Protéger la nature ou protéger les animaux, faut-il choisir ?

Résultats scientifiques Sociologie Sciences des territoires

Protection des animaux domestiques et protection de la nature ont mis longtemps avant de se rencontrer. Les actions militantes ne mobilisaient pas les mêmes groupes sociaux et les travaux de recherches étaient étrangers les uns aux autres. Dans un article à paraître dans la revue Natures, Sciences, Sociétés, une équipe du laboratoire Espaces et Sociétés s’est intéressée à des animaux qui sont entre deux mondes, domestique et sauvage, et dont la prise en considération peut entrer en conflit avec la protection de la biodiversité d’un territoire.

La protection des animaux et la protection de la nature se rejoignent lorsqu’il s’agit des espèces animales en danger d’extinction, qu’il est interdit de chasser, de prélever, et parfois même d’approcher. Cependant, cette protection ne s’étend qu’à la biodiversité native, c’est-à-dire aux espèces présentes sur le territoire sans que cela résulte d’une intervention humaine. Elle s’opère le plus souvent de manière positive, à travers la préservation des habitats ou des ressources. Elle peut également s’accomplir de manière négative, à travers l’élimination d’espèces prédatrices introduites par les humains. L’objectif de protection de l’environnement, qui implique de contrôler ces prédateurs, se heurte alors à l’objectif de protection des animaux, particulièrement lorsqu’il s’agit de mammifères. Les associations de protection des animaux, comme une partie de la population, peuvent s’émouvoir des actions entreprises pour chasser, piéger et tuer ces êtres vivants sensibles.

Lorsque protéger la nature et protéger les animaux semblent incompatibles, comment choisir ? Coordonné par Anne Atlan, directrice de recherche CNRS au laboratoire ESO - Espaces et sociétés1 , l’article propose d’illustrer la manière dont ces deux objectifs renvoient à des éthiques différentes et peuvent créer des clivages dans l’espace public, ainsi que les éléments qui avivent les tensions ou aident à les aplanir. Pour ce faire, les autrices se focalisent sur le chat Felis catus, aussi appelé « chat domestique », qui a été introduit dans de nombreuses régions du globe, et cumule un fort potentiel de nuisance pour la biodiversité avec un fort attachement affectif de la part de la population.

Les chats contribuent de manière significative à la disparition d'espèces, particulièrement dans les îles, et de nombreux programmes d'éradication ont été mis en place dans le monde entier. Dans certains types d’espaces naturels ou urbains, leur retrait correspond à une obligation légale. Cependant, les chats ont un statut d'animal domestique, ce qui leur vaut une protection juridique renforcée (en France, il est interdit de leur faire du mal, a fortiori de les tuer), et une attention particulière de la part des sociétés protectrices des animaux.

Lors des opérations d’éradication des chats, les gestionnaires d’espaces naturels doivent respecter scrupuleusement une législation contraignante, et se justifier auprès de la population pour rechercher une « acceptabilité sociale » qu'ils ne trouvent pas toujours. Ils sont régulièrement interpelés par des associations de protection des animaux, locales ou internationales. Pourtant, protection des animaux et protection de la nature sont le signe d’une société qui renouvelle son rapport au vivant non-humain, d’une manière plus respectueuse de la singularité et de la différence.

En croisant les approches écologiques, sociologiques, juridiques et éthiques, les autrices ont analysé différents cas de gestion des chats en France métropolitaine et ultramarine (dans les îles de Port-Cros, La Réunion, Kerguelen, et dans les grandes métropoles urbaines), en Australie (ou des millions de chats ensauvagés ont été tués), et aux États-Unis (ou des centaines de milliers de chats errants ont été stérilisés puis relâchés).

Étudier ces situations, c'est avoir la possibilité d'explorer la pluralité des relations à l'animal et à la nature, les négociations autour de la mise en place d'actions de gestion dans les espaces naturels, et de questionner les modèles de justification éthique. Cette analyse comparative permet d’illustrer comment l’articulation entre protection de la nature, protection des animaux et acceptabilité sociale implique de prendre en compte la pluralité des éthiques environnementales. Elle donne aussi des pistes d’innovations méthodologiques -, sociétales - et juridiques, qui évitent de devoir choisir entre deux formes de respect du vivant.

  • 1ESO, UMR 6590, CNRS / Université d’Angers / Université Caen Normandie / Le Mans Université / Nantes Université / Université Rennes 2 / Institut Agro Rennes-Angers.

Référence :

Atlan A., Rossary M., Van Tilbeurgh V., Protéger la nature ou protéger les animaux ? Les chats harets à la croisée des éthiques environnementales, Natures, Sciences, Sociétés, à paraître.

Objectifs de Développement Durable

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Ces recherches contribuent à l’ODD 15, « Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres », qui souligne « l’importance de protéger les espèces menacées » et appelle à « mettre en place des mesures de contrôle, voire d’éradication, d’espèces exotiques envahissantes néfastes pour les écosystèmes ». En analysant les freins et les leviers socio-écologiques liés au contrôle d’un animal qui est à la fois apprécié des populations humaines et néfaste pour les espèces menacées, cette étude peut contribuer à augmenter l’opérationnalité des dispositifs de gestion.

Contact

Anne Atlan
Directrice de recherche CNRS, ESO - Espaces et sociétés