Accès à la propriété des immigrés en France : où en est-on ?
Plusieurs études ont montré des différences importantes de taux de propriétaires entre natifs et immigrés qui perdurent au cours du temps, tant aux États-Unis qu’en France. Les facteurs avancés sont généralement les différences de ressources, ainsi que les problèmes d’accès des immigrés au crédit. Une équipe scientifique a montré l’importance des flux migratoires dans la détermination du taux de propriétaires des immigrés. Ces travaux ont donné lieu à une publication dans le Journal of Economic Geography.
Dans la littérature socio-économique, la propriété est souvent considérée comme un marqueur d’assimilation et un facteur de bien-être. Que ce soit aux États-Unis ou en France, le taux de propriétaires parmi les immigrés est plus faible que parmi les natifs, sans que cette différence se résorbe au cours du temps. Il est souvent avancé que cet écart trouve son origine dans les différences de dotations en capital humain1 et en richesse, et dans les problèmes d’accès des immigrés au crédit et au logement, liés notamment à des problèmes de discrimination.
Cette argumentation omet pourtant l’existence de flux migratoires des immigrés entrant et sortant du pays d’accueil au fil du temps. Ces immigrés ont des caractéristiques spécifiques et n’ont pas le même succès à valoriser leurs compétences, ce qui influence leur accès à propriété. Les recherches menées par Laurent Gobillon, directeur de recherche CNRS au sein de l’unité Paris-Jourdan Sciences Économiques2 et professeur à la Paris School of Economics, et Matthieu Solignac, maître de conférences à l’Université de Bordeaux et membre du Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (Comptrasec)3 , montrent la forte influence des flux migratoires sur le taux de propriétaires chez les immigrés.
Leur travail a été mené à partir des données françaises de l’Échantillon Démographique Permanent construit par l’Insee à partir des recensements successifs et des registres d’état civil. Cette base de données permet un suivi de tous les individus nés durant quatre jours d’octobre sur une période de vingt-cinq ans s’étalant entre 1975 et 1999. Elle contient notamment de l’information sur la nationalité et le pays de naissance qui permet d’identifier les immigrés, ainsi que sur le statut d’occupation du logement et les caractéristiques socio-démographiques des individus suivis.
L’étude montre que les entrées sur le territoire ont un impact négatif important sur l’évolution du taux de propriétaires chez les immigrés. En effet, bien que les immigrés entrants aient en moyenne un meilleur dipôme que les immigrés restants sur le territoire, ils sont aussi plus jeunes et ont encore peu de patrimoine. Ils ont, par ailleurs, moins de facilités à valoriser leurs compétences. Les immigrés quittant le territoire ont, quant à eux, un effet positif sur l’évolution du taux de propriétaires car ils ont une faible propension à être propriétaires avant leur départ. Cependant, cet effet ne représente environ qu’un cinquième de celui des immigrés entrants.
La valorisation des compétences chez les individus restant sur le territoire tend plutôt à se rapprocher de celle des natifs — notamment chez les immigrés originaires d’Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal),ce qui peut suggérer une amélioration de leur intégration. On n’observe pas une telle évolution chez les immigrés originaires d’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Maroc).
L’analyse montre enfin que les individus restants accédant à la propriété achètent des logements de moindre qualité que les natifs. On peut dès lors s’interroger sur les différences de niveaux de vie et de bien-être qui existent entre immigrés et natifs propriétaires.
- 1Le capital humain est l'ensemble des aptitudes, talents, qualifications, expériences accumulées par un individu et qui déterminent en partie sa capacité à travailler ou à produire pour lui-même ou pour les autres (Wikipedia).
- 2UMR8545, CNRS / EHESS / Inra / ENS / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / École des Ponts ParisTech.
- 3UMR5114, CNRS / Université de Bordeaux.
Référence
Gobillon L., Solignac M. 2019, “The homeownership of immigrants in France: Selection effects related to international migration flows”, Journal of Economic Geography.
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