L'émergence de la monnaie du point de vue des sciences cognitives

Economie/gestion

Une étude menée par des chercheurs du Laboratoire de Neurosciences Cognitives Computationnelles (LNC2, ENS / Inserm) et de l'Institut Jean Nicod (IJN, UMR8129, CNRS / ENS / EHESS) met en évidence les mécanismes cognitifs de base qui sous-tendent l'émergence de la monnaie. De simples mécanismes d'apprentissage par renforcement et de prise en compte anticipée de coûts d'opportunité sont suffisants pour la mise en place et la stabilisation des échanges monétaires. Elle étend également l'application des modèles d'apprentissage par renforcement à des environnements de décision économique plus complexes que ceux habituellement envisagés en neurosciences computationnelles. Cette étude constitue une avancée dans la compréhension des micro-fondations cognitives d'une institution macroéconomique complexe comme la monnaie. Elle pose les bases de futures explorations sur le thème de l'adéquation entre le cerveau humain et le fonctionnement des systèmes économiques. Elle a fait l’objet d’une publication dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

La monnaie est au centre de la vie économique. Elle est le lien particulier qui rattache l'individu au système économique dans son ensemble. Son efficacité tient au fait qu'elle réunit en un simple objet (pièce, billet, signaux électroniques, etc.) une série de propriétés remarquables : moyen d'échange, réserve de valeur, liquidité, fongibilité, unité de compte, facilité d'usage…

La manière dont la monnaie a émergé est une question centrale pour les économistes. Les auteurs de cet article se posent à leur tour la question suivante : quelles capacités de l'esprit humain sont nécessaires pour qu'un système d'échange monétaire se mette en place et se stabilise?

L'approche économique classique sur l'émergence de la monnaie présuppose une rationalité parfaite de la part des individus. Les auteurs montrent que des capacités très basiques de la cognition humaine suffisent au contraire à l'émergence de la monnaie, y compris dans ses usages complexes et sophistiqués comme la spéculation. Des modes d'apprentissage par renforcement prédisent mieux l'émergence de la monnaie que les modèles économiques basés sur des anticipations rationnelles. 

Il est donc frappant qu'un mécanisme économique aussi complexe que la monnaie ne requiert que peu de capacité cognitive humaine en vue de son fonctionnement. Mais, précisément, on peut penser que la prévalence des échanges monétaires et la forme moderne qu'ont prise nos économies tient à cette facilité cognitive de la monnaie. Cet article invite donc également à une réflexion sur l'adéquation entre des capacités cognitives humaines limitées et la complexité de la vie économique.

L'originalité de cette publication vient de son angle d'étude tout à fait exceptionnel, celui des sciences cognitives. 

Référence

Lefebvre G., Nioche A., Bourgeois-Gironde S. and Palminteri S. 2018, Contrasting temporal difference and opportunity cost reinforcement learning in an empirical money-emergence paradigm, PNAS. DOI: 10.1073/pnas.1813197115

Contact

Stefano Palminteri
Sacha Bourgeois-Gironde
Professeur d'économie et de sciences cognitives, Institut Jean-Nicod