Histoire, médecine et santé
Economie des savoirs, n°11, été 2017
Sous la direction de Elisa Andretta et Rafael Mandressi
La revue Histoire, médecine et santé, créée en 2012, publie en français et en anglais des contributions en histoire sociale et culturelle de la médecine, de la santé et du corps (histoire antique, médiévale, moderne et contemporaine ; toutes aires culturelles). Il s'agit d'une revue semestrielle (printemps-automne). Chaque numéro est constitué d’un dossier thématique, de recensions d’ouvrages et parfois de varia. Une partie « Sources et documents » réunit occasionnellement des bilans historiographiques et méthodologiques sur des sources sollicitées par les historiens et laisse une large place à leur édition.
Dans l’histoire des savoirs aux XVIe-XVIIe siècles, il n’est nullement besoin de chercher les médecins : ils sont partout, engagés dans des domaines variés de la culture lettrée, érudite et savante, de la philologie à l’histoire naturelle, de l’art oratoire aux mathématiques, ou encore de la cosmographie à la théologie. Comment saisir et interpréter cette omniprésence dans l’univers culturel de la première modernité en Europe occidentale ? Ce dossier propose de réévaluer le fonctionnement du champ médical aux XVIe et XVIIe siècles, en faisant de celui-ci un lieu d’interrogations sur l’économie des savoirs en Europe. Autrement dit, il s’agit de saisir l’histoire des savoirs de cette époque en l’observant à travers le prisme de la médecine et des médecins.
Par son imbrication avec d’autres savoirs, la médecine est un observatoire privilégié des dynamiques des mondes savants à l’époque moderne. Il s’agit d’élaborer une histoire intégrée des médecins comme passeurs, des circuits de passage (lieux, milieux, institutions) et des techniques intellectuelles et matérielles par lesquelles la médecine a pu irriguer d’autres domaines d’activités savante et/ou professionnelle.
En s’éloignant des cadres historiographiques traditionnels, organisés autour des notions de « révolution scientifique » ou de « nouvelle science », et en s’appuyant à la fois sur les idées, les outils de pensée et les formes textuelles qui rendent compte des contiguïtés perméables entre la médecine et d’autres savoirs, il s’agira de montrer et de comprendre les rôles et les identités intellectuelles composites des médecins, leurs parcours, leurs insertions dans des milieux variés, leur participation parfois massive à la structuration de communautés savantes, et finalement leurs interventions multiples dans la vie sociale et politique du temps.
Alessandro Pastore offre une lecture critique de deux ouvrages consacrés à la pratique du droit pénal (criminalistica) et destinés aux magistrats dans l’Italie du xviie siècle : l’étude propose une analyse croisée des domaines de la médecine et du droit. La découverte du corps à la Renaissance et au début de l’époque moderne confère au médecin une position qui se reflète dans le champ du droit et de la justice. Le savoir de l’expert médical jouit d’un rôle reconnu et faisant autorité dans la procédure pénale de l’époque, même s’il fait l’objet de discussions parmi les juristes.
Jetze Touber aborde lui les relations entre médecine et théologie par le biais de la medicina sacra, ce domaine du savoir où les compétences médicales et naturalistes étaient mobilisées pour expliquer l’histoire biblique. Il explore un échantillon de textes, ceux des auteurs catholiques Francisco Valles et Girolamo Bardi, et ceux des protestants Johannes Mey et Thomas Bartholin. Chacun à sa manière trouve dans les Écritures un espace où définir les relations et les limites entre intervention médicale et intervention divine, entre agir humain et volonté de Dieu.
Concetta Pennuto propose une illustration de la manière dont la musique a fourni, par le biais de ses harmonies et son langage, un outil aux médecins modernes pour comprendre et maîtriser les pulsations du cœur. Le fonctionnement du corps, par ses pulsations et vibrations, serait le producteur d’une musique de la santé et de la maladie. Réapparaît ainsi la figure ancienne du medicus musicus, confronté aux sons, aux rythmes et aux métriques du corps, et capable d’utiliser la musique comme une forme de thérapie.
José Pardo Tomás analyse comment l’œuvre du médecin Francisco Hernández (1514-1587) s’est construite pendant les sept ans où il travailla au Mexique, envoyé par Philippe II dans le cadre d’un renouveau des formes de gouvernement des domaines coloniaux, pour un projet à la fois personnel et commandé par le pouvoir royal. À travers cette étude de cas, il propose une réflexion autour de la pluralité des conceptions sur ce qu’était l’histoire naturelle pour les médecins universitaires européens du XVIe siècle, sur les façons de la pratiquer et, surtout, de l’écrire.
Chez Elisa Andretta, les « médecins du Tibre » s’intéressent au fleuve romain en intervenant, dans de nombreux traités imprimés, dans les débats au sujet de l’eau, de sa potabilité, des affaires sanitaires qui y sont associées et, par conséquent, sur les décisions administratives et politiques qui s’y rattachent. En dialoguant avec l’autorité pontificale et les pouvoirs urbains, leur rôle de médecins se situe entre politiques d’aménagement urbain, questions d’ordre public et une culture médicale qui remet au centre la relation entre l’homme et son environnement.
Dans le cercle de savants et de lettrés qui, dans la seconde moitié du xvie siècle, gravitent de près ou de loin autour de l’atelier d’imprimerie de Christophe Plantin à Anvers, les médecins occupent un espace significatif. Rafael Mandressi propose un portrait de ces milieux médicaux et analyse leurs rôles dans la production imprimée de l’officine plantinienne. La description de leurs activités, de leurs interactions et de leurs déplacements permet de découvrir une Europe savante et lettrée où Anvers apparaît, par l’imprimé et ses circulations, comme un des nœuds principaux.