Répartir les dépenses par quartier pour réduire les inégalités spatiales

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Une équipe européenne co-dirigée par Thomas Louail, chercheur au Laboratoire Géographie-cités (UMR8504, CNRS / Université Paris 1 Panthéon Sorbonne / Université Paris Diderot) a redistribué virtuellement les achats effectués par 160 400 Espagnols, dans l’objectif de les homogénéiser spatialement. Ainsi, les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu’une modification de l'ordre de 5 % des transactions entre clients et commerces réduirait de 80 % les inégalités géographiques entre commerçants. Cette étude a donné lieu à la publication d’un article dans la revue Applied Network Science.

 

Les traces géolocalisées laissées par nos appareils mobiles contiennent des informations qui s’avèrent utiles pour coordonner des actions individuelles dans le temps et l’espace. C’est particulièrement vrai dans le cas de déplacements du quotidien, qui de plus en plus sont influencés par des données 'crowdsourcées' : les individus produisent des données lors de leurs déplacements, et leurs choix de destinations et d’itinéraires sont en partie déterminés par des données produites par d'autres. On peut penser à la navigation GPS utilisant des données de trafic partagées en temps réel, à la recherche et la découverte de lieux de loisirs et/ou touristiques ou encore aux applications sociales et de rencontres basées sur la géolocalisation.

Jusqu'à présent, ces empreintes géolocalisées ont essentiellement servi à fournir des services visant à apporter une satisfaction individuelle et quasi-immédiate : économies de temps de trajet, découverte d'un restaurant, rencontre de nouvelles personnes, etc. Elles ont également permis des mouvements de solidarité spontanés à grande échelle (par exemple, le safetycheck mis en place par l’entreprise Facebook). Une question importante est de comprendre comment mettre ces métadonnées à profit pour susciter et « informer » des solutions participatives à des problèmes sociaux complexes, spatialisés, et pour lesquels les progrès se produiraient nécessairement sur des durées bien plus longues que celles des problèmes pour lesquels ces métadonnées individuelles ont été utilisées jusqu’à présent.

Les inégalités socio-économiques observées dans les villes sont ancrées dans l'espace et aboutissent à des effets de quartier (neighbourhood effect 1  ) dont les conséquences néfastes sont très difficiles à combattre de manière efficace avec les seuls outils usuels de la gouvernance urbaine.

Partant de l’hypothèse qu’une redistribution spatiale des flux de capitaux constituerait la première étape d’un possible chemin vers une plus grande justice spatiale, les chercheurs ont étudié la faisabilité d’une approche participative qui reposerait sur de légères évolutions des pratiques de déplacements liés aux achats. Rebattre les cartes des revenus de l'activité commerciale entraînerait création d'emplois dans les quartiers bénéficiaires, soutiendrait le développement de l'offre de transports et contribuerait à les désenclaver

Cette étude évalue le coût de ces scenarii de redistribution en termes de déplacements pour achats qu'il faudrait « rediriger » vers d'autres commerces de même catégorie mais situés dans d'autres quartiers.

En s’appuyant sur une très grande base de données d’achats anonymisés et géolocalisés à Madrid et à Barcelone, les chercheurs ont pu quantifier cet « effort de mobilité » nécessaire pour atteindre des situations de référence où les flux monétaires seraient également répartis entre quartiers. Les simulations préservent les propriétés fondamentales de la mobilité quotidienne, notamment les distances parcourues et les aspects routiniers des déplacements.

De façon étonnante et contre-intuitive, les résultats montrent que seule une petite fraction des déplacements devrait être changés pour atteindre ces situations d'égalité spatiale. Ces scenarii alternatifs améliorent dans le même temps d'autres indicateurs importants comme la mixité socio-spatiale pendant la journée. La méthode présentée pourrait être mise en œuvre dans des applications mobiles, tandis que des mesures incitant les citoyens à la réorganisation spatiale de leurs déplacements pour achats restent à imaginer.

 

Référence :
Crowdsourcing the Robin Hood effect in cities, Thomas Louail, Maxime Lenormand, Juan Murillo Arias and José J. Ramasco, Applied Network Science, juin 2017

  • 1Toutes variables égales par ailleurs, le quartier dans lequel on grandit influence les opportunités et la trajectoire de vie.

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Thomas Louail