Ce que les communs de la connaissance peuvent apporter aux politiques de l’édition scientifique
Chargée de recherche CNRS et directrice du Centre Internet et Société (CIS, UPR2000, CNRS), Mélanie Dulong de Rosnay a exploré le processus de publication en libre accès, en s’intéressant particulièrement à l’écosystème de la publication scientifique, aux droits d’accès, à l'infrastructure technique et à l'économie politique du travail d’édition scientifique. Ses travaux viennent de donner lieu à la publication d’un article dans Westminster Papers in Communication and Culture.
Une grande partie des publications scientifiques ne sont accessibles qu'à travers les abonnements très coûteux des bibliothèques universitaires. La pratique standard de nombreuses revues scientifiques exige que les auteurs transfèrent par contrat leurs droits d'auteur à l'éditeur, parfois sans pouvoir conserver le droit de diffuser la version finale de leur travail sur le site de leur laboratoire ou l’archive ouverte de leur institution (HAL pour le CNRS).
L'édition commerciale académique est l'une des industries les plus rentables avec des marges bénéficiaires à deux chiffres et parfois même des marges supérieures à 30 %. Cependant, la valeur ajoutée des éditeurs commerciaux peut être considérée comme faible, les universitaires se chargeant de la rédaction et de la plupart des tâches éditoriales sans être rémunérés ou — dans de rares cas — très peu.
Depuis les années 1990, différents modèles de libre accès ont été explorés par les revues éditées par les universitaires, les bibliothécaires, les sociétés savantes, les éditeurs commerciaux et à but non lucratif.
Mélanie Dulong de Rosnay s’est intéressée au processus de publication en libre accès sous l'angle théorique de la gouvernance des biens communs de la connaissance, dans la lignée des travaux d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009 pour son travail sur les conditions d’une bonne gouvernance des communs à partir de milliers de cas de communs naturels.
Dans l’article récemment paru dans la revue Westminster Papers in Communication and Culture, la chercheuse explique comment le cadre théorique et les principes de gouvernance des biens communs peuvent être appliqués aux différentes dimensions et étapes du travail d'édition scientifique, ainsi qu’aux différents types de ressources en accès libre, et aux modèles d’accès ouvert empruntant les voies dites verte (auto-archives ouvertes), dorée (revues ouvertes), diamant (revues ouvertes et sans frais pour les auteurs), platine (modèle diamant avec des services complémentaires facturés aux institutions afin de dégager une subvention), ou noire (les bibliothèques pirates comme Sci-hub).
À partir de pratiques de résistance et de plaidoyers, elle propose un répertoire d'actions individuelles, comme le refus de collaborer avec des revues qui ne pratiquent pas l’accès ouvert, et de politiques institutionnelles, par exemple l’adoption de politiques d’évaluation et de financement qui soutiennent ces choix, qui pourraient bénéficier à l’ensemble de l’écosystème de la publication scientifique, lectorat, autorat, revues et institutions comme les sociétés savantes et les bibliothèques en vue de gouverner l’édition scientifique et le libre accès comme un bien commun de la connaissance.
Référence
Dulong de Rosnay M. 2021, Open Access Models, Pirate Libraries and Advocacy Repertoires: Policy Options for Academics to Construct and Govern Knowledge Commons, Westminster Papers in Communication and Culture 16(1) : 46-64.