Mots. Les langages du politique
Discours présidentiels et de présidentielles, n° 112 2016/3
La revue Mots. Les langages du politique s’inscrit dans une perspective interdisciplinaire, à la croisée des Sciences du langage, des Sciences du politique et des Sciences de l’information et de la communication. Mots. Les langages du politique publie des dossiers thématiques, des articles en rubriques « Varia », « Méthodologie » ou « Mots en politique », des notes de recherche, des comptes rendus de lecture, une bibliographie des publications sur les langages du politique.
Chaque élection nous rappelle, si besoin était, le rôle central de la prise de parole en démocratie. Et c’est l’essor du pouvoir personnalisé dans les démocraties contemporaines qui fait la particularité des discours présidentiels et de présidentielles par rapport aux autres discours politiques. Alors que la campagne électorale s’est achevée aux États-Unis et au moment où elle monte en puissance en France, la revue Mots. Les langages du politique a souhaité offrir à ses lecteurs un aperçu des outils d’analyse qui permettent à des chercheurs d’horizons disciplinaires divers de mieux comprendre les fonctionnements et les significations de ces discours. Ce numéro spécial est donc entièrement consacré à des recherches prenant pour objets les discours de titulaires de la fonction présidentielle ou ceux de personnes de statuts variés intervenant dans la compétition présidentielle, que ce soit pour y participer ou pour en rendre compte. À chacun des contributeurs, il a été demandé de tracer l’état des recherches ou de produire une étude sur l’un des aspects de la question. Il en résulte quinze articles courts signés de spécialistes reconnus, qui traite non seulement de la France, mais aussi d’autres pays dont le premier personnage de l’État est élu au suffrage universel, comme l’Argentine, les États-Unis, la Pologne ou le Portugal. Ces synthèses présentent, selon une perspective à chaque fois différente, les travaux consacrés au discours présidentiel. Elles seront utiles aux spécialistes et à quiconque voudra prendre quelque distance vis-à-vis de l’actualité immédiate.
Marc Bonhomme choisit d’explorer les professions de foi des élections présidentielles françaises. Il en étudie trois dimensions : la mise en scène des candidats, à travers le portrait qu’ils construisent d’eux-mêmes au moyen de procédés linguistiques et iconiques ; les positionnements politiques révélés par le contenu lexical et les stratégies argumentatives ; le dispositif communicationnel qui oscille entre une communication autocentrée et une forte sollicitation de l’opinion publique.
La pensée du genre renouvelle l’approche du politique comme de la politique, comme le révèlent les recherches entreprises depuis une trentaine d’années et dont Marlène Coulomb-Gull présente les grands axes. Elles pointent l’impensé que constitue la masculinité, au cœur de la construction de la légitimité politique en général et présidentielle en particulier, en même temps qu’elles explorent les ambivalences des usages de la féminité.
Marion Ballet propose de faire un état des lieux des recherches consacrées aux appels émotionnels utilisés en campagne présidentielle. Moment particulièrement propice à l’activation d’affects, cette élection « reine » permet au chercheur d’appréhender non seulement la production des messages affectifs par les candidats, mais également les conditions de leur réception par les électeurs.
Julien Auboussier et Isabelle Huré retracent le cheminement de la recherche qui, à partir des années soixante-dix, a interrogé la capacité des médias à décider l’ordre du jour des débats lors des campagnes électorales. En fixant l’agenda, c’est-à-dire en concentrant l’attention des citoyens sur un nombre limité de thématiques, les médias pèseraient sur la façon dont les électeurs évaluent et comparent les candidats.
Sur fond des deux dernières campagnes pour l’élection présidentielle en France, Jean-Michel Rampon présente quelques-uns des enjeux liés à la diversité des outils créés autour d’Internet, avec toujours la télévision comme pôle central, quand bien même elle engage des formats nouveaux.
Après une mise en perspective de la médiatisation en termes d’influence, sont passées en revue quelques-unes des conséquences quant aux positionnements énonciatifs des acteurs concernés.
Christian Le Bart démontre la place centrale occupée par la littérature dans la fabrication du rôle présidentiel. Plusieurs modèles se sont succédés : celui du président-écrivain avec le général de Gaulle ; celui du leader de parti conjuguant ambition littéraire et souci de parler au nom d’un collectif (François Mitterrand) ; enfin celui des personnalités politiques actuelles juxtaposant livres-programmes et autobiographies.
Débat télévisé de l’entre-deux-tours, qui clôt la campagne présidentielle française, oppose deux candidats qui doivent conserver leur identité discursive de campagne et fédérer un maximum d’électeurs. À partir d’une analyse textométrique de six débats (1974-2012), Pierre-Olivier Dupuy et Pascal Marchand interrogent l’évolution des thématiques et stratégies abordées et, au-delà, la place des projets politiques à long terme.
Damon Mayaffre caractérise le discours de campagne de François Hollande versus son discours de président. Il compare le parler du président à celui de ses prédécesseurs dans des conditions électorales ou d’exercice du pouvoir. L’approche logométrique du corpus montre la prégnance nouvelle du vocabulaire économique chez Hollande ou chez Sarkozy quelles que soient les conditions d’énonciation.
En 1974, le reporter-photographe Raymond Depardon suit le candidat Giscard d’Estaing à la conquête du pouvoir présidentiel. Jacques Gerstenkorn explique comment Depardon s’est affranchi des codes médiatiques pour construire un film-portrait intimiste où le discours politique compte moins que la mise à nu des coulisses et des rituels propres à la campagne électorale.
Damien Connil décode la façon dont le discours présidentiel est « saisi » par les séries télévisées américaines, le président des États-Unis étant devenu un personnage régulier. Ces séries apparaissent comme des outils de compréhension de certains enjeux électoraux, de la façon de mener une campagne électorale, de la fonction présidentielle elle-même et de ce qu’elle représente.
Élisabeth Fauquert revient sur les transformations des stratégies de communication politique des présidents à l’ère des médias partisans (création de Fox News en 1996) et d’Internet (depuis la présidence Clinton). Dans un monde politique intensément polarisé, où les sources d’autorité potentielles sont devenues légion, quelle place et quelle forme donner à l’éloquence ?
Aux États-Unis, les présidents sortants qui se représentent bénéficient d'un avantage significatif sur leurs adversaires. Luc Benoit à la Guillaume décrypte cette stratégie du sortant qui met l'accent sur la dignité de la fonction et les discours cérémoniels ainsi que la gestion des crises afin de tenter de se faire réélire.
En adoptant un point de vue pluridisciplinaire, Maria-Aldina Marques fait la synthèse des recherches et approches théoriques des discours présidentiels au Portugal, en particulier, les genres de discours privilégiés, les méthodologies utilisées et les résultats obtenus.
Anna Dutka-Ma?kowska et Monika Kostro examinent le discours des élections présidentielles en Pologne en le situant par rapport au langage de la propagande communiste dans les années soixante-dix/quatre-vingt. Cette analyse, centrée sur les débats télévisés entre les candidats, est interdisciplinaire, elle emprunte ses outils à la rhétorique et se préoccupe de la dimension éthique de la communication politique.
Morgan Donot présente différentes recherches en analyse du discours centrées sur une thématique fondamentale du discours politique argentin, commune à tous les présidents, la vocation refondationnelle. Cette vocation renvoie soit à la tendance à prôner un retour au supposé âge d’or du pays, soit à l’existence de projets politiques qui ont essayé d’établir une frontière entre un passé diabolisé et un futur plein de promesses.