Raisons politiques

Morts et fragments de corps, 41, mars 2011

Revue de pensée et de théorie politiques fondée en 2000, Raisons politiques vise à analyser les enjeux contemporains des questions politiques et sociales. Revue thématique, elle cherche à éclairer le débat politique par le dialogue entre la philosophie, l'histoire, la sociologie et la science politique.

Dans ce numéro, il ne sera guère question ici de "la mort" ou même de ce qu’est mourir, mais plutôt des morts et de ce qu’ils deviennent à partir de ce qu'il en reste… Ce qu'il reste des morts — un cadavre ou des cendres — à qui, en fonction des situations et des contextes, ont fait subir des épreuves, des dispositifs et des traitements, qui contribuent à les qualifier ­ ou non ­ comme humains.

Sujet singulier pour ce dossier thématique de Raisons politiques, qui permet de porter un regard différent et original sur le statut de la personne humaine dans différentes sociétés. Les contributions multiples apportent à ce dossier tout l’intérêt d’une démarche comparatiste.
Il sera ainsi question des morts en Grèce antique, en Mongolie, à New York suite aux attentats du 11-Septembre, dans les charniers en ex-Yougoslavie, sous forme de cendres et enfin de reliques en France. 

Quel que soit le lieu, les restes de corps humains morts se déplacent, circulent et soulèvent, au passage, des problèmes politiques. Ils peuvent faire le tour du monde, comme le reliquaire itinérant de sainte Thérèse de Lisieux, s'envoler au gré du vent, sous forme de cendres et de poussière comme à New York après l'effondrement des tours du World Trade Center. On peut encore les exhumer de charniers et les réinhumer ailleurs dans une sépulture considérée comme décente, par exemple en ex-Yougoslavie, mais aussi en Europe de l'Est et en Espagne.

On découvre également combien il peut être important d'assigner les corps morts à des espaces délimités. En France, les morts sont interdits de présence dans l'espace privé. Sauf dérogation exceptionnelle, ils n'ont droit de séjour que dans l'espace public. En Mongolie, hors de portée de l'État, les restes humains doivent laisser le moins de traces possibles dans un espace lisse. Et dans l'Inde brahmanique "la place matérielle faite aux restes humains est nulle". 

Enfin sont envisagés dans leur multiplicité les liens entre les vivants et les morts et la manière dont nous nous attachons aux restes corporels, sans les réduire aux seuls "rituels funéraires". L'attachement peut être juridique, comme c'est le cas pour le jugement des crimes commis en ex-Yougoslavie. Il peut être exprimé en termes psychologiques, à partir du "travail de deuil" notamment, ou en termes politiques lorsqu'un rapport est établi entre une nation et ses morts. Enfin, il faut admettre que puisse n'exister aucun attachement, ni aux restes de corps humains en particulier, ni aux morts en général : dans l'Antiquité, les Grecs qui partaient fonder des colonies laissaient derrière eux leurs morts.

 

La Revue Raisons Politiques