Revue française de civilisation britannique
Le Référendum sur le Brexit du 23 juin 2016
Sous la direction de Karine Tournier-Sol
La Revue française de civilisation britannique (RFCB) paraît deux ou trois fois par an. Ellepropose des dossiers sur les grandes questions d’actualité touchant aux Îles britanniques : politique, institutions, économie, société, mentalités et idées. Les articles sont rédigés en français ou en anglais et émanent de chercheurs français et britanniques. Soucieuse de refléter l’évolution de la discipline, la RFCB est ouverte à la fois à des perspectives comparatives entre le monde britannique et une autre aire, mais également à des travaux portant sur les pays anglophones ayant eu ou ayant encore un rapport direct et relativement fort avec le Royaume-Uni.
Le 23 juin 2016, 51,9 % des Britanniques se sont prononcés par référendum pour le retrait de leur pays de l'Union européenne (UE). « Ce résultat inattendu a fait l'effet d'un véritable séisme politique, non seulement au sein du Royaume-Uni, mais aussi dans le reste de l'Union européenne. Au-delà de la surprise provoquée, le vote a révélé une fracture profonde de la société britannique, et ceci à plusieurs niveaux : entre les différentes nations d'abord, puisque si l’Angleterre et le pays de Galles ont majoritairement voté pour le retrait (Leave), ce n’est pas le cas de l’Écosse et de l’Irlande du nord qui se sont prononcées en faveur du maintien dans l’Union européenne ; entre les grands villes cosmopolites d'un côté, telles que Londres et Manchester, et de l'autre les régions plus rurales et les villes de taille moyenne ; entre les générations, puisque les jeunes ont voté à une écrasante majorité pour le Remain alors que les plus âgés ont voté pour le Brexit ; entre les électeurs les plus éduqués et ceux qui n'ont pas de diplômes ; entre les classes sociales enfin, les plus défavorisés ayant voté en faveur du Brexit. » L’objectif de ce numéro de la Revue Française de Civilisation Britannique est d’analyser la campagne référendaire et de décrypter le vote des Britanniques pour tenter d’en comprendre les raisons, et donc par la même occasion le caractère inattendu.
L’article de Richard Davis consacré à la période 1955-1975 rappelle que si le terme d’euroscepticisme est récent, le phénomène, lui, remonte aux débuts de la construction européenne. Les Anti-Marketeers du premier référendum du 5 juin 1975 sur l’appartenance à la Communauté économique européenne sont en fait les ancêtres des eurosceptiques d’aujourd’hui.
Christian Auer s’interroge sur la pertinence du recours à l’outil référendaire sur une question qu’il juge trop complexe pour être soumise au verdict des électeurs qui n’ont pas les compétences pour faire un choix éclairé, et se sont donc vraisemblablement déterminés en fonction de facteurs plus personnels ou émotionnels.
Pauline Schnapper explique pourquoi la campagne du Remain, menée par David Cameron, a échoué à convaincre une majorité d’électeurs et comment le Premier ministre a sous-estimé l’euroscepticisme dans le pays. Elle estime que l’efficacité de la campagne a été entravée par des facteurs politiques et des erreurs tactiques qui ont profité au camp du Leave et conduit à sa victoire.
Agnès Alexandre-Collier se concentre sur les députés conservateurs qui ont fait campagne pour le Brexit. Elle dessine le nouveau visage de l’euroscepticisme conservateur à la Chambre des Communes, en examinant plus spécifiquement la cohorte des nouveaux députés élus en 2015, leur plus grande représentativité par rapport à leur électorat ainsi que leur comportement parlementaire.
L’article de Karine Tournier-Sol poursuit l’exploration du camp du Leave en analysant le rôle du UKIP (UK Independence Party) dans la victoire du Brexit. Elle montre que si le UKIP ne peut pas être considéré comme le principal artisan du Brexit, les liens entre le vote Leave et le vote UKIP contribuent à éclairer le résultat du référendum et la nature de la fracture dont il témoigne au sein de la société britannique.
