BIOLOOP, laboratoire de nouveaux polymères biosourcés pour une économie circulaire

La Lettre Economie/gestion

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Nathalie Lazaric est directrice de recherche CNRS au sein Groupe de recherche en droit et en économie et gestion (GREDEG, UMR7321, CNRS / Université Côte d’Azur). Ses travaux de recherche portent notamment  sur les routines organisationnelles, les dynamiques d'innovation et la théorie évolutionniste. Elle est l’une des coordinatrices du projet interdisciplinaire BIOLOOP, laboratoire de nouveaux polymères biosourcés pour une économie circulaire, qui bénéficie d’un soutien de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS.

Contexte

Quels seront les nouveaux polymères et plastiques de demain ? Les nouvelles trajectoires — c'est-à-dire les compromis techno-économiques pour développer une option technologique au sein d'un paradigme scientifique — issues des matériaux biosourcés, sont-elles une alternative viable pour notre empreinte écologique ? Que désigne-t-on par polymère biosourcé ? sY a-t-il plusieurs familles de polymères biosourcés ? Pourquoi ces innovations restent-elles confidentielles et ne représentent que 1 % du marché total des plastiques au niveau mondial ? Quels sont les éléments de blocage et les verrous ? Face à l’ensemble de ces défis, BIOLOOP s’appuie sur des compétences en chimie et en économie de l’innovation, en lien avec l’Institut des Matériaux Polymères (IMP, UMR5223, CNRS / Institut national des sciences appliquées de Lyon / Université Claude Bernard Lyon 1 / Université Jean Monnet Saint-Étienne), le laboratoire Triangle. Actions, Discours, Pensée politique et économique (UMR5206, CNRS, ENS de Lyon / Université Lumière Lyon 2 / Sciences Po Lyon) et le Groupe de recherche en droit et en économie et gestion (GREDEG, UMR7321, CNRS / Université Côte d’Azur). La force de frappe de l’interdisciplinarité n’est pas un luxe, mais bel et bien une nécessité pour aller plus loin dans la recherche.

La genèse du projet

À l’origine de BIOLOOP, des liens existants ( ?) et réels entre deux équipes d’économistes (Triangle et GREDEG) partageant la même vision de l’innovation, le même cadre permettant de gagner du temps et de se faire confiance, avec des publications communes et des travaux antérieurs. De manière concomitante, nous avions déjà travaillé sur les nouveaux polymères. Au GREDEG, nous avions initié des travaux sur des polymères biosourcés à base de marc de café, en partenariat avec l’Institut de Chimie de Nice (ICN, UMR7272, CNRS / Université Côte d’Azur). Au sein de Triangle, Olivier Brette avait quant à lui collecté des données sur les nouveaux plasturgistes dans la région lyonnaise. Ces compétences préalables se sont vite révélées un atout majeur quand l’IMP nous a contactés pour réaliser les recherches qui allaient aboutir à BIOLOOP quelques mois plus tard. L’IMP, de son côté, était désireux de mieux comprendre les innovations et leur moteur et, plus précisément, la manière et les critères utilisés pour juger de la pertinence d’une innovation. Peut-on (ou pas) accélérer certaines options technologiques dans les biosourcés et, si oui, quelle voie sélectionner dans la myriade des nouvelles molécules disponibles ?

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Les polymères biosourcés ont déjà envahi notre quotidien

Objectifs

Polymère biosourcé, biopolymère et plastique biosourcé appartiennent à la catégorie des bioplastiques qui désigne des matériaux issus de matière première naturelle renouvelable valorisant des coproduits de l’agriculture ou de l’industrie agroalimentaire. On connaît notamment le PLA qui valorise les déchets non alimentaires du maïs, ou les bioplastiques composés à partir de coproduits de canne à sucre. Dans un plastique biosourcé, les polymères issus du pétrole sont remplacés par des polymères issus du végétal (ou d’une autre ressource renouvelable).

Le premier objectif a été de comprendre ensemble l’état de l’art technologique et d’identifier deux trajectoires distinctes au sein de la famille biosourcée. En effet, il faut imaginer un biosourcé à partir d’une trame à plusieurs fibres. Dans la première trajectoire, on préserve la trame classique (dite « pétro » sourcée) et on incorpore de nouvelles molécules réalisées à partir de déchets végétaux (déchets agricoles, maïs, canne à sucre, blé, en autres options). On combine du neuf avec de l’ancien pour réduire la dépendance au pétrole et aller vers les biosourcés en « douceur ». Cette option, celle des compromis, permet aux recycleurs et autres acteurs de la filière de ne pas réinvestir dans de nouvelles machines lorsque ces plastiques sont recyclés. Ces polymères « mixtes » sont en effet recyclés comme des plastiques classiques.

