GdR MAGIS : creuset interdisciplinaire au service des sciences de l’information géographique
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Créé en 2009 et renouvelé le 1er janvier 2022 par le CNRS, le GdR MAGIS a pour mission d’accompagner la recherche sur l’Information Géographique dans toute sa diversité, de fédérer une communauté scientifique pluridisciplinaire en géomatique et de diffuser les connaissances produites (résultats théoriques, méthodologiques et technologiques). Il est dirigé par Marlène Villanova-Oliver, membre du Laboratoire d'Informatique de Grenoble (LIG, UMR5217, CNRS / Université Grenoble Alpes), Matthieu Noucher, chargé de recherche CNRS à l'UMR PASSAGES (UMR5319, CNRS / Université Bordeaux Montaigne / Université de Bordeaux / École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux), et Françoise Gourmelon, directrice de recherche CNRS au laboratoire Littoral, environnement, télédétection, géomatique (LETG, UMR6554, CNRS / Nantes Université / Université de Bretagne Occidentale / Université Rennes 2.
Les sciences de l’information géographique : un carrefour disciplinaire
Contraction des termes « géographie » et « informatique », la géomatique ou science de l’information géographique (GIScience) couvre un vaste ensemble de savoirs, de méthodes et de technologies permettant l’acquisition, le stockage, l’analyse, l’interprétation et la diffusion de l’information géographique. Résolument interdisciplinaires, les recherches en géomatique permettent d’appréhender des espaces géographiques complexes et dynamiques en manipulant et en combinant des données numériques de nature et d’échelles spatiales et temporelles différentes : images satellitaires ou aériennes, jeux de données statistiques, relevés Lidar, traces GPS, corpus de textes ou de cartes anciennes, contenus des réseaux sociaux ou issus du crowdsourcing, données du Web sémantique, etc. Cette diversité de sources offre aujourd’hui des représentations spatiales inédites à toutes les échelles : des modèles en 3D de bâtiments (building information modeling) aux globes virtuels (digital twin earth).
Exploiter la dimension spatiale des données : quelques exemples
Le rôle des sciences de l’information géographique, d’un point de vue sociétal et économique, peut se mesurer au regard de la diversité des applications qui placent la dimension spatiale des données au cœur de leur problématique. Qu’il s’agisse du changement climatique, de la santé et de l’environnement, des territoires du futur ou encore de la transition énergétique, la géomatique intervient à travers sa compétence en modélisation, son orientation en analyse spatiale et son approche éminemment interdisciplinaire. Les progrès technologiques et la multiplication des capteurs, les futures politiques territoriales de la donnée, la mise en place de services d’observation et de modélisation ainsi que les réflexions actuelles concernant l’impact environnemental du numérique… sont autant d'enjeux auxquels la géomatique peut contribuer à apporter des réponses.
À titre d’exemple, plusieurs équipes travaillent actuellement sur l’exploitation des traces numériques. L’indexation spatiale quasi-systématique de nos empreintes numériques permet en effet de repenser la compréhension de la pratique des territoires. Ces données peuvent a priori permettre de visualiser des pratiques spatiales jusqu’ici mal cernées, comme, dans le champ du tourisme, les mobilités des visiteurs à l’échelle d’une ville ou d’un site. Cependant, l’interprétation de ces traces nécessite à la fois d’en comprendre les ressorts méthodologiques afin de limiter l'effet « boîte noire » et d'en contextualiser les conditions de captation pour faire le lien avec les pratiques spatiales. Il est, par exemple, essentiel de prendre en compte les incertitudes spatiales et temporelles inhérentes aux différents types de capteurs pour éviter de surinterpréter certains résultats. La seule agrégation des données ne suffit pas et l’alliance de la géographie et de l’informatique permet ici de donner du sens aux traces. La confrontation des disciplines enrichit également l’appréhension des enjeux éthiques que soulève la manipulation de telles données, par exemple, en identifiant les contre-effets potentiels du croisement de différentes sources.
Dans un autre registre, une dynamique importante existe, depuis plusieurs années, autour des humanités numériques spatialisées (HNS). Le GdR MAGIS fédère ainsi un groupe pluridisciplinaire de chercheurs et chercheuses en informatique, géographie, linguistique, et plus largement en sciences humaines et sociales autour des questions liées à l’extraction et à l’interprétation d’informations géographiques à partir de documents textuels hétérogènes. Des cartes historiques mais aussi des annuaires, des dictionnaires géographiques ou encore des encyclopédies sont ainsi autant de sources qui, une fois numérisées, peuvent faire l’objet d’analyse pour les donner à voir autrement, mettant par exemple en exergue des phénomènes de concentration spatiale des savoirs retranscris à une époque donnée, grâce à l'exploitation de la dimension géographique de leur contenu.
