Retours d’expérience sur les « Résidences d’InVisu »
#FOCUS
Initiées en 2018, les « Résidences d’InVisu » ont comme objectif de répondre à un besoin d’accompagnement personnalisé, exprimé par les chercheurs et chercheuses, pour la publication numérique de leurs corpus. Pour répondre à cette demande, le laboratoire In Visu1 a décidé de proposer à de jeunes chercheurs et chercheuses de les accueillir pour une courte durée, contre rémunération, afin de les aider à éditer en ligne le corpus rassemblé au cours de leurs recherches. Il s’agit ainsi d’accompagner tout particulièrement des chercheurs et chercheuses pour qui la précarité structurelle et le manque de moyens se font plus fortement sentir malgré une forte pression pour la publication numérique de leurs données et résultats.
- 1L'information visuelle et textuelle en histoire de l'art : nouveaux terrains, corpus, outils (In Visu, UAR3103, CNRS / INHA)
Après avoir cherché la formule la plus adaptée pour répondre à ce besoin, l’équipe en charge des « Résidences » accueille désormais un chercheur pour une durée de six mois, afin de l’accompagner dans la publication d’un catalogue numérique. S’attachant à suivre les règles de bonnes pratiques numériques et de mise à disposition de données FAIR, la base produite est structurée avec l’ontologie relative aux données patrimoniales du CIDOC-CRM, implémentée dans Arches, plateforme logicielle open source développé par le Getty Conservation Institute et le World Monument Fund, déployée et maintenue par le laboratoire, et hébergée sur un serveur d’Huma-Num dédié. Outre cette offre de service et cet accompagnement, les « Résidences d’InVisu » ont vocation à former les chercheurs et chercheuses de manière très concrète tant au moment de la collecte des données que de leur gestion, puis curation, avant mise à disposition. Pour le laboratoire, ces résidences représentent un engagement au long cours de trois ingénieurs en BAP F, D et E2 , qui dépasse largement la durée du contrat de la résidence. En contrepartie, les chercheurs et chercheuses s’engagent à participer à l’alimentation de leur base et à la faire vivre au-delà de la période de production.
À ce jour, cinq postdoctorants et postdoctorantes ont bénéficié de cet accueil, dont Damien Bril3 , Camille Mestdagh4 et France Jamen5 qui reviennent ici sur leur expérience afin d’en présenter les avantages et inconvénients dans leur parcours et leur démarche scientifique.
Pourquoi avoir postulé aux « Résidences d’InVisu » ?
Damien Bril – J’ai postulé pour pouvoir bénéficier d’une expertise du numérique d’un point de vue « technique » : quels sont les démarches, les bonnes pratiques, les enjeux actuels ? Que signifie et comment se traduit l’interopérabilité ? J’avais une connaissance plutôt empirique du fonctionnement d’une base de données, et je voyais également dans cet accueil au sein d’InVisu la possibilité de questionner le changement de paradigme posé par les Humanités numériques.
Il s’agissait également pour moi, dans l’optique de publication de ma thèse, de résoudre la problématique de la publication d’un corpus visuel trop important pour envisager une édition papier, et répondant à un système d’analyse ne reposant pas uniquement sur les descriptions succinctes d’un « cartel ». Seul le numérique pouvait répondre à cet impératif scientifique.
Camille Mestdagh – L’appel indiquait que le résidant serait impliqué dans le travail numérique, dans la conception du catalogue et je souhaitais avoir la possibilité de m’investir dans cette réflexion pour ma base. Par ailleurs, ce catalogue numérique m’offrait la possibilité d’intégrer un très grand nombre d’images qui ne pourraient pas être dans la publication papier de ma thèse. Il me permettait aussi d’envisager une autre approche par rapport aux données en envisageant les différentes perspectives que pourraient avoir les personnes consultant cette base pour leurs propres recherches.
France Jamen — Lorsque j’ai postulé, je disposais d’une base de données intégrant le corpus rassemblé pour ma thèse, conçue et gérée avec FileMaker. Cette base portée par un collectif était arrivée à un point de blocage dans la perspective de sa diffusion. Nous avions besoin d’un accompagnement, de conseils techniques et d’une assurance de pérennité. Ce groupe de recherche n’avait aucun porteur institutionnel.
Quels sont pour vous les apports de cette expérience à court et moyen terme ?
Damien Bril – À l’origine, j’avais conçu une base FileMaker, qui n’avait pas vocation à être diffusée mais à servir d’outil pour le traitement de mes données pour ma thèse. Cependant, la question de sa publication s’est posée dès le lendemain de la soutenance, et il est apparu que son format ne le permettait pas.
J’ai pu prendre conscience des enjeux de l’interopérabilité pour dépasser le cadre d’une recherche personnelle et en faire un outil adaptable à de nouvelles recherches. Cette expérience a renforcé une conviction personnelle quant à l’importance de faire des données de la recherche un bien collectif, et de renouveler la façon de faire de l’histoire de l’art orientée vers plus de partage et d’ouverture.
