Droit et Société
Droit, justice et temporalités 2022/2, no 111
Sous la direction de Charles Reveillère, Lus Prauthois et Jérôme Pélisse
La revue Droit et Société a été créée en 1985 par un groupe d’académiques venant de la philosophie, de la théorie et de la sociologie du droit et de l’État et réuni par André-Jean Arnaud. De leurs initiatives sont nées, outre la revue — dont Jacques Commaille a longtemps été le rédacteur en chef —, un réseau interdisciplinaire et international et, progressivement, des collections d’ouvrages aujourd’hui publiées chez LGDJ (Droit et société « Études », « Recherches et Travaux », « Classics », « Petits manuels »). Ces activités sont complétées par un blog sur la plateforme Hypothèses qui participe largement à l’animation de la communauté Droit et société francophone, en publiant des annonces de manifestations scientifiques, des billets d’actualités, des vidéos de conférences et entretiens, etc. La revue est également présente sur les réseaux sociaux avec des comptes Twitter et Facebook.
Toujours éditée en format papier, Droit et société est, depuis janvier 2023, disponible en accès ouvert, gratuit et en ligne, via le portail Cairn. Cette ouverture a été rendue possible par un plan de soutien contracté entre le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le portail CAIRN. Droit et société figure parmi ses premiers bénéficiaires.
Chacun des trois numéros annuels comporte plusieurs rubriques : un Dossier qui traite un thème fort à partir de cinq à six textes ; quelques « Études » proposant des articles de recherche sur des sujets divers ; un espace « Questions en débat » ; une rubrique « À propos » consacrée à un commentaire approfondi et croisé de plusieurs ouvrages. Certains numéros s’enrichissent également d’une rubrique « Traduit pour vous », mettant à la disposition des lecteurs et lectrices, des articles importants traduits en français pour la première fois. Enfin, une abondante « Chronique bibliographique » portant sur un large éventail de publications est disponible dans la rubrique « Lu pour vous » du blog Hypothèses.
Publié fin 2022, le numéro 111 accueille un dossier consacré au thème « Droit, justice et temporalités ». Coordonné par Charles Reveillère, Lus Prauthois et Jérôme Pélisse, il est issu de journées d’étude organisées au Centre de Sociologie des Organisations (CSO, UMR7116, CNRS / Sciences Po Paris) les 14 et 15 avril 2021. En miroir des travaux qui se sont intéressés aux relations entre droit et espace, ce dossier renouvelle les pistes d’analyse pour enquêter sur les relations entre droit et temporalités. Sa perspective se distingue d’une approche mathématique et objectivante du temps, pour se centrer sur une approche compréhensive. Les expériences du temps sont hétérogènes et plurielles, en fonction des groupes sociaux et des activités. Comme le soulignent les responsables du dossier dans leur texte de présentation, « les normes de temps gagnent à être saisies à travers les interprétations qu’en font les acteurs et actrices et la manière dont elles orientent leurs actions, tout comme la sociologie wébérienne le fait pour l’analyse des normes de droit ». La question des rythmes sociaux d’une part, celle des horizons temporels d’autre part, offrent deux pistes d’analyse originales pour rendre compte des relations de pouvoir et des inégalités qui structurent — et qui sont structurées par — les cadrages temporels des droits et les cadrages juridiques des temporalités.
Cinq contributions abordent ces questions à partir d’études empiriques riches, qui renvoient à différents types de contentieux, en droit pénal et en droit administratif. Irène Lizzola étudie deux recours pour excès de pouvoir contre des mesures administratives prises, en vue de prévenir des « atteintes à l’ordre public », dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Elle montre comment, dans le cadre de l’accélération des procédures, les contraintes procédurales du dispositif français de l’antiterrorisme encadrent le développement d’un raisonnement centré sur la prévention.
À partir de méthodes qualitatives et quantitatives, Rémi Rouméas se penche quant à lui sur les stratégies d’accélération et de décélération des magistrats et magistrates dans le processus de correctionnalisation des crimes — une pratique qui consiste à poursuivre certains crimes sous la qualification de délit, relevant donc du tribunal correctionnel — et ce, afin de maîtriser les délais des procédures criminelles et de ne pas engorger les cours d’assises. Il distingue deux rythmes procéduraux types et montre que, face à ces cadences différenciées, l’un est caractérisé par sa célérité, l’autre par sa léthargie. Les victimes sont dans des situations disparates et subissent inégalement les effets de la gestion des délais judiciaires des dossiers.
Toujours en matière pénale, Alexis Provost se penche sur la « procédure particulièrement accélérée » qui existe en Allemagne. Dans le cadre d’une enquête ethnographique sur un tribunal de Berlin, il analyse les différentes formes et modalités par lesquelles passe l’accélération. Il montre que celle-ci ne signifie pas forcément une intensification du travail pour les professionnels des services de police et du tribunal. Ces acteurs et actrices mobilisent les temporalités du droit pour ne pas subir l’urgence, maintenir un contrôle sur les affaires qui leur sont soumises et éviter une logique gestionnaire de maîtrise des flux.
Stéphanie Barral et Fanny Guillet, quant à elles, s’intéressent à la manière dont est mise en œuvre, dans le temps et selon des investissements temporels différenciés, l’obligation de compensation écologique qui pèse sur les aménageurs. Il s’agit d’une obligation légale de restaurer des espaces naturels dégradés par les projets d’aménagement réalisés. En établissant un horizon temporel perpétuel sans fixer les moyens ou jalons pour y parvenir, le droit de l’environnement institue un conflit de temporalités dont la résolution incombe à une administration affaiblie et à une économie de marché, celle des services environnementaux. Les cadres temporels mobilisés, parce que différenciés selon les acteurs, conduisent à des mises en œuvre variées de ce droit dans un contexte où la maîtrise des rythmes du marché est prépondérante.
Enfin, toujours en matière environnementale, Christophe Traïni étudie « l’affaire du Siècle » dans laquelle quatre associations ont poursuivi l’État français devant le tribunal administratif pour son inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Ce cas constitue un poste d’observation privilégié pour interroger l’articulation entre les temporalités des procédures judiciaires et celles d’actions collectives dénonçant un scandale et mobilisant le plus grand nombre. L’article analyse la façon dont les promoteurs de cette opération, menée au nom de l’urgence climatique, s’efforcent de concilier des visées temporelles très différentes. Ce faisant, il étudie les avantages et inconvénients du recours à l’action en justice dans le cadre des mouvements sociaux.
Par différents prismes et mécanismes, ce dossier fait ainsi miroiter les différentes facettes des rapports entre droit et temporalités, en examinant comment le droit contribue à construire les rapports aux temps et comment, en retour, les temporalités encadrent aussi le droit.
Outre ce dossier, ce numéro est également riche de plusieurs articles « varia », une « Question en débat » sur l’évolution de l’encadrement légal de l’avortement en France par Marie Mathieu ; deux « À propos » en hommage à Eugenio Bulygin, récemment disparu et dont la contribution à la théorie analytique du droit fut (et demeure) considérable, ainsi qu’une traduction d’un texte de James Boyd White, fondateur du mouvement Law & Literature, par Mireille Fournier.
Rédaction en chef de Droit et société : Pierre Brunet, professeur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Laurence Dumoulin, chargée de recherche CNRS, Pacte, Laboratoire de Sciences Sociales.