Politix
Politique(s) des générations, n° 96, 4 /2011
En vingt ans, cette revue, animée par des chercheurs et des universitaires, est devenue l'une des revues de référence dans son champ académique. Sensible à la dimension politique des phénomènes sociaux, Politix entend renouveler les thèmes abordés par la science politique et décloisonner ainsi la discipline dans la perspective d'un véritable débat interdisciplinaire.
L’enjeu de ce dossier est de revisiter ce lieu commun de la science politique qu’est la notion de génération, pour penser autrement les rapports intergénérationnels dans le champ politique et pour l’enrichir des avancées récentes des autres sciences sociales.
Prenant le contre-pied d’une conception très répandue faisant des générations des groupes naturels et homogènes, on découvre dans la plupart des contributions des groupes définis, moins par leur année de naissance et leur implication dans un événement "historique", que par leurs conditions d’entrée et de formation au sein d’une institution ou d’un groupement fonctionnant comme une instance de socialisation. Ce qui apparaît souvent comme des "conflits de générations" renvoie en réalité à la confrontation de différentes histoires sociales, individuelles et collectives. Ce que le sens commun présente comme des oppositions entre "jeunes" et "vieux" correspond le plus souvent à des différences de rapport à l’institution scolaire, au marché du travail et au monde politique.
Le cas des cadres des collectivités territoriales étudié par Émilie Biland illustre l’intérêt d’appliquer la notion de "situation de génération" à la question de la politisation. Le mode de recrutement, le statut d’emploi et le déroulement de carrière des plus jeunes s’opposent en tous points à ceux de leurs aînés, et conditionnent leur rapport au politique et leurs relations avec les élus.
Caroline Frau, quant à elle, a choisi les buralistes. La description fine qu’elle propose des différents modes d’insertion dans le syndicalisme montre que, derrière le très visible "conflit de génération", c’est l’élévation du niveau de formation qui a contribué à redéfinir les critères de la représentation professionnelle chez ces petits indépendants.
Aurélie Llobet révèle, dans son étude sur les transformations des enseignants du secondaire, que l’engagement politique est avant tout structuré par le rapport au métier, qui est le produit d’un mode d’accès à la profession et d’un rapport singulier à l’institution scolaire. Au schéma traditionnel opposant vieux enseignants syndiqués et jeunes apolitiques, elle substitue une analyse découpant le corps des enseignants du secondaire en trois générations distinctes.
Ce qui rassemble les militants des organisations de défense de retraités étudiés par Alexandre Lambelet, c’est moins la volonté de défendre une cause commune que le résultat d’une double logique sociale : l’exclusion d’autres lieux du militantisme en raison de leur âge et leur volonté de se retrouver avec des militants appartenant à la même génération.
Jean-Philippe Tonneau s’intéresse, de son côté, aux deux premières générations du Syndicat des avocats de France : les fondateurs communistes et les avocats issus de l’extrême gauche adhérant à la fin des années 1970. Il explique comment la coexistence quotidienne au sein de la profession et du syndicat contribue à atténuer les tensions entre ces générations d’avocats-militants.
Enfin, à partir de l’exemple de la Province dominicaine de France, Yann Raison du Cleuziou montre comment se différencient les habitus des religieux au fil des années 1950-1960, puis comment l’Ordre va être mis en crise au nom des "jeunes" par une génération de dominicains qui accèdent aux positions dominantes et voient dans la contestation de mai 1968 une occasion d’imposer les réformes qu’ils souhaitent.