nouveau contexte indépendant des transports et du contrôle.

Loin d'avoir un effet éducatif dans le nouveau contexte, l'exposition préalable au contrôle dans les transports a augmenté la propension des fraudeurs à prendre le billet qui ne leur appartenait pas. Mais de façon beaucoup plus surprenante, les passagers qui avaient validé un titre de transport et voyageaient donc en toute conformité au règlement, ont présenté le même comportement. Ceci exclut que l'effet de diffusion des mesures de contrôle et de sanction dans le nouveau contexte résulte d'une volonté de recouvrer le coût de l'amende puisque ces passagers n'ont, bien entendu, pas été verbalisés. L'effet mesuré était d'autant plus fort que la taille de l'équipe de contrôle était importante.

Cette étude montre les effets induits possibles du contrôle et de la sanction sur l'honnêteté intrinsèque des individus. Le mécanisme sous-jacent semble être lié à l'effet informationnel qu'un contrôle exerce sur les individus sur la norme sociale en vigueur. De nombreux contrôles ou des contrôles plus intensifs suggèrent que la fraude est fréquente et que, d'une certaine manière, la norme sociale est relativement peu regardante vis-à-vis de la moralité. Ces conclusions ne visent pas à remettre en question la nécessité certaine des mesures de dissuasion. Mais d'une part, elles montrent l'importance de la prise en compte des effets induits inter-contextes lorsqu'on évalue l'efficacité de ces mesures. D'autre part, elles suggèrent de recourir à des méthodes de contrôle qui rendent plus discrètes les violations afin de limiter leurs effets délétères sur les normes sociales prévalentes dans le domaine éthique.

Référence

Galeotti F., Maggian V.,  Villeval M-C. 2021, Fraud Deterrence Institutions Reduce Intrinsic Honesty, The Economic Journal.

Contact

Marie-Claire Villeval
Directrice de recherche CNRS, Groupe d'Analyse et de théorie économique