Revue Européenne des migrations internationales
Expériences de la santé en migration, Vol. 28 n°2 (juin 2012)
La REMI, créée en 1985, a pour vocation de publier les travaux de recherche, empiriques et théoriques, des différentes disciplines concernées par les migrations internationales et les relations interethniques et interculturelles. Tout en privilégiant la dimension européenne, la revue est ouverte à d’autres aires (géographiques), par l’analyse d’autres systèmes migratoires dans le monde. Elle se veut ainsi un observatoire permanent de la diversité des espaces étudiés et de l’évolution des approches, de la complexité mouvante des migrations internationales et des dynamiques sociales.
Les recherches menées dans le champ de la santé des populations immigrées se rejoignent pour souligner le poids des déterminants sociaux sur les états de santé. Dans les pays d'immigration, il apparaît nettement que la santé des migrants se détériore au fur et à mesure du temps qu'ils passent sur leur nouveau territoire. Ce qui invite à regarder de plus près les articulations entre inégalités de santé, inégalités socioéconomiques et discriminations. Les articles de ce numéro de la REMI analysent les expériences de la santé de populations de migrants - dans différents lieux et à différentes échelles - à la lumière des contextes sociaux, économiques et culturels.
Les quatre premiers articles restituent les résultats d’études centrées sur la production des inégalités de santé, décryptant les processus complexes qui produisent, entretiennent mais aussi dissimulent ces inégalités.
Marguerite Cognet, Christelle Hamel et Muriel Moisy analysent l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) dirigée par l’Institut National des Etudes Démographiques (INED), qui permet d’appréhender les différences et les discriminations dans la santé et l’accès aux soins des migrants et de leurs descendants. Les entretiens biographiques qualitatifs éclairent les questions que soulèvent les résultats statistiques quant au poids des facteurs socio-économiques, mais aussi quant à la part de l’origine et du sexe dans les inégalités de santé.
Les deux articles suivants étudient l’influence que peuvent avoir les représentations des professionnels en charge des personnes malades sur leurs pratiques.
Ainsi, Céline Gabarro se penche sur la gestion des dossiers d’AME (Aide Médicale d’Etat) dans les Caisses primaires d’assurances Maladie (CPAM), dévoilant les enjeux et les pratiques du traitement de ces dossiers au niveau méso-social - c’est-à-dire, ici, les personnels de l’administration de santé - partie la plus souvent invisible des processus discriminatoires.
Sylvie Gravel, Jacques Rhéaume et Gabrielle Legendre, quant à eux, viennent réaffirmer, grâce à une approche quantitative et qualitative des accidents du travail et des maladies professionnelles au Québec, que les inégalités et les discriminations vécues dans le milieu professionnel découlent d’inégalités sociales plus générales - qui se voient à leur tour renforcées.
Priscille Sauvegrain présente des données inédites sur les processus de « racisation » dont sont victimes certaines femmes, désignées comme « Africaines », dans les services de maternité en Ile de France. Une longue enquête dans un service de gynéco-obstétrique hospitalier montre que les représentations des cliniciens imprègnent les processus de catégorisation et tendent à orienter et à justifier les décisions cliniques qui déterminent les trajectoires de soins de ces femmes.
Les trois articles suivants se situent du point de vue des personnes migrantes malades et des praticiens, se concentrant sur les contraintes perçues par ces personnes dans l’accès aux soins ainsi que sur les ressources dont elles disposent et les stratégies qu’elles peuvent mettre en œuvre.
Anaik Pian restitue les résultats d’une enquête qualitative menée dans trois villes bretonnes sur les parcours de soins d’immigrés, traités pour un cancer. Elle s‘intéresse aux configurations d’entrée et de circulation dans l’espace du soin, mais aussi aux « trajectoires du mourir » de cette population en situation socio-économique et juridique précaire.
De son côté, Emilie Adam-Vezina retrace les trajectoires d’Africaines de la région des grands lacs devenues séropositives au VIH dans un contexte de violences. Elle analyse les raisons et les conditions dans lesquelles ces femmes décident de s’exiler, et revient avec elles sur le choix du Canada comme pays de « salut », et sur les difficultés rencontrées pour obtenir un titre de séjour et accéder aux soins.
Enfin, Anne-Cécile Hoyez révèle la sous-représentation des migrants originaires du sous-continent indien parmi les utilisateurs et pourvoyeurs de soins ayurvédiques. Elle déconstruit ainsi l’idée selon laquelle les migrants importeraient et utiliseraient de façon quasi systématique des pratiques de santé de leur pays d’origine.