Vies et environnements : comprendre le présent, penser les futurs. L’IRL iGLOBES à l’Université d’Arizona

La Lettre International

#VIE DES LABOS

L’unité Interdisciplinary Global Environmental Studies (iGLOBES, IRL3157, CNRS / ENS-PSL / Université d’Arizona) est un laboratoire international qui, en partenariat avec l’université d’Arizona (Tucson, États-Unis), déploie une activité de recherche interdisciplinaire sur les sociétés face aux grands défis environnementaux dans le contexte géographique, culturel et naturel des Amériques.

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Fondée en 1885 à Tucson, au cœur du Désert du Sonora, UArizona figure aux premiers rangs mondiaux de le recherche en sciences de l’environnement (écologie, hydrologie, biogéochimie continentale) et sciences de l’univers (planétologie, astronomie, cosmologie) © University of Arizona

L’origine du laboratoire remonte à la création en 2008, en association avec le Udall Center de l’université d’Arizona, de l’unité mixte internationale (UMI) Water, Environment and Public Policy (CNRS / Université d’Arizona). Renouvelée en 2012 et rebaptisée, l’UMI iGLOBES vit alors son périmètre de recherche et le champ de ses collaborations à l’UArizona s’élargir sous l’impulsion de sa nouvelle direction — Franck Poupeau, sociologue, en tandem avec Joaquin Ruiz, professeur au Department of Geoscience et directeur du centre de recherche environnementale Biosphere 2.

Ce renouvellement coïncida avec la mise en place du projet européen Sustainable Water Action (SWAN) et du projet ANR international Conflits for Blue Gold Grassroots Mobilizations and Multilevel Governance (BLUEGRASS) au travers duquel les collaborations de l’unité s’étendirent aux UMIFRE d’Amérique du Sud (IFEA) et d’Amérique Centrale (CEMCA)1 . L’année 2014 fut marquée par la création de l’Observatoire Homme Milieux International (OHMI) Pima County, associé au LabEx DRIIHM. Focalisé sur la lutte environnementale contre l’ouverture d’une nouvelle mine géante, l’OHMI utilisa cet événement fondateur pour révéler et évaluer les conflits d’usage entre les activités extractives, le développement des villes, les besoins de l’agro-industrie et les régulations administratives (fédérales, étatiques et locales)2 .

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Localisé dans le sud-est de l’Arizona, l’IRL iGLOBES est le témoin privilégié de certains des plus grands défis environnementaux de la planète. Dans cette région semi-aride, l’une des zones urbaines les plus chaudes du monde, les ressources hydriques s’y disputent entre agriculture intensive, villes tentaculaires et mégaexploitations minières © Earl C. Leatherberry

L’ensemble de ces projets permit alors de regrouper les activités de l’unité autour d’une question centrale : quelles sont les conditions spécifiques d’émergence et de mise en place d’une écologisation des politiques de l’eau ? Tucson en Arizona devait apparaître comme un cas à la fois exemplaire et paradoxal de consolidation de mesures de conservation des ressources hydriques, dans un contexte socio-politique pourtant peu favorable à la prise en compte de l’environnement3 .

Depuis 2017, l’unité devenue International Research Laboratory (IRL) est placée sous la triple tutelle du CNRS, de l’École Normale Supérieure (ENS) représentant l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL) et de l’université d’Arizona. L’IRL est depuis dirigé par Régis Ferrière, professeur au Department of Ecology and Evolutionary Biology de l’UArizona et au Département de Biologie de l’ENS-PSL. François-Michel Le Tourneau, géographe, en prit la co-direction en 2018 ; Sébastien Roux, sociologue, lui succéda en 2021.