Houcine Msaddek examine l’évolution de la position des syndicats britanniques entre le référendum de 1975 et celui de 2016 : d’une opposition radicale à la CEE en 1975, le mouvement syndical s’est converti à une position pro-européenne en 1988 avant de revenir à un euroscepticisme réformiste opposé à une Europe libérale. Cette évolution est le fruit d’une stratégie de repositionnement dans le rapport de forces vis-à-vis des partis de gouvernement, et en particulier du parti travailliste.
Karine Rivière-De Franco analyse le traitement de la campagne référendaire par la presse dans trois quotidiens nationaux aux lectorats et aux tendances politiques différentes (The Guardian, The Daily Telegraph, The Daily Mail). Elle identifie les choix éditoriaux opérés, les éléments de campagne qui ont été donnés à voir aux lecteurs britanniques, et ceux qui, au contraire, ont été occultés, et s'interroge sur un traitement centré sur la personnalisation, la dramatisation, les divisions internes.
Parce que la souveraineté a été l’un des arguments majeurs des partisans du Leave, Juliette Ringeisen-Biardeaud questionne le concept de souveraineté parlementaire. Instrumentalisé par les Brexiteers, le débat a été présenté de façon simpliste avec le slogan « Let’s take back control ». Elle interroge les tensions potentielles entre souveraineté parlementaire et souveraineté populaire entraînées par le recours au référendum.
Alicia-Dorothy Mornington poursuit cette réflexion sur l’argument de la souveraineté en mettant en évidence comment les Brexiteers se sont érigés en défenseurs du libéralisme, par opposition au pouvoir considéré comme despotique de Bruxelles. Elle souligne que les principes fondamentaux de la pensée libérale et libertarienne auraient pu être mobilisés pour s’opposer à la sortie de l’UE, en invoquant par exemple la liberté de mouvement, le libre échange ainsi que la tolérance.
L’article de Ben Wellings étudie la place de l’Anglosphère, souvent présentée comme une alternative à l’Union européenne par certains partisans du Brexit, dans la campagne référendaire. Si elle a joué un rôle dans la campagne, c'est moins en tant que concept unitaire que par ses éléments constitutifs, en l’occurrence les États-Unis, le Canada et l’Australie. Parfois exemple à suivre, et à d'autres moments, nouvelle illustration d'une ingérence internationale à rejeter.
Nicholas Sowels se penche sur la dimension économique, principal argument du camp du Remain. Il tente d’évaluer l’impact, encore très incertain, du Brexit sur le secteur financier. L'article montre que cela pourrait entraîner des conséquences considérables, non seulement pour le Royaume-Uni mais aussi pour l'Union européenne, dans un climat international jugé plus incertain suite à l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.
A priori, le choix du pays de Galles, qui a voté comme l’Angleterre pour sortir de l’Union européenne, peut paraître surprenant au vu des fonds européens dont il a bénéficié depuis 40 ans. Moya Jones expose les facteurs qui expliquent ce résultat, dont elle considère qu’il était en fait prévisible, et souligne la spécificité du pays de Galles par rapport à l’Écosse et à l’Irlande du nord.
Edwige Camp étudie le cas de l’Ecosse qui s’est prononcée pour rester dans l’Union Européenne et estime que cette divergence était prévisible puisque la plupart des politiques écossais avaient fait campagne pour le Remain. Alors que le Scottish National Party (SNP) a saisi cette opportunité pour relancer le débat sur l’indépendance de l’Écosse et l’organisation d’un second référendum, les Écossais pourraient avoir à choisir entre deux unions — le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Dans le cas de l’Irlande du nord, qui, comme l’Écosse, a voté pour le Remain, Carine Berbéri se concentre sur les deux questions soulevées pendant la campagne par l’éventualité d’un Brexit : celle de la stabilité politique de la Province, que les partisans du Remain craignaient de voir fragilisée par un retrait ; et celle de la frontière terrestre avec la République d’Irlande, membre de l’Union européenne.