Quand l’archéologie devient politique : les sites d’art rupestre dans les revendications d’autochtonie en Afrique du Sud

Résultats scientifiques Archéologie

Quel rôle jouent les sites d'art rupestre dans la construction de l'indigénéité en Afrique du Sud ? Des travaux menés par une équipe de recherche internationale retracent l’évolution des usages politiques de deux sites d’art rupestre dans la fabrique d’une autochtonie. En analysant les discours portant sur les objets archéologiques dans le contexte des revendications post-apartheid, les chercheurs révèlent comment ces sites sont devenus des leviers de revendication identitaire et politique, et mettent en lumière l’articulation entre héritage précolonial et enjeux postcoloniaux. Les résultats de cette recherche, qui mobilise des données empiriques collectées depuis 2009 en Afrique du Sud, viennent de donner lieu à la parution d’un article dans le Journal of Social Archaeology.

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Gravures rupestre sur le site de Wildebeest Kuil, 2023 © Mélanie Duval

Depuis la fin de l’Apartheid, les revendications des populations Khoe et San en Afrique du Sud sont devenues de plus en plus présentes dans le débat public. Ces groupes, dont les langues et les traditions ont été en grandepartie effacées au fil des siècles de colonisation, cherchent aujourd'hui à retrouver leurs racines et à faire reconnaître leurs droits. Malgré quelques avancées légales, les Khoe et San ne sont toujours pas officiellement considérés comme des peuples autochtones. Ce manque de reconnaissance officielle s’inscrit dans l'ambiguïté d’une politique sud-africaine qui, tout en mettant en avant l’importance de l’histoire précoloniale des Khoe et San dans le récit national, leur refuse un statut particulier. Pour approfondir cette question, Hugo Quemin et Mélanie Duval, respectivement doctorant et chargée de recherche CNRS au sein du laboratoire Environnement dynamique et territoires de la montagne (EDYTEM, UMR5204, CNRS / Université Savoie Mont Blanc), et Romain Lahaye, postdoctorant au Laboratoire d'archéosciences et sciences du patrimoine de l’université de Sherbrooke (Canada), ont réalisé une étude qui s’appuie sur plus de dix années de recherches menées en Afrique australe, principalement autour de deux sites d’art rupestre emblématiques : Game Pass Shelter, situé dans la province du KwaZulu-Natal, et Wildebeest Kuil, dans le Northern Cape. Ces sites, reconnus et mis en tourisme pour leurs peintures et gravures précoloniales, sont aujourd'hui utilisés comme des outils dans les luttes identitaires et politiques des Khoe et San. 

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Panneau principal du site de Game Pass, 2023 © Mélanie Duval

Sur la base d’entretiens, d’observations et d’analyses de documents officiels, cette recherche explore comment ces sites d’art rupestre sont intégrés dans les démarches de reconnaissance de l’autochtonie. Les chercheurs montrent comment l’héritage précolonial de ces peintures est réutilisé dans un contexte postcolonial pour soutenir les revendications contemporaines des Khoe et San. L’art rupestre ne se résume pas à un simple vestige du passé ; il devient, dans les discours, un symbole et un moyen stratégique pour négocier une place dans la société actuelle. En adoptant une perspective processuelle, l’équipe de recherche fait également le constat que l’autochtonie n’est pas un fait figé dans le passé, mais davantage le résultat d’un projet en cours de construction, activement revendiqué. Ce projet repose sur des discours qui s’appuient à la fois sur des lieux et sur des objectifs politiques de reconnaissance et de justice.

Ainsi, cette étude entame une réflexion sur l'importance de l’art rupestre dans la formulation des revendications autochtones. Les Khoe et San — ainsi que de nombreux peuples à travers le monde — n'aspirent pas seulement à être reconnus pour leur histoire ; ils cherchent à s’affirmer comme des acteurs contemporains dans la lutte pour leurs droits. Dans cette situation, l’’art rupestre devient un moyen d’exprimer une présence dans le paysage socio-politique sud-africain. En examinant ces usages politiques, les chercheurs souhaitent contribuer à une meilleure compréhension des dynamiques de reconnaissance de l’autochtonie dans un pays marqué par une histoire difficile.

S’appuyant sur des campagnes d’observation régulières et répétées depuis 2009, ce travail a bénéficié de plusieurs supports financiers : bourse de recherche post-doctorale de la National Research Foundation (NRF) et de l’université de Witwatersrand (2009-2011), projet de recherche VULNERABILIS, financements IRD (2012-2013), mobilités de recherche de l’IFAS-Recherche en 2014 et en 2017 et actuellement le projet de recherche ANR COSMO-ART.

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De gauche à droite : le chef du clan Duma, deux journalistes, un représentant |Xam, un représentant ‡Khomani San et un représentant Khoe (Griqua), 2010 © Mélanie Duval

Référence :

Quemin H., Duval M., Lahaye R. 2024, Claiming rock art, claiming indigeneity: Spaces and scales of recognition in Khoe and San identity claimsJournal of Social Archaeology0(0) 

Contact

Mélanie Duval
Chargée de recherche CNRS, Environnement dynamique et territoires de la montagne, Rock Art Research Institute / University of the Witwatersrand (Johannesburg)