La seconde trajectoire, la plus audacieuse, est celle des polymères biosourcés biodégradables, c’est-à-dire réalisés à partir de molécules 100 % végétal. Elle repose sur d’autres options végétales avec des nouvelles plateformes de molécules combinées entre elles. Elles peuvent être issues des déchets verts (blé, bois, pomme de terre) ou d’autres types de déchets comme les algues noires invasives ou encore issues de la caséine de lait. Dans ce dernier cas, il existe de nouvelles combinaisons de plastiques qui ne sont plus 100 % issus du végétal et c’est aussi un retour aux sources car l’un des premiers plastiques, la bakélite, fut créé en 1920 à partir de la caséine de lait. Aujourd’hui, ces plastiques biodégradables servent de film alimentaire pour les industriels et se substituent aux films « pétro » sourcés. Cette innovation représente un double défi. Le premier défi est le choix de la molécule verte qui ne doit pas être en concurrence avec les ressources alimentaires, au risque de créer des tensions autour des matières premières agricoles. Le second défi est leur incorporation dans les circuits traditionnels industriels et de recyclage. Les matières étant différentes, il faut faire de nombreuses expérimentations ce qui peut être un frein pour les acteurs faiblement motivés. Les recycleurs montrent peu d’intérêt face à ces nouveaux plastiques — dont les volumes restent encore trop faibles pour être suffisamment « valorisés » — et rechignent à les utiliser. Par conséquent, à court terme, ceci engendre un nouveau paradoxe si les biosourcés, censés être plus « vertueux », ne passent pas l’étape du recyclage.

Le second objectif, au sein de BIOLOOP, est la sélection d’options avec des trajectoires qui ne sont pas au même niveau. Les filières « pétro » sourcées bénéficient de quarante ans de développement et de travaux en vue de leur amélioration, et ont forcément plus de chances de continuer à se développer et à perdurer. Les biosourcés biodégradables sont jugés plus immatures et plus déstabilisants dans les processus traditionnels, d’autant que les options sont diverses et multiples. Faut-il pour autant pousser les acteurs à opter pour la première trajectoire, solution intermédiaire et plus confortable pour tous sur le marché ?  L’enjeu est ici de réaliser des préconisations utiles non seulement pour aider les acteurs, mais aussi pour comprendre les niveaux d’actions possibles par rapport à leur état initial. Sont-ils prêts à réinvestir dans de nouvelles filières de recyclage et, si oui, dans quelles conditions et dans quel contexte ?

Enfin, le dernier objectif, est d’identifier la nature des verrous en place : sont-ils technologiques, organisationnels ou individuels ?

 

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Zoom sur l' amidon de pomme de terre  pouvant être utilisé pour les polymères biosoursés

Résultats

Pour démarrer notre collaboration, nous avons partagé nos connaissances et bâti une grille commune afin de mener des entretiens qualitatifs auprès des acteurs de la filière (entretiens encore en cours). L’IMP bénéficie d’un réseau vaste d’ex-doctorants et de collègues dans l’industrie et les start-ups permettant d’ouvrir des portes pour mener à bien ces interviews. Pour cela, deux stagiaires ont été embauchés. Leur présence au sein du même laboratoire (IMP) a permis de gagner du temps dans les échanges et de faciliter les liens. Dans ce contexte, l’ensemble des données empiriques collectées a été considérable et les résultats préalables des interviews ont permis d’affiner les hypothèses de départ.

Parmi les résultats obtenus, l’un des plus saillants a été de montrer que les verrous ne sont pas technologiques mais bel et bien d’ordre organisationnel. En effet, les options technologiques se déclinent à l’infini selon les polymères choisis. Il existe certes un obstacle lié au prix qui reste supérieur de plus de 10 à 20 % (surcoût pour la caséine du lait), mais ce prix est très variable selon les autres matériaux utilisés : du simple au double, voire plus. Le prix est un obstacle relatif car les acteurs se servent de l’image du végétal comme d’un outil de marketing et l’affiche pour valoriser leur image. Le surplus à payer est donc ainsi gommé par des vertus environnementales sur les produits.

Le verrou organisationnel au sein de la filière traditionnelle s’explique par les bases installées préexistantes. Les acteurs privés ne veulent pas revoir leurs installations. Le prix de la matière « vierge » comme le prix du pétrole est regardé à la loupe. Le coût de l’incinération et le prix de la collecte additionnelle sont critiques pour juger les investissements futurs à faire pour les biosourcés au niveau des industriels et recycleurs. Actuellement, les biosourcés sont souvent incinérés comme un déchet « classique » ce qui est un destin très loin de celui initialement prévu. Par ailleurs, la gestion des déchets et le partenariat public/privé étant territorialisé, la volonté des acteurs locaux à mettre en place de nouvelles filières de collecte est primordiale.

Plus précisément, nos résultats sont de deux ordres.  Ils soulignent, d’une part, les difficultés des options technologiques en début de cycle de vie et le manque de standard.  Ils démontrent, d’autre part, la nécessité d’identifier des acteurs locaux ou des « ambassadeurs » de la nouveauté acceptant la nouvelle donne pour le recyclage. La première trajectoire dite « mixte », et s’appuyant sur une option de transition, ne pose pas, quant à elle, des défis organisationnels majeurs car elle se glisse comme un gant dans l’existant.

De manière plus générale, nous soulignons les difficultés des options ou « niches » écologiques pour émerger et se diffuser dans le système existant. C’est un paradoxe, maintes fois souligné, dans la littérature sur la transition écologique démontrant les tensions de la transformation des systèmes existants et les fenêtres d’opportunités. Nos résultats affinent et contextualisent les modèles de transition écologique et apportent des éléments inédits et novateurs sur les verrous et routines organisationnelles limitant le développement de la filière.

Nous travaillons à l’heure actuelle sur plusieurs types de publications en chimie et en économie et avons, d’ores et déjà, lancé un numéro spécial sur ce sujet dans une revue en libre accès, Frontiers in Material, pour amorcer le cycle de nos publications communes dans ce domaine.

Contact

Nathalie Lazaric
Directrice de recherche CNRS, Groupe de recherche en droit, économie et gestion, directrice du réseau thématique Déchets, valeurs et sociétés