Les Archives de sciences sociales des religions et la politique de science ouverte

La revue Archives de sciences sociales des religions (ASSR) est un projet intellectuel indissociable d’une histoire collective, marquée à son origine en 1956 par une volonté d’ancrer l’analyse des faits religieux dans les débats et les méthodes des sciences sociales, en rupture avec une sociologie de type pastoral davantage conçue comme un outil au service des Églises. Le regard sociologique (le premier nom de la revue fut Archives de sociologie des religions) a progressivement cédé la place à un éventail de disciplines, ce qui se reflète également dans le nom actuel adopté en 1973. En effet, l’une des caractéristiques de la revue est son étendue disciplinaire, autour d’un objet d’étude commun.

Revue à comité de lecture, les ASSR publient chaque année au mois de janvier un bulletin bibliographique, et en avril, juin et novembre des numéros thématiques ou des varia qui portent sur toutes les religions et toutes les aires culturelles, avec un esprit comparatif et réflexif.

Le travail éditorial est porté par le bureau de rédaction — composé par les directeurs et directrices et par les rédacteurs et rédactrices en chef qui se réunissent mensuellement — en collaboration avec le comité de rédaction. Ce dernier se réunit tous les deux mois, avec un rôle de discussion et délibération collectives sur les axes de développement et de réflexion de la revue. Une fois par an, les instances de la revue se rassemblent en assemblée générale — lors de laquelle le bureau fait un compte rendu sur les activités de l’année — et prennent un certain nombre de décisions — notamment l’élection de nouveaux membres.

Ce fonctionnement collectif est facilité par des liens forts et historiques avec plusieurs centres : le Centre d'études en sciences sociales du religieux (Césor, UMR8216, CNRS / EHESS), le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL, UMR8582, CNRS / EPHE-PSL) et différents centres d’études aréales à l’EHESS où la religion est un objet clé pour de nombreux chercheuses et chercheurs.

Les Archives de sciences sociales des religions, c’est aussi un projet éditorial, porté par les Éditions de l’EHESS avec le soutien du CNRS. En tant que tel, comme nous l’écrit Étienne Anheim, directeur des Éditions de l’EHESS, à l’occasion de cet article, « [...] les ASSR sont confrontées, comme toutes les revues, aux grandes transformations du monde de l’édition scientifique à l’œuvre depuis le tournant numérique des années 2000. Accessibles sur Cairn depuis plus de quinze ans, les ASSR sont en effet aujourd’hui à l’avant-garde de la réflexion sur la diffusion en ligne. Dans le cadre de l’attention portée par les Éditions de l’EHESS à la science ouverte, qui va de la disponibilité gratuite du catalogue ancien en cours de numérisation à la construction d’un pôle de revues numériques en accès ouvert, les ASSR sont l’une des deux revues historiques de l’EHESS (avec Histoire et mesure) à tenter l’expérience de l’accès ouvert à partir de 2023, en étroite concertation avec le CNRS. La revue est désormais accessible sans barrière mobile, sur la plateforme Cairn, tout en continuant à défendre l’importance d’une édition papier et la complémentarité de ces deux supports pour la plus large diffusion possible au niveau international et au-delà du monde académique. »

Les ASSR sont désormais immédiatement consultables par tous les utilisateurs de la plateforme OpenEdition, acteur français majeur de l’écosystème Diamant, qui n’implique de paiement ni pour les auteurs ni pour les lecteurs. Une partie de nos ressources proviennent également des redevances numériques (Jstor et Cairn.info). Dans le même temps, les éditions de l’EHESS continuent à défendre l’importance d’une édition papier et la complémentarité de ces deux supports pour la plus large diffusion possible. En 2023, la revue comptait ainsi 252 abonnements papier dans vingt-quatre pays.

D’un point de vue pratique, la diffusion en mode « Diamant » rend la revue immédiatement accessible à un public plus large et plus international que celui des utilisateurs des portails institutionnels français. Elle permet de réduire les inégalités d’accès liées aux statuts professionnels ou aux ressources financières, variables notamment selon les pays. En 2023, la revue a enregistré 707 831 visites et plus de 170 000 téléchargements uniques. Seulement 44 % des visites venaient de France, 59 % d’Europe, 10 % d’Amérique du Nord, 24 % d’Afrique.

Cette diffusion internationale vient conforter la politique scientifique de la revue : les Archives de sciences sociales des religions publient des articles en français, anglais et espagnol, ce qui devient de plus en plus rare dans le panorama éditorial actuel. La revue s’appuie sur un conseil scientifique international et encourage l’élaboration de numéros thématiques associant chercheurs et chercheuses français et étrangers.

Le passage des ASSR au modèle de l’accès ouvert « Diamant » en 2023 peut être compris comme la convergence de ces deux projets, intellectuel et éditorial ; et comme l’expression d’une ambition scientifique partagée par l’équipe éditoriale de la revue, l’EHESS et CNRS Sciences humaines & sociales.

Pour l’équipe éditoriale — dirigée jusqu’en 2023 par Denis Pelletier, auquel nous avons succédé en février dernier — cette ouverture accompagne et renforce une politique scientifique de décloisonnement de l’objet « religions ». Cette politique est inspirée à la fois par le geste fondateur de 1956 et par les évolutions récentes du champ académique. La question religieuse est en effet saisie aujourd’hui à partir de plusieurs perspectives disciplinaires et de problématiques scientifiques : histoire sociale, sciences politiques, anthropologie de la globalisation, sociologie de l’autorité, études de genre ou des rapports sociaux de race, etc. Plus qu’une spécialité, l’analyse du religieux en sciences sociales apparaît comme un point pivot. L’ambition de la revue est de se situer au point de rencontre entre ces différentes approches, à l’échelle nationale et internationale, afin de contribuer à une pleine compréhension des faits religieux comme faits sociaux.

Cette volonté de promouvoir la réflexion des sciences sociales à partir de l’objet « religions » s’est déclinée récemment dans des appels à articles élaborés collectivement et largement diffusés. Plus de cinquante chercheurs et chercheuses de toutes origines ont répondu à l’appel lancé en début d’année sur le thème « Religions et nationalismes », sous la coordination de trois membres du bureau, Marie-Paule Hille, Aminah Mohammad-Arif et Paul Zawadzki. La préparation de ce dossier et les discussions collectives passionnantes sur ce thème crucial dans le contexte social et politique actuel nous rappellent une fois de plus le point d’observation privilégié qu’offre le fait religieux aux sciences sociales. Le passage en accès ouvert permettra de lever les derniers obstacles matériels pour mener ces échanges au sein d’un vaste espace scientifique, transcendant les barrières disciplinaires et nationales.

Yannick Fer et Margherita Trento, codirecteur et codirectrice de la rédaction

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