iGLOBES continue d’amplifier son rôle de passerelle entre l’UArizona, le terrain que constitue « l’Ouest américain », et la recherche française sur les grands défis sociétaux que pose la crise environnementale actuelle. Sur la période 2017-2022, 120 séjours d’études ont été organisés (majoritairement des collègues et étudiants français à l’UArizona). Sous l’impulsion de François-Michel Le Tourneau, la thématique des « grands espaces » se développa. Alors qu’ils constituent encore aujourd’hui près de 60 % des terres émergées de la planète et qu’ils sont pourvoyeurs de ressources et de plus en plus convoqués pour participer d’une manière ou d’une autre à la mitigation du changement climatique, les grands espaces soulèvent des questions fondamentales : où commencent-ils et où finissent-ils ? Comment s’organise leur gouvernance ? Quels sont les facteurs qui influent sur leur évolution, entre politiques publiques et mouvements spontanés ? Des points de comparaison furent posés avec d’autres territoires américains, par exemple l’intérieur du plateau des Guyanes, en Amérique du Sud, dans le cadre du projet ANR GUYINT4 .

Au cours des cinq dernières années, l’OHMI s’est solidement ancré comme structure collaborative avec l’UArizona. Avec les autres OHM du LabEx DRIIHM, l’OHMI Pima County révèle les profonds changements de la relation homme-milieu intervenus depuis la fin des années 1970 et l’émergence d’une conscience environnementale telle qu’elle s’articule entre la population et les autorités locales. Des champs de recherche originaux ont été ouverts, comme celui des bouleversements des paysages et de la perception de ces transformations5 , tandis que des coopérations avec des organismes et ONG locaux ont été développées6 . L’OHMI a ainsi favorisé la constitution d’un réseau d’une vingtaine de chercheurs et chercheuses français désormais engagés dans l’activité de recherche de l’IRL, en coopération avec des chercheurs locaux ; il a permis la réalisation de dizaines de missions de terrain, stages de master et visites de doctorants. Symbole de sa coopération active avec l’UArizona, l’OHMI est aujourd’hui co-dirigé par Larry Fisher, professeur de la School of Natural Resources and the Environment, avec le soutien de la professeure Adriana Zuniga-Teran, de la School of Geograpy, Development and Environment.

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iGLOBES est associé au centre de recherche environnementale Biosphere 2, équipement unique pour l’écologie expérimentale en conditions contrôlées.
iGLOBES facilite d’actives collaborations de recherche entre Biosphere 2 et l’Ecotron IleDeFrance (UMS3194 CNRS-ENS) © University of Arizona

L’interface des sciences humaines et sociales avec la biologie des écosystèmes s’est aussi renforcée, avec le soutien de la Mission pour les Initiatives Transverses et l’Interdisciplinarité (MITI) du CNRS. Mobilisant la modélisation mathématique et les approches expérimentales et quantitatives, l’IRL analyse l’impact d’extrêmes climatiques sur le fonctionnement et l’évolution des systèmes écologiques, la manière dont ces effets sont perçus par les populations, et la façon dont cette perception influence les comportements individuels et les politiques publiques, dans un contexte de forte hétérogénéité socio-économique, culturelle et géopolitique. De multiples collaborations interdisciplinaires avec l’UArizona et la communauté académique française se sont ainsi développées, impliquant des biogéochimistes, épidémiologistes et géographes, des experts de la perception et du comportement, ainsi que des sociologues, anthropologues, économistes et juristes de l’environnement. Un concept central dans ces questionnements est celui de tipping points ou « points de bascule ». L’IRL explore comment les phénomènes physiques et biologiques associés directement ou indirectement au dérèglement climatique, la perception de ces phénomènes et les réponses individuelles déterminent conjointement l’existence et la manifestation de tels points de bascule dans les socio-écosytèmes étudiés7 . La question se pose alors de l’anticipation et de la prise en charge des points de bascule par les politiques publiques environnementales et leurs objectifs de résilience, concernant en premier lieu les ressources hydriques, la production énergétique et agricole, et la santé. Pour aborder ces sujets, iGLOBES ouvre de nouvelles collaborations internationales, en se rapprochant notamment du Laboratoire Nanotechnologies et Nanosystèmes (LN2, IRL3463, CNRS / Université de Sherbrooke / Université Grenoble-Alpes / École Centrale de Lyon / INSA de Lyon) situé à Sherbrooke et du laboratoire Environnement, Santé, Sociétés (ESS, IRL3189, CNRS / Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique / Université Gaston Berger / Université Cheikh Anta Diop de Dakar / Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako) situé à Dakar.

