Les sciences humaines et sociales au Palais de la découverte
#SCIENCES PARTAGÉES
Le Palais de la découverte, établissement culturel scientifique national dédié à la vulgarisation des sciences, a fermé en 2020 pour engager un grand chantier de rénovation. Il rouvrira progressivement à partir de juin 2025 avec une offre et un parcours muséographique entièrement repensés. Le CNRS accompagne ce travail au titre de son statut de partenaire scientifique de référence. Pour la première fois dans l’histoire du Palais, des espaces en son sein seront consacrés aux sciences humaines et sociales.

Le Palais de la découverte a vu le jour en 1937 dans le cadre de l’Exposition Internationale des Arts et Techniques dans la Vie Moderne. Première grande institution française consacrée à ce que l’on appelle aujourd’hui la diffusion de la culture scientifique, il est le fruit d’une mobilisation de milieux intellectuels et scientifiques de l’époque promouvant la recherche en réponse aux crises géopolitiques et économique des années 1930, mobilisation qui est également à l’origine de la création en 1939 du Centre National de la Recherche Scientifique. Ce sont des chercheurs — parmi lesquels le physicien et chimiste Jean Perrin, le plus connu, le mathématicien Émile Borel ou encore l’astronome et directeur de l’Observatoire de Paris Ernest Esclangon — qui prennent directement en charge avec leurs assistants la muséographie et la programmation du Palais.
Les liens qu’entretient le Palais de la découverte avec la communauté scientifique restent forts, même s’ils ont évolué au cours des décennies suivantes avec la professionnalisation croissante de la médiation scientifique. Partenaire scientifique de référence du Palais de la découverte, le CNRS a signé un amendement à l’accord-cadre le liant à Universcience, l’établissement qui réunit aujourd’hui le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie, pour définir son rôle dans l’entreprise de rénovation qui doit aboutir à la réouverture du Palais à partir de juin 2025. Un comité scientifique et culturel présidé par Antoine Petit a été mis en place. Au quotidien, des commissaires scientifiques nommés par chacun des instituts du CNRS travaillent avec les équipes du Palais pour élaborer le futur programme muséographique.
L’une des nouveautés du futur Palais sera la présence d’espaces dédiés aux sciences humaines et sociales en son sein. Quatre îlots leur seront notamment réservés au niveau de la rotonde du premier étage, un emplacement central qui assure leur visibilité.


