Les pays producteurs de pétrole sont-ils aussi touchés par l’inflation ?
Par quels canaux des chocs sur le marché du pétrole peuvent-ils conduire à de l’inflation dans cinq pays d’Afrique centrale producteurs de pétrole ? C’est une question à laquelle Édouard Mien, membre du Centre d'études et de recherches sur le développement international (CERDI, UMR6587, CNRS / Université Clermont Auvergne), cherche à répondre dans un article publié dans la revue internationale Resources Policy.L’objectif de son étude est notamment d’identifier, pour chaque pays, quel effet prédomine entre l’afflux de revenus causé par la hausse des prix du pétrole exporté et la baisse de pouvoir d’achat occasionnée pour les populations locales consommant des produits pétroliers.
Si les chocs récents des prix du pétrole ont rappelé l’importance de cette ressource pour les pays importateurs nets de pétrole, on s’est moins intéressés aux pays exportateurs, ou alors en les présentant comme des gagnants de la crise. En effet, la littérature économique distingue en général les pays importateurs de pétrole, dont l’économie souffre de toute hausse des prix de la ressource, et les pays exportateurs, qui en bénéficient. Pour ces derniers, une hausse des cours du pétrole est supposée conduire à un afflux des revenus d’exportations et, par conséquent, à une augmentation des dépenses de consommation. Ce phénomène, désigné en économie sous le nom de « syndrome hollandais » (car observé pour la première fois aux Pays-Bas dans les années 1960 après la découverte d’hydrocarbures), implique qu’un boom pétrolier va conduire — dans les pays exportateurs — à un phénomène d’inflation encouragé non par la hausse des coûts de production (comme dans les pays importateurs) mais par une augmentation de la demande (c’est-à-dire une hausse de la consommation des ménages, entreprises et/ou de l’État) permise par l’afflux de revenus tirés du secteur pétrolier.
Pourtant, beaucoup d’économistes ont négligé le fait qu’un pays peut être à la fois exportateur etconsommateur de pétrole. Or, dans un système mondialisé, une hausse des prix du pétrole brut a une répercussion sur les prix des produits pétroliers (essence, kérosène, bitume…), même dans les pays riches en hydrocarbures ; cela peut donc conduire à une inflation par l’offre touchant les ménages et entreprises qui consomment ces produits pétroliers. Cette inflation par l’offre est commune à tous les pays consommateurs de pétrole, qu’ils soient ou non producteurs, et s’oppose donc à l’inflation par la demande (syndrome hollandais) spécifique aux pays riches en pétrole. De plus, l’inflation n’étant, dans ce dernier cas, que la conséquence de la hausse de la consommation, cette inflation par la demande est supposée refléter une amélioration des conditions de vie des ménages.
Dans cette étude, l’auteur cherche à distinguer ces deux canaux par lesquels les chocs sur les marchés pétroliers conduisent à une hausse des prix dans cinq pays d’Afrique centrale à la fois exportateurs et consommateurs de pétrole entre 1995 et 2019 : le Cameroun, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Cette distinction est importante car, si plusieurs études se sont intéressées à ces pays sur le plan du syndrome hollandais, peu ont considéré le fait que les populations y sont également consommatrices de pétrole, conduisant à un risque de mésinterpréter une inflation par l’offre comme une preuve de syndrome hollandais. Afin d’éviter cet écueil, Édouard Mien sépare l’impact des chocs de production et celui des chocs des prix du pétrole sur l’indice des prix à la consommation (IPC – indice le plus fréquemment utilisé pour mesurer l’inflation). En effet, bien qu’une hausse des cours puisse conduire aux deux phénomènes d’inflation, une hausse de la production ne peut aboutir qu’à une inflation par la demande (viala hausse des revenus pétroliers).
Or, les résultats obtenus révèlent un impact net des cours internationaux du pétrole sur l’IPC dans tous les pays à l’exception du Gabon, et un impact de la production de pétrole sur l’IPC en Guinée équatoriale uniquement. Ce constat tend à infirmer l’idée que l’inflation observée dans ces pays serait la conséquence d’une hausse excessive des dépenses attribuable au boom pétrolier. Au contraire, l’inflation apparaît essentiellement comme une inflation par l’offre, à l’exception de la Guinée équatoriale où les deux phénomènes semblent coexister. De tels résultats peuvent indiquer que même dans les pays exportateurs de pétrole, une augmentation des prix de cette ressource peut se faire au détriment des ménages et entreprises, à rebours des théories dominantes sur le sujet. Une telle analyse peut également servir de base à la compréhension de la situation actuelle, en contribuant à offrir un meilleur aperçu des dynamiques d’inflation dans les pays riches en ressources énergétiques.
Référence
Objectifs de Développement Durable
Cette recherche contribue particulièrement à la réflexion de l'objectif 8 Travail décent et croissance économique dans la mesure où le secteur des hydrocarbures peut jouer un rôle majeur dans la croissance économique des pays riches en ressources. Néanmoins, une insistance trop poussée sur le développement du secteur des hydrocarbures au détriment du reste de l'économie peut constituer un frein majeur à un développement économique soutenable à long-terme. Cela souligne l'importance de l'analyse de l'impact des revenus du pétrole sur différents indicateurs économiques, comme effectué ici pour le cas de l'inflation.
Ainsi qu'à celle de l'objectif 10 Inégalités réduites : évaluer les impacts du syndrome hollandais sur la population ainsi que l'impact des chocs de prix du pétrole sur les coûts de production peut permettre de mieux comprendre l'impact des ressources naturelles sur les inégalités et la répartition des revenus dans les pays riches en ressources naturelles.