Détecter, mesurer et prévenir la corruption et le favoritisme économique : les apports du Global Corruption Observatory (GCO)

Lettre de l'InSHS Science politique

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Au-delà de quelques cas emblématiques, les manifestations de la corruption et du favoritisme économique, du fait de leur nature secrète ou cachée, sont particulièrement difficiles à observer et à étudier. Financé par la fondation OSUN, le Global Corruption Observatory entend remédier à cet écueil en s’appuyant sur la collecte, l’analyse, et la mise à disposition de vastes ensembles de données législatives et règlementaires, appareillées aux données de performance économique des firmes pour en apprécier les effets redistributifs.

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Un phénomène inobservable

En science politique et en économie, la corruption et le favoritisme économique font l’objet d’une attention académique soutenue. À l’agenda d’organisations aux niveau national et international (telles que la Banque mondiale, les Nations Unies et l’OCDE) et de gouvernements, ils sont également au cœur des mobilisations de nombreux acteurs contemporains de la société civile, incluant des ONG et des mouvements sociaux.

Les raisons de cet engouement se comprennent aisément. Dans la littérature scientifique, la corruption et le favoritisme constituent des points d’observation privilégiés pour analyser l’influence des acteurs privés (et notamment économiques) dans la décision publique. Sur un plan plus pratique, l’intérêt suscité dans le champ de l’action publique par ces phénomènes résulte largement du fait qu’ils affectent la qualité de la décision et contribuent à l’érosion de la confiance des citoyens dans le processus démocratique.

Dans leurs efforts pour détecter, mesurer, et prévenir la corruption et le favoritisme, chercheurs et chercheuses, praticiens et acteurs de la société civile sont toutefois confrontés à une difficulté de taille : dans la très grande majorité des cas, ces phénomènes demeurent inobservables. Résultant d’un contrat implicite entre un acteur privé et un acteur public ou politique, la corruption ou le favoritisme requièrent l’intention et l’action des deux parties impliquées. Dans ce contexte, ni l’une ni l’autre n’a intérêt à la divulgation du contrat — pour des raisons légales, réputationnelles, et plus fondamentalement en raison du fait que la nature secrète de ce type de transaction est la condition même de leur efficacité.

Initiative multidisciplinaire et internationale, le Global Corruption Observatory (GCO) entend remédier à cet écueil, en rendant observables et mesurables les phénomènes de corruption et de favoritisme — à la fois pour la recherche, mais également pour une vaste communauté d’acteurs publics, d’organisations (non) gouvernementales et de citoyens.  

L’ambition du Global Corruption Observatory

Financé par Open Society University Network (OSUN) pour une durée de trois ans (2022-2025), GCO rassemble quatre principaux partenaires — Central European University (qui héberge le projet), Universidad de los Andes, University of the Witwatersrand et le Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE, UMR8239, CNRS / Sciences Po). Le GCO vise à améliorer la connaissance de, et l’action contre la corruption et le favoritisme à travers le monde, en mettant en œuvre trois objectifs principaux, déployés avec l’appui de méthodes quantitatives avancées combinant approches computationnelles et économétriques.

Le premier objectif est la collecte et le traitement de données massives, complexes, au niveau micro, dans différents pays, et portant sur deux domaines d’intervention gouvernementale : marchés publics et processus législatif. Couvrant l’ensemble des secteurs économiques sur plus de deux décennies, les données collectées rassemblent des informations précises sur les processus ayant mené à ces décisions (procédure choisie, exposés des motifs, relevés de votes, amendements déposés et votés, données textuelles sur les débats…). Le GCO a déjà collecté les données relatives à plus de 300 000 textes de loi (pour plus de 50 000 lois effectivement adoptées) et 62 millions de contrats publics dans une quinzaine de pays à travers le monde1 .