Quelle place pour les sciences humaines et sociales dans un musée de science ?
La question n’est pas anodine. Si les voisins du Palais de la découverte situés le long de la Seine comme le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, le Musée du Louvre, le Musée d’art moderne de Paris ou le Musée de l’Homme emploient et sollicitent tout naturellement historiens, anthropologues ou archéologues, la présence des SHS dans un musée consacré aux autres sciences peut sembler, au premier abord, incongrue.
Cependant, les sciences humaines et sociales n’ont jamais été complètement absentes du Palais. L’histoire des sciences a fait l’objet d’exposés mensuels dès 1951 et a été régulièrement mobilisée au sein d’expositions. Elle sera convoquée à travers le futur Palais par de courtes vidéos présentant différentes découvertes. Les SHS interviendront aussi dans les espaces consacrés aux géosciences thématisant la zone critique — la pellicule la plus externe de la planète Terre, celle qui est le siège d’interactions chimiques entre l’air, l’eau et les roches — et l’anthropocène, où s’estompent les frontières entre mondes naturels et humains.
Les SHS seront particulièrement visibles dans quatre îlots provisoirement intitulés La fabrique des sciences. Ceux-ci ont vocation à éclairer de manière transversale l’offre du Palais en donnant à voir et à comprendre comment les savoirs scientifiques contemporains s’élaborent, se transmettent, sont validés, et les cadres dans lesquels ils se développent.
L’orientation de ces îlots a été fixée au terme d’une réflexion collective impliquant des chercheurs et chercheuses provenant de différents champs et institutions. Elle convoque principalement les études des sciences, champ qui regroupe l’anthropologie, la sociologie, la philosophie ou l’histoire des sciences et des savoirs.
L’un de ces îlots est ainsi consacré à l’apprentissage du métier de chercheur, aux savoir-faire indispensables à son exercice. Il est centré sur l’acquisition de compétences théoriques, expérimentales mais aussi rédactionnelles et sociales. À cette fin, un doctorant et son encadrante travaillant au sein de l’équipe Signalisation de l'insuline et du glucose, Glucotoxicité à l’Institut Cochin, sont actuellement suivis tout au long de la thèse pour documenter ses différentes étapes et facettes. Il en résultera un jeu de l’oie en partie sonore restituant un parcours doctoral type.
Puisant dans la riche historiographie des sciences consacrée aux savoirs tacites (ces savoirs implicites mais essentiels au travail scientifique, tels qu'étudiés par Michael Polanyi1 ) et aux techniciens invisibles (tels que mis en avant par Steven Shapin par exemple2 ), tout en empruntant aux études ethnographiques et sociologiques de laboratoire, cet îlot souligne la nature collective de la recherche scientifique, met en lumière des acteurs moins visibles du monde de la recherche tels que les doctorants et vise à démystifier la profession d’une manière accessible. En filigrane, il aborde la question des bonnes pratiques et de l’éthique de la recherche.
Le choix des thématiques pour ces îlots a aussi été guidé par le souci de répondre à des interrogations et débats d’actualité que les SHS et les musées de science sont à même d’éclairer. Ainsi, un autre îlot est consacré à la notion d’incertitude afin de clarifier sa signification dans la démarche scientifique, par opposition à une appréhension courante du terme qui tend à la confondre avec le doute ou l’absence de connaissance. L’îlot expose différentes manières dont l’incertitude est prise en charge dans les méthodologies scientifiques, en climatologie par exemple.
S’il est impossible de rendre compte de la richesse des SHS au sein des espaces nécessairement restreints qui leur sont consacrés dans le Palais de la découverte rénové, cette présence permet néanmoins de poser un jalon. Elle souligne l’intérêt d’associer les SHS à la présentation et à la réflexion relatives aux sciences tout en promouvant une acculturation mutuelle de la recherche en sciences humaines et sociales et des musées de science.
Pour les SHS, se rendre visibles dans un musée de science permet de sensibiliser un large public à leurs approches tout en contribuant à la formulation de nouveaux récits informés par les recherches actuelles portant sur les sciences, y compris celles concernant leurs mises en public et, en particulier, leur histoire. Par-là, ce type de collaboration peut aider à confronter et enrichir les modalités mêmes de la diffusion de la culture scientifique contemporaine. Témoignant de l’intérêt de l’institution muséale pour cet apport, Universcience a souhaité financer une thèse, en cours de réalisation, consacrée à l’histoire encore peu explorée du Palais de la découverte depuis 1945.
L’exemple du futur Palais de la découverte souligne l’intérêt qu’il y aurait à encourager un rapprochement plus systématique et plus pérenne entre recherche en SHS et institutions culturelles scientifiques, à l’image de pratiques courantes dans les grandes institutions internationales de diffusion de la culture scientifique. Les laboratoires ou départements associant historiens, sociologues, anthropologues, philosophes, conservateurs et muséographes à la Smithsonian Institution (Washington), au Deutsches Museum (Munich) au Science Museum (Londres) et ailleurs démontrent que recherche en SHS et institutions de diffusion de la culture scientifique ont tout intérêt à travailler ensemble pour leur bénéfice mutuel.

avant-projet détaillé, juillet 2024) © Philéas/Casson Mann/Cros&Patras/Loma
Charlotte Bigg, chargée de recherche CNRS au Centre Alexandre-Koyré (UMR8560, CNRS / EHESS / MNHN), commissaire scientifique, déléguée scientifique CNRS Sciences humaines & sociales auprès du Palais de la découverte