Camille Mestdagh – Cette résidence m’a amené à réfléchir à mes données et à la façon dont il fallait les structurer pour pouvoir les interroger dans différentes perspectives. La variété des questionnements suscités lors de la conception du catalogue et le travail à l’aide de schémas sur la modélisation des données ont été très enrichissants.
D’un point de vue méthodologique, ce travail a nécessité une grande rigueur dans le traitement de mes données que je pourrais remployer dans mes travaux futurs, qu’ils soient numériques ou pas.
J’ai pu apprécier ce travail en équipe. L’expertise d’InVisu en traitement des corpus visuels a été d’une grande aide, et les enjeux de mes travaux et demandes ont été bien compris grâce à la méthode de travail itérative mise en place. Par rapport à mes expériences passées où la communication avec les équipes techniques n’était pas toujours évidente, j’ai pu voir une nette différence lors de cette résidence.
Enfin, ce catalogue apparaît désormais comme un « compagnon numérique » pour la publication papier de ma thèse.
France Jamen – Ce travail m’a amené à réfléchir aux outils les plus adéquats pour gérer mes données et les structurer. J’ai l’habitude de travailler collectivement sur des bases de données fermées, généralement gérées avec FileMaker, dans le cadre de mon travail de terrain. Cette résidence m’a permis de mesurer le besoin d’ingénierie pour construire une base interopérable, stable et pérenne. Il m’a également permis de découvrir l’ontologie du CIDOC-CRM, de réfléchir à l’utilisation de vocabulaires contrôlés, de comprendre comment se construit une base de données. Pour concevoir l’architecture de ma base, j’ai été amenée à explorer d’autres projets numériques et à les questionner. J’ai également pu suivre un atelier de formation juridique sur le droit des images qui m’a particulièrement intéressée6 , l’utilisation des images étant centrale dans nos disciplines.
Quelles sont les difficultés et limites auxquelles vous avez pu être confrontées ?
Damien Bril – La principale difficulté à laquelle j’ai été confrontée est la gestion du temps. Il y avait non seulement un travail énorme de retraitement et resaisie des données pour les intégrer à la base, mais aussi, d’un point de vue plus technique, un travail de compréhension de l’environnement, de différents langages utilisés, et des standards de description pour sortir d’une base de données bricolée. L’objectif était de reprendre l’intégralité de mon corpus de thèse qui s’est révélé trop pléthorique pour être traité. Il aurait été plus pertinent de travailler à partir d’une sélection. Cette expérience a été dans ce sens très instructive.
J’appartiens à la génération des historiens de l’art qui a commencé à travailler avec peu de numérique, peu de corpus disponibles en ligne, et qui a vécu un changement de paradigme pendant la thèse, avec la diffusion de nombreux outils qu’il a fallu s’approprier sans accompagnement adéquat, avec la publication en haute définition d’un nombre sans cesse croissant de sources visuelles, de catalogues d’institution… La résidence m’a permis, dans une certaine mesure, de dépasser cette difficulté.
Camille Mestdagh – J’ai pu bénéficier d’une résidence de trois mois ; ce délai était trop court pour pouvoir mener à terme le projet. L’aide à la saisie des données apportée par l’équipe pour permettre d’achever le projet dans le temps imparti a eu pour contrepartie une certaine distance avec l’outil que je ne maîtrise pas autant que je le souhaiterais. La base pourrait être enrichie, mais cela nécessiterait une nouvelle aide financière pour pouvoir s’y consacrer. J’aurais souhaité pouvoir explorer la spatialisation de mes données, mais cela aurait nécessité de nouvelles recherches que je ne pouvais mener dans le cadre de la résidence.
France Jamen – En 2020, la durée des résidences a été allongée à six mois, et j’ai pu bénéficier de ce nouveau format pour mieux gérer la production de ma base de données. Toutefois, cela reste insuffisant, car le travail d’alimentation de la base est extrêmement long et envisager un contrat d’un an serait souhaitable pour les futurs projets.
Le laboratoire InVisu accueille actuellement Alexandra de Heering pour un projet autour de la photographie vernaculaire dans le Tamil Nadu.
Propos recueillis par Juliette Hueber, ingénieure de recherche CNRS Édition, données, corpus visuels, science ouverte, In Visu
- 2BAP F - Culture, communication, production et diffusion des savoirs ; BAP D - Sciences humaines et sociales ; BAP E - Informatique, statistique et calcul scientifique
- 3Damien Bril est élève conservateur à l’Institut national du patrimoine et chercheur en histoire de l’art de la période moderne. Sa base explore les représentations d’Anne d’Autriche, http://artemise.huma-num.fr/
- 4Camille Mestdagh est historienne de l’art et spécialiste du mobilier du XIXe siècle. Sa base inventorie les productions et les sources d’inspiration de l’atelier Beurdeley, beurdeley.huma-num.fr/
- 5France Jamen est égyptologue, spécialiste de la troisième période intermédiaire. Sa base, en cours de publication, rassemble tout le matériel et informations disponibles sur la cachette de Bab el-Gasous
- 6Atelier juridique science ouverte (AJSO), « Au fil des images de la recherche », 6 novembre 2020, https://www.ouvrirlascience.fr/atelier-juridique-science-ouverte-au-fil-des-images-de-la-recherche-en-ligne/