Les innovations méthodologiques peuvent-elles contribuer à faire progresser les recherches en paléoneurologie ?

Résultats scientifiques

Comment notre cerveau a-t-il évolué ? Pour répondre à cette question, et en l’absence de tissu mou dans le registre fossile, il faut s’intéresser à l’analyse des crânes, souvent incomplets, de nos ancêtres et parents éloignés. L’avancée dans notre connaissance du cerveau humain se heurte alors à des difficultés, à la fois méthodologiques et conceptuelles, qui nécessitent de se tourner vers d’autres disciplines. C’est dans ce cadre que des chercheuses CNRS ont réuni, lors d’un colloque international organisé en novembre dernier, des équipes issues de différents horizons disciplinaires.  Les résultats des échanges viennent d’être publiés dans un numéro spécial de la revue de l’IFAS-Recherche, Lesedi. Ils montrent qu’une approche pluridisciplinaire intégrant les outils de l’intelligence artificielle est à privilégier pour aller plus loin dans notre compréhension de l’organisation du cerveau humain fossile et actuel.

Pour comprendre comment notre cerveau a évolué, identifier les caractéristiques qui le distinguent de celui des chimpanzés et bonobos — nos plus proches parents — et déterminer comment elles sont apparues, il faut s’intéresser aux fossiles documentant les sept derniers millions d’années de notre évolution. Contrairement à l’os et aux dents, les tissus mous de l’organisme sont rarement conservés. Les seules informations disponibles sur la structure anatomique du cerveau de nos ancêtres et parents reposent sur les impressions que celui-ci laisse sur la surface interne de la boîte crânienne (c’est-à-dire l’endocrâne). Mais ces empreintes restent difficiles à décrire, analyser et interpréter.

figure

© IFAS-Recherche

Dans ce contexte, le projet « EndoMap: Mapping the brain of our ancestors »1 , porté par les chercheuses CNRS Amélie Beaudet, membre du Laboratoire Paléontologie Évolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie (PALEVOPRIM, UMR7262, CNRS / Université de Poitiers),  et Caroline Fonta, membre du Centre de Recherche Cerveau et Cognition (CerCo, UMR5549 / CNRS / Université Toulouse Paul Sabatier), a été développé afin de mettre au point de nouveaux outils permettant une relecture des endocrânes fossiles. Même si cette approche s’est révélée fructueuse, l’avancement des travaux d’EndoMap a fait face à des obstacles à la fois méthodologiques et conceptuels, comme par exemple des données manquantes, de faibles échantillons ou encore une forte variabilité interindividuelle. Les chercheuses ont alors pointé la nécessité de se tourner vers d’autres disciplines.

C’est tout l’enjeu du colloque international et interdisciplinaire « BrAIn Evolution : Palaeosciences, Neuroscience and Artificial Intelligence », organisé par les deux chercheuses à Johannesburg, les 22 et 23 novembre 2023, en collaboration avec l’Institut Français d’Afrique du Sud (IFAS-Recherche)2 . Le colloque a permis de réunir des spécialistes des universités du Witwatersrand (Afrique du Sud), de Cape Town (Afrique du Sud), de Cambridge (Royaume-Uni), de Toulouse et de Poitiers, et d’échanger sur l’apport des nouvelles technologies telle que l’intelligence artificielle, et des disciplines comportementales telles que la psychologie ou la bioarchéologie.

 

figure

Le colloque intitulé “ BrAIn Evolution: Palaeosciences, Neuroscience and Artificial Intelligence » a eu lieu à Johannesbourg les 22 et 23 Novembre 2023 à l’Institut Français d’Afrique du Sud. Il fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Lesedi. © IFAS-Recherche

La revue de l’IFAS-Recherche, Lesedi, consacre un numéro spécial aux réflexions menées par ce groupe de travail interdisciplinaire. On y retrouve notamment les initiatives pionnières menées en Afrique du Sud, dans les grottes du « Berceau de l’Humanité », avec l’exploration des cavités et la recherche de nouveaux dépôts fossilifères assistée par des robots équipés de LiDAR (télédétection par laser), capables de s’adapter aux conditions de terrain grâce à l’intelligence artificielle. On y apprend aussi comment les outils d’imagerie développés en neuroscience sont réinvestis dans l’étude du cerveau des spécimens fossiles. Leur utilisation permet en effet de constituer des atlas virtuels et des cartes de densité révélant toute la complexité de la neuroanatomie de nos ancêtres. Le numéro revient également sur le succès des recherches menées sur le cerveau actuel, notamment autour du vieillissement cérébral, à travers le recours aux méthodes d’apprentissage automatique. Ces travaux ouvrent des perspectives prometteuses sur le réexamen des crânes fossiles ayant préservé des informations cérébrales partielles. Une voie déjà empruntée pour l’analyse du reste du squelette de nos ancêtres et sur laquelle les scientifiques reviennent dans ce numéro, renforce la nécessité de faire appel à de tels outils en paléontologie. Au-delà de la description anatomique, ces données issues de la mise en œuvre d’outils de l’IA sont cruciales pour reconstituer les capacités cognitives de nos ancêtres et parents éloignés. Ce que démontrent les études du comportement des primates actuels et fossiles et dont fait état ce numéro spécial.

Le colloque « BrAIn Evolution : Palaeosciences, Neuroscience and Artificial Intelligence »  a permis de développer de nouvelles collaborations franco-sud-africaines, avec notamment un projet autour de l’intelligence artificielle et les jumeaux numériques en paléontologie, soutenu par la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires (MITI) du CNRS.

  • 1Projet soutenu par la National Research Foundation of South Africa, l’Ambassade de France en Afrique du Sud, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
  • 2L’Institut Français d’Afrique du Sud (Umifre25) est une composante de l’unité Afrique au Sud du Sahara (UAR3336, CNRS / MEAE).

Référence

Lesedi, # 26, IFAS-Recherche, mai 2024

Contact

Caroline Fonta
Directrice de recherche CNRS, Centre de Recherche Cerveau et Cognition
Amélie Beaudet
Chaire Professeure Junior CNRS, Laboratoire Paléontologie Évolution Paléoécosystèmes Paléoprimatologie