De nouvelles pistes sur les systèmes de communication non-humains grâce aux cris d’alarme des singes titis

Sciences du langage

Dans leur vie quotidienne, les humains utilisent des mots qui désignent des objets, des personnes, des situations ou des concepts : on appelle cela la référence. Étudier comment les animaux désignent les choses dans leur environnement peut nous permettre de comprendre comment la référence a évolué au cours du temps. Une équipe interdisciplinaire, impliquant des chercheurs de l’Institut Jean-Nicod (IJN, UMR8129, CNRS / ENS), du Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique (LSCP, UMR8554, CNRS / ENS / EHESS) et du Laboratoire de Cognition Comparée (Université de Neuchâtel), s’est intéressée au cas des singes titis et à la signification de leurs cris d’alarme. Les résultats ce ces travaux viennent de donner lieu à la publication d’un article dans la revue Sciences Advances.

Le singe titi est un modèle intéressant car il peut combiner deux cris d’alarme (le cri A et le cri B) en séquences qui varient non seulement selon le type de prédateur (aérien ou terrestre), mais aussi selon la localisation du prédateur (au sol ou dans la canopée). Dans cette étude, les chercheurs ont étudié comment les singes titis produisent et perçoivent les informations encodées dans les séquences de cris, en conduisant une série d’expériences sur des singes sauvages au Brésil.

Ils ont tout d’abord placé différents prédateurs empaillés au sol ou dans la canopée et ont enregistré les séquences de cris que les singes émettaient lorsqu’ils apercevaient ce prédateur. Ils ont ensuite joué ces cris aux singes et étudié comment ils réagissaient, afin de comprendre quelles informations les singes percevaient dans ces séquences et comment ils les extrayaient. 

L’étude confirme que les singes titis encodent, dans leur séquence, des informations sur le type et la localisation des prédateurs et que les singes qui entendent ces séquences comprennent ces informations. Les mécanismes impliqués dans la transmission de ces informations n’ont été décrits chez aucune autre espèce animale à ce jour !

Les singes titis utiliseraient plusieurs combinaisons de deux cris B dans une même séquence pour signaler un prédateur terrestre au sol ; à l’inverse, une séquence ne comprenant que peu de combinaisons de deux cris B ferait référence à un prédateur aérien dans la canopée. La réaction des singes qui écoutent ces séquences est tout à fait appropriée : moins il y a de combinaisons de deux cris B dans la séquence, plus ils regardent en l’air, comme s’ils cherchaient un prédateur aérien dans la canopée ; plus il y a de combinaisons de deux cris B dans la séquence, plus ils regardent vers le haut-parleur, comme s’ils cherchaient un prédateur terrestre au sol.

Bien que la plupart des éléments de notre environnement soient gradués, l’humain les classe en catégories. Par exemple, les couleurs d’un arc-en-ciel forment un continuum qui va du rouge au violet, mais les humains perçoivent sept bandes de couleurs : une information graduée (la couleur des arcs-en-ciel) est perçue de façon catégorique par les humains. Ainsi, jusqu’ici, la plupart des études sur la communication animale se sont concentrées sur les capacités de catégorisation, afin de chercher un parallèle entre l’animal et l’humain. Cependant, l’étude montre que les singes titis transmettraient des informations sur les événements extérieurs de façon probabiliste, c’est-à-dire que la proportion de combinaison de cris transmettrait une information graduée à propos d’événements qu’un humain pourrait qualifier de catégoriques et que les receveurs y répondraient aussi de façon graduée.

Cela suggère qu’il est trop anthropomorphique de chercher à étudier la communication catégorique des animaux. Peut-être ce mécanisme probabiliste est-il plus répandu que l’on ne l’imagine, ce qui expliquerait pourquoi nous avons du mal à comprendre les systèmes de communication non-humains lorsque nous les étudions avec notre approche catégorique. Si c’est le cas, alors ce système probabiliste constitue peut-être l’ancêtre de la communication catégorique de l’humain.

En conclusion, cette étude montre qu’il est important de chercher chez d’autres espèces des mécanismes de communication absents chez l’homme, afin de mieux comprendre ce qui rend le langage unique et comment il a évolué. 

Référence

Berthet M., Mesbahi G., Pajot A., Cäsar C., Neumann C., Zuberbühler K. 2019, “Titi monkeys combine alarm calls to create probabilistic meaning”, Science Advances, 5: eaav3991 (DOI : 10.1126/sciadv.aav3991).

Contact

Mélissa Berthet
Institut jean-Nicod