Le GdR MAGIS : un réseau national pour fédérer une communauté
En France, contrairement à ce qui s’observe dans d’autres pays (États-Unis, Canada), les sciences de l’information géographique ne constituent pas un domaine d’enseignement et de recherche à part entière. La géomatique est enseignée dans des disciplines variées et les chercheurs et chercheuses du domaine sont disséminés dans une multitude de laboratoires relevant de différents champs disciplinaires. Ce constat fait à la fois la force et la fragilité du domaine : sa force, car il s’agit bien d’un domaine interdisciplinaire qui se construit au carrefour de traditions de recherche multiples ; sa fragilité car, sans la mise en réseau institutionnelle, la communauté de recherche ne peut fonctionner. Au carrefour de la géographie et de l’informatique, mais mobilisée également en histoire, écologie, archéologie, agronomie, linguistique, etc. la géomatique est donc un domaine de recherche interdisciplinaire fédéré en France au sein d’un réseau national : le groupement de recherche (GDR) MAGIS, sous la double tutelle de l’Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (INS2I) et de l’Institut des sciences humaines et sociales (InSHS) du CNRS. À l’occasion de son renouvellement en 2022, un nouveau projet a été défini pour cinq ans et de nouvelles unités de recherche l’ont rejoint. Désormais, plus de 350 chercheurs, chercheuses et ingénieur(e)s répartis dans 55 unités participent à ce réseau. Cette communauté scientifique développe et utilise une grande variété d’approches, de méthodes et d’outils permettant de mieux appréhender l’espace géographique et ses dynamiques à partir de données numériques spatialisées. Quatorze actions de recherche structurent les activités du réseau en assurant leur animation scientifique sous des formes variées : publications collectives1 , organisation d’écoles thématiques2 , animation de webinaires mensuels3 , prise en charge de sessions de colloque4 , etc. Grâce à ses rencontres annuelles, des croisements entre actions de recherche s’opèrent et des chantiers transversaux — réseau de jeunes, internationalisation, prospective… — viennent compléter le dispositif d’animation. Le colloque SAGEO (Spatial Analysis & Geomatics) est également l’un des moments d’échange clé de la communauté. L’exportation de la prochaine édition, en juin 2023, sur le campus de l’Université Laval, à Québec, marque la volonté des membres du GdR MAGIS d’affirmer encore davantage leur ouverture à l’international.
Enjeux socio-politiques des technologies géospatiales : l’indispensable alliance disciplinaire
Au-delà de la conception et de l’implémentation de nouvelles méthodes de collecte, de traitement ou de visualisation de données géographiques, les sciences sociales, les sciences environnementales et l’informatique s’intéressent depuis plusieurs décennies aux usages des outils, du langage et des représentations cartographiques : pourquoi et comment les acteurs produisent et utilisent-ils des cartes et des systèmes d’information géographique (SIG) ? Dans quelle mesure les relations de pouvoir structurent-elles les modes d’élaboration et les usages des cartes et des SIG ? Ces approches, qualifiées par les géographes anglophones de « cartographie critique », puis de « SIG critique », cherchent à analyser le contexte socio-politique et les processus sociaux par lesquels les cartes sont produites et mobilisées, ainsi que les intérêts, souvent implicites, qui s’y cachent. Le succès des géovisualisations sur Internet et l’émergence de nouvelles façons de lire ou d’écrire l’espace grâce au tournant numérique font aujourd’hui renaître les mythes de l’objectivité des cartes. Si ces croyances ne résistent pas à l’analyse critique, elles en complexifient la mise en œuvre et ouvrent de multiples perspectives de recherche qui nécessitent de nouvelles alliances disciplinaires, avec les études des sciences et des techniques (STS), les sciences de l’information et de la communication ou les sciences politiques, pour ne citer que quelques exemples. Plusieurs décentrements majeurs sont en effet opérés depuis quelques années sur les manières dont l’information géographique est créée, collectée, validée, diffusée, analysée, transformée, réutilisée : information géographique volontaire, géoweb, ouverture et interopérabilité des données, géointelligence, smart city, Internet des objets… Pour les spécialistes se réclamant d’une approche critique des SIG, ces évolutions sont l’occasion de renouveler un attachement à des postures et pratiques articulant la contribution critique avec des analyses plus frontales des effets politiques des technologies géospatiales. Des programmes de recherche francophones se sont saisis de ces problématiques. Leurs auteurs font néanmoins, comme leurs homologues anglo-américains, le constat d’un certain décalage entre les attentes adressées au champ et le caractère relativement dispersé de la littérature. Pour contrer le risque d’une déconnexion des praticiens de la géomatique, tournés vers les fronts d’innovations méthodologiques, avec des sciences sociales souhaitant en faire l’analyse, il importe de développer des espaces qui mettent au centre des débats scientifiques le renouvellement théorique et méthodologique des approches critiques des sciences de l’information géographique en favorisant les décloisonnements disciplinaires : c’est aussi l’un des objectifs du GdR MAGIS.
- 1À titre d’exemple, l’action de recherche « Incertitude épistémique » a publié chez ISTE un premier tome, traduit en anglais chez Wiley, sur les bases théoriques de L’imperfection des données géographiques ; un second tome autour d’études de cas est en cours de préparation
- 2Par exemple, l’école thématique « Vu, pas vu » a été organisée en 2017 sur les analyses de visibilité portant sur la morphologie urbaine
- 3L’action de recherche « Au-delà de la 3D » anime, par exemple, tous les premiers jeudi du mois un webinaire sur la 3D et ses usages pour le territoire
- 4Par exemple, l’action de recherche « Humanités numériques spatialisées » lors de la conférence TALN’2022 à Avignon fin juin