Natures Sciences Sociétés

Les enjeux de la conférence de Paris. Penser autrement la question climatique, Supplément 2015/Supp. 3 

Sous la direction de Catherine Aubertin, Michel Damian, Michel Magny, Claude Millier, Jacques Theys et Sébastien Treyer

La revue Natures Sciences Sociétés (NSS) a pour vocation d’accueillir tout texte original traitant des interactions entre les sociétés et leur environnement, thématique qui requiert une grande diversité de disciplines (sciences de la Terre, de la vie, de la nature, sciences humaines et sociales, sciences techniques…). Les connaissances scientifiques se développent aujourd’hui très rapidement. Leurs applications se multiplient, puisent de plus en plus dans les ressources naturelles, vont de plus en plus loin dans l’artificialisation de la nature, ce qui pose la question de la durabilité des sociétés. Comprendre les relations que les êtres vivants entretiennent avec leurs milieux, c’est tenter de répondre à ces interrogations, génératrices d’incertitudes et même d’inquiétudes. Qu’elle soit remise en cause ou pressée de clarifier les voies à prendre, la recherche est directement concernée, d’autant plus que ces évolutions ne peuvent être analysées sans un dépassement de la spécialisation disciplinaire. Cela suppose une réflexion épistémologique sur les disciplines elles-mêmes, ainsi que sur les modalités de leur articulation entre elles comme avec l’action individuelle, collective ou publique. 

Que la conférence de Paris — à laquelle ce numéro de NSS est consacré — soit un succès ou un échec, l’année 2015 marquera une étape importante dans les politiques climatiques : la fin possible d’une certaine forme dépassée de négociation globale ou l’amorce d’une nouvelle dynamique. Mais 2015 n’est pas seulement le moment d’une conférence majeure. C’est aussi une date qui a une signification symbolique particulière, puisqu’elle se situe exactement à mi-chemin entre le moment où la question climatique a véritablement émergé dans le débat public — avec la première conférence mondiale de 1980 — et l’échéance de 2050, considérée communément comme l’horizon des efforts à réaliser en matière de réduction des gaz à effet de serre. C’est donc aussi un moment privilégié pour mesurer le chemin parcouru et l’ampleur de ce qu’il reste à faire. À une période où l’attentisme pouvait encore trouver une justification rationnelle succède désormais une autre où le temps va devenir un facteur déterminant. Les contributions de ce dossier sont centrées sur les négociations qui se dérouleront à Paris en décembre 2015 lors de la COP 21. Elles questionnent les représentations qui ont conduit au cadrage initial de la question climatique et invitent à décaler notre regard, à changer nos approches pour permettre d’explorer de nouveaux chemins face aux enjeux du changement climatique. Les auteurs font partie de cette communauté de chercheurs en sciences sociales qui s’engagent dans les débats sur le changement climatique et acceptent de ne pas s’en tenir qu’à une forme d’extériorité critique. Ils sont forces de réflexion pour apporter des éclairages à ces débats et de propositions pour imaginer un autre cadrage des enjeux, des problèmes et des solutions, une autre relation entre sciences et sociétés. Ils s’interrogent sur ce que le changement climatique, comme objet de négociation, dit de nos sociétés.

Le consensus scientifique ne suffit pas à engendrer des décisions politiques globales significatives. Alors que se discute la nécessité de changer de paradigme dans la négociation, l’article d’Amy Dahan et Hélène Guillemot s’interroge, à l’heure de la COP 21, sur l’évolution des relations entre science et politique dans le régime climatique, en revenant sur la vision du rôle de la science et en évoquant les critiques, propositions et perspectives qui se dessinent à propos des modèles d’expertise.

Puis Michel Damian, Mehdi Abbas et Pierre Berthaud font la synthèse des grandes orientations de l’accord climatique qui sera signé à Paris. L’Accord — promu par le G2 États-Unis/Chine — sera fondé sur les seules « politiques nationales » et tournera le dos à la première politique climatique, celle du protocole de Kyoto avec son architecture « par le haut » et son ambition d’un accord international contraignant. Il inaugurera une nouvelle gouvernance climatique, dans la continuité de la gouvernance centrée sur les États, mais cette fois à l’échelle globale.

Pour Sandrine Mathy, la réduction de la pauvreté est liée aux enjeux du changement climatique. Les différents fonds climat ont échoué à proposer des réponses concrètes pour lier une politique contribuant à des trajectoires bas carbone et sortie de la pauvreté. Le Fonds Vert Climat pourrait créer un financement pauvreté-adaptation-atténuation avec un mécanisme de soutien basé sur des indicateurs de satisfaction de besoins fondamentaux. Cela pourrait être un élément de réponse aux pays en développement qui font de l’élimination de la pauvreté leur priorité absolue.

L’article? de Christophe Cassen, Céline Guivarch et Franck Lecocq examine les enjeux sous-jacents à l’évaluation des cobénéfices des politiques climatiques et à la recherche de synergies entre la lutte contre le changement climatique et des objectifs de développement. La nécessité d’élargir le champ d’investigation de l’évaluation des cobénéfices aux politiques non climatiques constituent un des enjeux majeurs des approches intégrées climat-développement qui montent en puissance dans les négociations en cours.

Les notions de vulnérabilité, de résilience et d’adaptation aux changements climatiques sont devenues centrales et l’on étudie l’influence de leurs interprétations dans les prises de décision. Guillaume Simonet analyse les avancées conceptuelles de l’adaptation dans les cinq rapports du Groupe intergouvernemental des experts sur l’évolution du climat (GIEC) et confirme sa pertinence pour appréhender la complexité de la problématique climatique. La poursuite de cette réflexion sémantique contribue à la consolidation d’un champ de recherche prometteur et décloisonné.

Les résultats décevants du processus international de négociation sur les changements climatiques sont régulièrement interprétés comme la conséquence d’un découplage entre science et politique. Hervé Brédif, François Bertrand et Martine Tabeaud suggèrent que le problème procède plutôt d’une articulation insuffisante entre niveau global et niveau local-territorial d’expertise et de cadrage de l’action. Le problème climatique a une double nature et il faut appréhender ses données matérielles et objectives comme ses composantes culturelles, symboliques et subjectives.

Les politiques climatiques ont longtemps négligé la question des modes de vie, qui sont pourtant à la fois leur résultante et un levier d’action majeurs. Ghislain Dubois et Jean-Paul Ceron renouvellent le cadre d’analyse en les réintroduisant dans les inventaires. Cette approche par la consommation permet non seulement d’envisager des objectifs de négociations internationales basées sur une convergence des émissions par tête en matière de mode de vie, articulés avec des objectifs sectoriels, mais aussi de dessiner de futurs outils comme une TVA carbone.

Enfin, Moïse Tsayem Demaze, Roger Ngoufo et Paul Tchawa examinent les liens entre l’évolution de la REDD+ (réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) et les contraintes de sa mise en œuvre dans les pays en développement (Afrique centrale). La lecture des plans de préparation ne met pas en évidence un savoir-faire spécifique pour réduire ou éviter la déforestation. Le mode opératoire révèle des incohérences entre développement économique et protection des forêts, soulignant la nécessité de réformes foncières et de politiques d’aménagement.

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