Alimentation, corps et santé

La Lettre Archéologie Droit Sociologie Economie/gestion

Ce dossier spécial ouvre une fenêtre sur la richesse et l’importance des travaux des sciences humaines et sociales portant sur l’alimentation. Ces travaux sont à la fois anciens et renouvelés dans le contexte actuel, au vu des enjeux sanitaires, économiques et sociaux, mais aussi climatiques et plus largement environnementaux liés à la manière de produire et consommer les aliments. Les recherches en SHS montrent le rôle majeur de la nourriture dans la vie sociale : la façon dont elle est préparée, consommée et partagée est liée aux trajectoires individuelles, à la position sociale, à l’identité culturelle et aux convictions religieuses ou politiques. Volontiers pluri voire interdisciplinaires, ces recherches éclairent les comportements et pratiques individuelles. Elles analysent aussi les politiques publiques conduites en la matière, qu’elles participent à faire évoluer.

De ce point de vue, l’historienne Marilyn Nicoud nous montre que, bien avant le Programme national nutrition santé gouvernemental (2001), la nutrition était déjà considérée comme importante pour la prévention des maladies par la médecine antique et médiévale. Dès cette époque, des traités de médecine cherchent à « éduquer » leurs lecteurs à ce que serait pour eux une « bonne alimentation ».

Les injonctions en la matière se sont sensiblement renforcées dans le temps. Le sociologue Tristan Fournier explique que la réception de ces injonctions dépend à la fois du genre et de la position sociale des individus. Entre injonctions sociales et préférences individuelles, l’acte alimentaire atteste d’un « travail de soi sur soi » plus ou moins réussi et satisfaisant. Il relève en quelque sorte de l’« optimisation de soi ».

Les troubles alimentaires sont aussi l’objet de nombreux travaux. À la croisée de la sociologie et de l’anthropologie, Jean-Pierre Poulain présente ici le résultat de ses recherches en la matière. Il éclaire l’origine des troubles alimentaires, en mettant en évidence le rôle joué par les interactions sociales dans les processus d’intériorisation des normes et injonctions ; il explore dès lors la prise en charge familiale de ces troubles dans le cadre de stratégies d’éducation alimentaire renouvelées. L’économie comportementale s’intéresse aussi de près aux enjeux d’alimentation publique et de santé publique. Les recherches sur l’obésité de Noémi Berlin montrent ici que, en intégrant à la fois les facteurs d’influence psychologiques et économiques, l’économie comportementale éclaire aussi les mécanismes de prise de décisions alimentaires. En termes de politiques publiques, la chercheuse identifie des leviers efficaces pour modifier les comportements alimentaires, comme les incitations financières, voire les nudges (Nutriscore par exemple).

Les recherches sur l’alimentation et la santé se déclinent aussi selon les âges de la vie. Séverine Gojard et Marie Plessz, en analysant plus particulièrement les liens entre alimentation et vieillissement, nous montrent par exemple combien le vieillissement affecte graduellement l’alimentation de l’individu en parallèle de l’évolution de ses goûts, de ses activités, de sa santé, mais aussi son environnement. Les deux sociologues prônent ainsi une approche dynamique du vieillissement.

L’alimentation n’échappe pas non plus à la mondialisation. Les pratiques alimentaires se diversifient sous l’effet du « métissage » progressif des cultures culinaires et l’amplification de ce que Gilles Fumey désigne comme des échanges « nutri-culturels ». Dans ce contexte, le géographe souligne aussi que l’acte de s’alimenter est loin d’être dépourvu d’affect : il nous rattache tous de manière très intime à un lieu déterminé, avec l’histoire et la culture qui lui sont attachées.

Pour autant, en dépit de l’importance des enjeux qui ont trait à l’alimentation, lesquels dépassent largement le corps et la santé, les produits alimentaires demeurent appréhendés dans le commerce international comme des marchandises « ordinaires ». Le droit à une alimentation saine et durable, que la juriste Elisabeth Lambert appelle de ses vœux, ne fait pas encore partie de notre droit positif.

Sandrine Maljean-Dubois, DAS InSHS