Le deuxième objectif du projet est de développer et de valider une série d’indicateurs permettant de détecter les contrats ou législations pouvant être suspectés de corruption et de favoritisme. Ces indicateurs, variés, concernent par exemple le choix de certaines procédures accélérées limitant drastiquement le temps des débats législatifs ou la possibilité pour les parlementaires d’examiner dans le détail un projet de loi. Certains de ces indicateurs concernent les propriétés statistiques de certaines législations — par exemple les lois particulièrement volumineuses, dans lesquelles il est plus simple d’insérer des éléments avantageant un acteur en particulier, du fait des contraintes (en termes de capacité techniques ou de temps dont ils disposent) auxquelles les législateurs font face pour les examiner (Figure 1). Dans un second temps, ces cas à risque sont confrontés à des données granulaires au niveau des firmes des secteurs concernés, afin de détecter, par exemple, des performances anormales suite à l’adoption d’une législation ou à l’attribution d’un contrat public.

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Figure 1. Les lois ‘omnibus’ constituent l’un des indicateurs de risque de favoritisme utilisé par le GCO (Benoît et al., 2024).

Le troisième objectif du GCO est la valorisation de ces résultats. D’abord, sur un plan académique, le volume des données collectées dans le projet couplé à la précision des indicateurs construits permet d’examiner à nouveaux frais des questions classiques en science politique concernant l'influence des groupes d’intérêts, les facteurs de stabilité du processus décisionnel et la qualité de la démocratie. Mais il s’agit aussi, plus globalement, de renforcer la lutte contre ces phénomènes. Pour ce faire, l’ensemble des données collectées et des indicateurs construits dans le cadre du projet sont rendus librement accessibles sur une plateforme internet dédiée (Figure 2).

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Le site du projet (globalcorruptionobservatory.com) propose des outils interactifs variés permettant de visualiser aisément les données disponibles.

Le site propose également d’explorer de manière interactive et simple les données et indicateurs développés, ainsi que des outils de formation et des articles de recherche. Des séminaires et des ateliers rassemblant un public varié (acteurs publics, journalistes, chercheurs et chercheuses, représentants de la société civile) sont également organisés, notamment dans l’optique d’aider ces différentes communautés à s’emparer des outils et des connaissances générées dans le cadre du projet.  

Vers le projet RESPOND

Plusieurs partenaires du GCO (et notamment, Cyril Benoît pour le CEE et Mihály Fazekas pour Central European University) ont participé à l’élaboration et ont obtenu le financement pour la période 2024-2029 du projet Horizon Europe RESPOND (Rescuing Democracy from Political Corruption in Digital Societies), piloté par l’université de Bologne. RESPOND élargit la perspective initiale du GCO sur différents plans. Sur un plan géographique, un plus grand nombre de pays est intégré à l’analyse. Une plus grande variété d’acteurs et d’arènes est également prise en compte, incluant le rôle joué par les médias et les groupes d’intérêts dans un sens plus large que ne l’envisageait le GCO. Enfin, RESPOND se propose d’étudier directement les effets de la corruption et du favoritisme pour la démocratie, en mesurant ses diverses conséquences sur les opinions publiques, et en traitant du rôle des mouvements sociaux dans la mise à l’agenda et la lutte contre ces phénomènes.

Cyril Benoît, chargé de recherche CNRS, Centre d'Études Européennes et de Politique Comparée (CEE)

  • 1Allemagne, Brésil, Bulgarie, Chili, Colombie, Etats-Unis, France, Géorgie, Hongrie, Inde, Jordanie, Portugal, Royaume-Uni, Russie, et une trentaine de pays supplémentaires pour ce qui est des marchés publics.

Référence bibliographique

Benoît C., Brenner D., Fazekas D. 2024, Data Science Meets Political Economy : Application to Legislative Favouritism Around the World, in Giest S., Klievink B., Ingrams A., Young M. (dir.), Handbook of Data Science and Governance, Edward Elgar.

Contact

Cyril Benoît
Chargé de recherche CNRS, Centre d'Études Européennes et de Politique Comparée (CEE)