Les ménages ivoiriens constituent-ils une force suffisante pour une agriculture sans pesticide ?
La demande croissante de légumes liée à l’accélération de l’urbanisation en Afrique a contribué au développement du maraîchage. Ce développement s’est cependant accompagné d’un usage intempestif de pesticides non contrôlés, malgré une réglementation nationale existante. Les politiques publiques, ciblant les producteurs se sont avérés peu efficaces. Dans un article paru dans la revue Économie rurale, une équipe de recherche internationale — impliquant Martine Audibert, directrice de recherche CNRS émérite au Centre d'études et de recherches sur le développement international (CERDI, UMR6587, CNRS / Université Clermont Auvergne) — examine la pression potentielle que pourraient exercer les consommateurs sur les producteurs en identifiant les attributs des légumes qui déterminent leur choix.

Face à une demande croissante de légumes frais des citadins, le maraîchage urbain et péri-urbain s’est fortement développé en Afrique. Pour répondre à cette demande, les maraîchers, contraints par la petitesse des superficies dont ils disposent, ont intensifié leur mode de production en utilisant des engrais et produits phytosanitaires pour augmenter les rendements et produire de « beaux légumes » en luttant contre les parasites, ravageurs et autres organismes nuisibles au développement des cultures. Malgré une législation florissante, tant nationale qu’inter-États, régulant la vente de ces produits via la diffusion d’une liste des produits homologués et non homologués, l’utilisation de ces produits par les maraîchers se fait de façon non contrôlée, souvent irrationnelle et dangereuse, tant pour la santé des maraîchers que des consommateurs. En Côte d’Ivoire, les actions menées par l’État pour tenter de réguler le marché des pesticides ciblent essentiellement les producteurs et s’avèrent peu efficaces.
Les consommateurs ivoiriens pouvaient-ils jouer un rôle dans le développement d’une agriculture biologique ? Pour répondre à cette question, une enquête a été menée entre octobre et novembre 2019 auprès de 398 ménages, choisis de façon aléatoire dans différents quartiers de Bouaké, ville située au centre de la Côte d’Ivoire, pour identifier les caractéristiques (grosseur, aspect, goût, prix, produits bio) des légumes frais qui orientent le choix des consommateurs sur le marché. Les caractéristiques des personnes interrogées (niveau d’éducation, de richesse, genre, âge) ainsi que leur perception du risque sanitaire lié à la consommation de légumes non biologiques ont également été relevées. Tout en tenant compte des caractéristiques des personnes interrogées, le rôle joué par les divers attributs des légumes sur la décision de consommation est estimé à partir d’un modèle mathématique (économétrique) en deux étapes. La première étape identifie, parmi les attributs des légumes, ceux qui jouent un rôle principal dans la décision d’achat, la seconde étape identifie le prix que les ménages sont prêts à payer pour des légumes issus de l’agriculture biologique. Si les consommateurs font attention à l’aspect et au goût des légumes dans leur décision d’achat, les résultats montrent qu’ils sont également prêts à payer plus cher pour des légumes issus de l’agriculture biologique. Par ailleurs, plus de 60 % des personnes interrogées déclarent connaître les risques pour la santé occasionnés par des produits cultivés sous pesticides.

Ces résultats montrent qu’une offre de légumes bio répondrait à une attente des consommateurs et constituent un signal pour des producteurs plus sensibilisés aux risques de santé que d’autres pour s’engager dans la voie du bio. La hausse de la demande en produits bio qui en découlerait permettrait aux maraîchers qui s’engageraient dans une production sans pesticide de réduire leur coût, diminuer l’épuisement de leurs sols et devenir de plus en plus concurrentiels sur le marché tant local que régional.
Référence
Djezou W. B., Aba A. É. N., Audibert M. 2024, Inclination des consommateurs à payer pour des légumes frais sans pesticide en Côte d’Ivoire, Économie Rurale 390 : 21-37.