Champ Pénal – Penal Field
La délinquance en col blanc : études de cas, vol. X 2013
Sous la direction de Gilles Chantraine et Grégory Salle
La revue Champ Pénal/Penal Field est une revue électronique gratuite en libre accès. Elle publie des contributions rigoureuses participant à l'analyse des fondements sociologiques, culturels, juridiques, politiques, historiques, idéologiques, économiques et scientifiques des discours et pratiques qui façonnent le champ pénal. La vocation de la revue est de diffuser des textes bilingues (français/anglais).
Ce dossier rassemble des contributions consacrées au thème de la "délinquance en col blanc". Les cas d'étude réunis, produits par des auteurs issus de plusieurs disciplines, portent pour partie sur la France, pour partie sur d'autres zones ou échelles d'observation. Des "lectures" thématiques lui sont rattachées. Il contient en outre une traduction inédite d'un texte d'Edwin Sutherland. Force est de constater l'actualité inconstatable de ce dossier. Mais le traitement médiatique tend à masquer le fait que les transgressions juridiques commises par les élites – individus ou groupes constitués tels que les entreprises – sont, d'une part, parfaitement banales et routinières et, d'autre part, qu'elles sont rendues possibles par des configurations structurelles sans la prise en compte desquelles on se prive de toute compréhension sociologique véritable des phénomènes observés.
L'ensemble des articles qui composent ce dossier chemine le long de trois axes analytiques transversaux. Le premier axe renvoie aux stratégies des puissants et de leurs alliés (avocats, experts comptables, etc.) pour diluer les responsabilités, redéfinir comme véniels les actes commis, éviter la sanction.
Pierre Lascoumes considère que les élites délinquantes bénéficient de rituels de restauration quand elles sont mises en cause. A propos du procès dans lequel J. Chirac a été condamné, trois processus sont montrés : une restauration par la procédure, une autre par la minimisation des faits illicites, une troisième par une négation de l'intention transgressive. Ces rituels produisent une situation originale d'un individu à la fois coupable et innocenté.
Olivier Mazade, avec le cas Metaleurop, illustre une forme « d'illégalisme des droits » dans le domaine des affaires, marquée par des stratégies de contournement des obligations fiscales et sociales, des pratiques de fraude et une accusation de « prédation » par l'actionnaire de référence du groupe auquel cette usine appartenait.
À travers des entretiens menés avec des acteurs judiciaires, administratifs et des avocats d'affaires, l'article de Carla Nagels veut comprendre comment les grandes entreprises échappent à la pénalisation de la prise en charge étatique de la « fraude sociale » pourtant constatée quand elle est le fait d'acteurs économiques moins puissants.
Un deuxième axe concerne le rapport entre les normes sur le papier (normes proprement juridiques mais aussi procédurales, institutionnelles, etc.) et les normes en action.
En analysant les modalités d'intégration des questions fiscales au cœur de l'anti-blanchiment, Anthony Amicelle rend compte des transformations travaillant actuellement la lutte contre l'« argent sale ». Dans quelle mesure assiste-t-on à un renouvellement normatif dans les activités de différenciation, de hiérarchisation et de gestion des illégalismes économiques et financiers ?
A travers l'affaire Kerviel, Judith Assouly et Damien de Blic présentent comment les acteurs eux-mêmes problématisent la question de la « délinquance » financière et plus généralement le rapport des élites financières à la légalité. Le rapprochement de l'affaire Kerviel avec d'autres affaires présentant des caractéristiques proches permet de comprendre les difficultés que rencontrent les opérations de dénonciation en période de « crise » et lorsque les entités en cause sont de nature bancaire et financière.
Un troisième axe émane des représentations de la délinquance en col blanc par des gens ordinaires et de leurs luttes pour peser sur le processus de catégorisation et de répression des actes commis.
L'article de Jean Bérard porte sur les débats suscités dans les mouvements contestataires nés après mai 68 par l'idée d'appliquer une répression pénale plus sévère aux illégalismes commis par les membres des classes dominantes. S'il est consensuel chez les acteurs militants de demander que la lumière soit faite sur les illégalismes politiques et financiers, le sort pénal qui doit être réservé aux auteurs d'infraction est sujet à interrogations.
Enfin, Ivan Thomi montre comment en Grèce, où la corruption est dite endémique, différents facteurs culturels et historiques peuvent expliquer la relative indulgence dont bénéficient en pratique certains échanges « corruptionnels ». Les personnes interrogées lors d'une enquête ethnographique en 2006 distinguent leurs propres transgressions, pardonnables, de celles des autres, impardonnables, et postulent parfois une grande différence de nature entre les motivations respectives des acteurs de la grande et de la petite corruption.