Apprend-on à parler de la même façon partout dans le monde ?
7 000 langues sont parlées dans le monde dans des cultures diverses. Pourtant un peu plus de la moitié des études sur l’acquisition de la langue maternelle portent sur des enfants qui apprennent une seule langue, en général l’anglais, aux États-Unis. Comment savoir, dès lors, si l'apprentissage de la langue maternelle suit un processus universel ? Des chercheuses et des chercheurs du Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique (UMR8554, CNRS / EHESS / ENS-PSL) et du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology ont étudié les expériences vocales des enfants de l'île de Malakula (Vanuatu) où le multilinguisme est la norme. Les résultats de leur étude, parus récemment dans la revue Developmental Science, mettent en évidence l'importance d’observer des enfants de cultures diverses pour décrire le processus de développement du langage.
L'apprentissage du langage est universel. Il n'existe pas de culture humaine sans langage, et dans chaque population, les enfants apprennent tout naturellement la ou les langues utilisées par leur entourage. Or, les populations — et les langues qu'elles utilisent — sont extrêmement variées. Comment notre appareil cognitif arrive-t-il à s'adapter à chaque situation ?
L’équipe « Acquisition du Langage à travers différentes Cultures », du Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique a pour objectif de décrire fidèlement les expériences linguistiques des enfants dans le monde entier. En collaboration avec l'anthropologue Heidi Colleran, responsable du groupe BirthRites au Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Alejandrina Cristia, directrice de recherche CNRS, et Lucas Gautheron, doctorant, ont étudié les expériences vocales des enfants qui grandissent sur l'île de Malakula de l’archipel du Vanuatu dans le Pacifique Sud, où le multilinguisme est la norme.
Heidi Colleran a tout d’abord contacté des familles de l’île qu'elle visitait souvent dans le cadre de ses études sur la reproduction et la place de femmes dans les sociétés. Celles-ci ont accepté de participer à cette étude, conscientes (et fières) d’habiter une île ayant la plus grande densité linguistique au monde (plus de 40 langues, environ une langue par 50 km2). Au total, trente-huit enfants âgés de 5 à 33 mois, provenant de onze villages différents, ont été observés et vingt-deux langues ont été enregistrés. D'après leurs parents, ces enfants entendent en moyenne trois langues et jusqu'à huit pour certains d’entre eux.
Pour recueillir des données, l’équipe a utilisé un appareil d'enregistrement de la taille d'une clé USB que les enfants portaient sur eux toute la journée. Un dispositif très efficace car peu intrusif : l’appareil est disposé sur le vêtement de l’enfant, lui évitant de limiter ses déplacements. Il produit ainsi des enregistrements sur la durée, par ailleurs très significatifs puisque l’enfant ne modifie en rien ses occupations habituelles. C’est d’autant plus important dans des populations où les enfants sont gardés par plusieurs personnes tout au long de la journée et où ils ont la liberté d'aller jouer avec d’autres enfants dès qu'ils arrivent à marcher.
Le système d'analyse automatisé basé sur l'intelligence artificielle et développé par cette équipe de recherche a ainsi révélé que, tout interlocuteur confondu, le temps de parole total (toutes langues confondues) qu'un enfant entendait était de onze minutes par heure ; c’est cinq minutes de moins que celui relevé au sein des populations monolingues et anglophones étudiées jusque-là. En revanche, les jeunes enfants de l’île vocalisent à un rythme comparable à celui des enfants de populations habituellement étudiées.
Ces deux résultats combinés suggèrent une grande stabilité en matière de vocalisations malgré des différences de temps de parole entendu. Ils invitent à aller plus loin pour mieux comprendre quelles expériences permettent et facilitent le développement du langage dans des populations diverses.
Référence
Cristia A., Gautheron L., Colleran H., Dr. 2023, Vocal input and output among infants in a multilingual context: Evidence from long-form recordings in Vanuatu, Developmental Science.