Le périmètre de l’IRL iGLOBES s’est ainsi considérablement élargi. « Vies et environnements : comprendre le présent, penser les futurs » reflète bien aujourd’hui la diversité de ses projets, qui se déploient désormais selon trois grandes approches : les études critiques environnementales, l’analyse quantitative et prédictive des socio-écosystèmes, et le dialogue transdisciplinaire que suscitent les objets d’études. C’est dans ce contexte que l’IRL amplifie ses questionnements enracinés dans la crise planétaire que nous affrontons : comment vivre individuellement et collectivement dans un monde climatique plus extrême, en perte d’habitabilité, face à des menaces environnementales sans précédent, imprévisibles, voire inconnues ? Et que devient notre relation à la nature, à la vie, aux autres, face à la perspective d’un futur perdu8  ? Ces interrogations résonnent avec les ambitions du premier International Research Center9 (IRC) récemment créé par le CNRS avec l’UArizona : dépasser toutes les frontières disciplinaires dans la recherche de solutions tangibles pour un avenir environnemental plus viable et plus juste.

Régis Ferrière

  • 1L’Institut français d’études andines (IFEA) et le Centre d’études mexicaines et centraméricaines (CEMCA) sont tous deux rattachés à l’UMIFRE Amérique Latine (UAR3337, CNRS / MEAE / Université Paris Cité).
  • 2Le Gouill C., Boyer A.L. 2019, L’extractivisme minier ”depuis le Nord”. Exploitations, régulations et oppositions dans le Copper State d’Arizona, Écologie & Politique : Sciences, Culture, Société, vol. 2, n° 59.
  • 3Poupeau F. et al. 2019, The Field of Water Policy. Power and Scarcity in the American West, Routledge Studies in Sociology.
  • 4Le Tourneau F-M. 2020, Sparsely populated regions as a specific geographical environment, Journal of Rural Studies 75 : 70‑79. Le Tourneau F-M. 2019, L’Amazonie. Histoire, géographie, environnement, CNRS Éditions.
  • 5Sourdril A. et al. 2020, What Bird Songs Can Tell Us of Local Perceptions of Environmental Changes? A Case Study along a Gradient of Human Pressure in South Arizona, 79th Annual Meeting of the Society for Applied Anthropology, Portland OR, USA. Flowers C. et al. 2021, Looking for the -scape in the sound: Discriminating soundscapes categories in the Sonoran Desert using indices and clustering, Ecological Indicators 127.
  • 6Zuniga-Teran A. et al. 2022, Stakeholder participation, indicators, assessment, and decision-making: applying adaptive management at the watershed scale, Environmental Monitoring and Assessment 194 : 156.
  • 7Blanchon D. et al. 2020, Sentinel territories: a new concept for looking at environmental change, Metropolitics.
  • 8Boyer A.L. 2021, The Truth about Nature: Environmentalism in the Era of Post-Truth Politics and Platform Capitalism, New Global Studies. Endelstein L., Favre G., Roux S. 2022, Effets secondaires. Vivre au temps du Covid-19, Éditions Le Bord de l’eau.
  • 9Pour en savoir plus : En Arizona, le premier IRC du CNRS est un succès, CNRS Info, mars 2022. https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/en-arizona-le-premier-irc-du-cnrs-est-un-succes

Contact

Régis Ferrière
Professeur, Institut de biologie de l'Ecole Normale Supérieure, Interdisciplinary and Global Environmental Studies (IGLOBES)
Sébastien Roux
Chargé de recherche CNRS, Interdisciplinary and Global Environmental Studies (IGLOBES)