Appartements témoins

La spoliation des locataires juifs à Paris, 1940-1946
Histoire
Sociologie
Auteur(s)
Isabelle BACKOUCHE, Sarah GENSBURGER & Eric LE BOURHIS
Publication
janvier 2025
Appartenance
Centre de sociologie des organisations (CSO)
Éditeur
La Découverte

À l’occasion du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, et à la faveur d’archives inédites, ce livre raconte, rue par rue, l’histoire d’une spoliation passée sous silence mise en œuvre par les autorités françaises et allemandes, et entérinée par la IVème République. Celle de dizaines de milliers de Parisiens juifs et locataires qui, remplacés par des non juifs, ont perdu le droit d’habiter leur logement. Les auteurs montrent la convoitise autour de ces appartements et retracent une histoire méconnue qui met en lumière la participation de la société parisienne.

À l’heure de la Libération, le retour à la vie ordinaire n’a pas été facile pour la grande majorité des juifs de la région parisienne qui ont survécu à la guerre. Sur une population de quelque 200 000 juifs avant 1940, 40 000 ont été tués. Pour survivre, les autres ont massivement quitté leur domicile, pour la zone libre, la province ou une autre adresse dans la capitale. À leur retour, ils ont trouvé leur appartement occupé par des familles non juives. Contrairement à une croyance encore tenace, l’installation des nouveaux locataires n’a pas été spontanée mais s’est faite sous l’égide des autorités de Vichy, épaulées par les Allemands. Son étude invite ainsi à reconsidérer plusieurs pans de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en France.

Appuyé sur dix ans d’enquête et sur la découverte d’un fonds d’archives oublié, ce livre raconte cette dépossession, ignorée des travaux historiens, à la croisée entre l’histoire de la Shoah et celle du logement. Une politique publique a été instaurée pour satisfaire une population parisienne en mal de logements et reloger les sinistrés des bombardements alliés. L’arsenal de l’exclusion des juifs a été mis au service du fonctionnement d’un marché immobilier où l’on croise propriétaires, fonctionnaires, sinistrés, voisins, concierges et clients « pistonnés », en bref la société parisienne dans toute sa diversité. Cette spoliation est décrite à partir de milliers de documents d’archives ordinaires de la Préfecture de la Seine, de lettres éplorées et formulaires discriminants. Et bien au-delà de la Libération, un antisémitisme virulent s’exprimera autour de ces logements, le retour des juifs perturbant les arrangements du temps de l’Occupation : la République restaurée œuvrera finalement à limiter leur droit au retour. À ce titre, ces appartements sont les témoins des mécanismes qui ont permis l’élimination des juifs de la société parisienne. Cet ouvrage leur donne enfin la parole, à la faveur d’une écriture narrative et d’une déambulation dans les rues de la capitale.

À propos des auteurs

Isabelle Backouche est historienne de l’urbain à l’EHESS (CRH). Elle a publié plusieurs ouvrages, dont Paris transformé. Le Marais 1900-1980. De l’îlot insalubre au secteur sauvegardé (Créaphis, 2016).

Sarah Gensburger est sociologue de la mémoire au CNRS/Sciences Po Paris (CSO). Elle a publié plusieurs ouvrages de sociologie et d’histoire, dont Qui posent les questions mémorielles ? (CNRS Éditions, 2023) et Images d’un pillage. Album de la spoliation des Juifs (Paris, 1940-1944) (Textuel, 2010).

Eric Le Bourhis est historien de l’urbain à l’Inalco (CREE). Il a co-dirigé Seeking Accountability for Nazi and War Crimes in East and Central Europe: A People’s Justice? (University of Rochester Press, 2022).