Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé
Nécessités et limites de l’interdisciplinaire pour étudier le travail et la santé, n°20-1, 2018
Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé (PISTES) est une revue scientifique interdisciplinaire électronique en libre accès, de langue française, s'intéressant aux aspects sociaux et humains du travail et à leurs liens avec la santé des personnes et les organisations. Elle privilégie les approches de recherche prenant en compte le travail réel et s'intéresse particulièrement aux thématiques innovantes sur le travail et la santé. Elle vise également à favoriser les rapprochements et à faciliter les échanges entre les praticiens et les chercheurs dans divers domaines en lien avec le travail et la santé.
Proposé par des membres du Groupe d’étude sur le travail et la souffrance (puis santé) au travail (GESTES), l’ambition de ce numéro spécial est de dresser un état de l’art transdisciplinaire des approches et méthodes mises en œuvre pour observer la relation santé-travail, dans l’espace principalement français, sinon francophone. Chacune des contributions présentes dans ce dossier, issues du droit, de l’épidémiologie, de l’ergonomie, de la gestion, de la psychologie, des sciences politiques, axe sa réflexion sur la spécificité des concepts, méthodes, démarches, raisonnements développés pour qualifier, éventuellement quantifier et avant tout étudier la santé au travail. S’appuyant sur des travaux empiriques, réalisés directement par les auteurs ou non, ces textes visent non seulement à présenter, mais aussi à réfléchir aux apports et aux limites d’une analyse disciplinaire de la santé et de ses liens avec le travail, autant que du travail et de ses liens avec la santé. Ce dossier ne prôner pas une transdisciplinarité affranchie des questionnements et paradigmes propres aux disciplines qui se penchent sur le travail, qu’il en soit l’objet princeps (comme l’ergonomie) ou non. L’objectif est plutôt d’interroger les relations complexes, à la fois évidentes mais aussi subtiles, et à toujours spécifier scientifiquement, entre santé et travail.
Bien que la Gestion des Ressources Humaines (GRH) place au cœur de ses questionnements l’humain au travail et sa gestion, la santé au travail a longtemps été un point aveugle de ses travaux. Claire Edey Gamassou, Grégor Bouville, Tarik Chakor, Stéphan Pezé et Virginie Moisson cherchent à savoir comment les approches en sciences de gestion se construisent et quelles sont les postures des chercheurs en GRH. Ils montrent l’autonomisation progressive de ces chercheurs par la construction d’un corpus gestionnaire sur la santé au travail avec des éléments saillants en matière d’objets de recherche, de méthodologies, d’interdisciplinarité et de postures.
Depuis le début des années 1990, l’épidémiologie est le théâtre de débats sur la nature de la discipline et le rôle qu’elle est censée jouer dans la société. À partir d’une étude critique de la littérature sur les cancers professionnels, Charles-Olivier Betansedi propose de restituer la nature des différents conflits opposant les principaux paradigmes de recherche en santé au travail. Il souligne que les oppositions et conflits entre disciplines (médecine, sciences sociales, etc.) se rejouent à l’intérieur même de l’épidémiologie, dans chacune de ses branches, en raison de son hyperspécialisation croissante et de l’opposition « nature » « culture » qui structure le champ.
L’article de Willy Buchmann, Céline Mardon, Serge Volkoff et Corinne Archambault propose une réflexion sur l’intégration de dimensions de long terme dans une démarche ergonomique, permise par l’articulation entre approche ergonomique, médecine du travail et démographie. Ils interrogent les possibilités pour l’ergonomie de développer des moyens d’analyse qui dépassent le cadre temporel de l’observation instantanée, en lui assignant une nouvelle place dans un modèle plus large de compréhension des relations entre santé et travail.
À partir d’une expérimentation réalisée dans l’industrie automobile, Jean-Yves Bonnefond et Yves Clot contribuent, dans le domaine de la clinique du travail, à instruire la manière dont les questions de santé au travail sont au centre du débat social et public avec les rapports entre qualité du travail et qualité de la vie. Ils argumentent pour une pratique de la psychologie du travail où l’expérimentation de nouvelles activités et fonctions permettent de tester une coopération conflictuelle autour des critères de qualité du travail entre dirigeants, ligne hiérarchique, opérateurs et organisations syndicales.
La contribution d’Emmanuelle Lafuma et Cyril Wolmark éclaire les liens tissés par le droit entre travail et santé à la lumière de la conception juridique de la prévention et se propose d’examiner comment la prévention promeut une discussion sur le travail. Le droit a progressivement organisé les conditions d’un débat interne à l’entreprise sur la prévention, débat qui paraît propre à nourrir un échange sur le travail. Sous l’impulsion du droit européen, l’obligation pour l’employeur de réfléchir aux risques liés à l’organisation du travail et de prendre les mesures propres, ouvre la voie à une discussion contextualisée sur le travail.
Émilie Counil et Emmanuel Henry présentent plusieurs pistes de réflexion sur les formes d’interdisciplinarité à même de dévoiler les points encore aveugles des liens entre santé et travail. Ils analysent l’impact de l’investissement insuffisant de certaines thématiques par la recherche scientifique sur les capacités de mobilisation et de construction d’une contre-expertise. Ils s’appliquent à trouver comment rendre les connaissances plus accessibles aux acteurs directement concernés afin qu’ils puissent s’en saisir pour protéger leur santé ou obtenir réparation.