Difficultés d’apprentissage de nouveaux mots chez les prématurés modérés de 18 mois

Résultats scientifiques Sciences du langage

La prématurité impacte le développement précoce du langage. Qu’en est-il après une prématurité modérée à tardive ? Cette question est cruciale car les prématurés modérés représentent la majeure partie des prématurés dans le monde. Dans un article publié dans la revue Child Development, une équipe de recherche internationale aborde la question cruciale de savoir si la prématurité modérée à tardive a un impact négatif sur les capacités d’apprentissage associatif de nouveaux mots.

On sait peu de choses sur le développement du langage après une naissance prématurée modérée à tardive1 , le cas le plus courant de prématurité dans le monde. Des chercheurs de l’université de Barcelone, de l’hôpital Sant Joan de Déu (Barcelone) et du Laboratoire Parole et Langage (LPL, UMR7309, CNRS / AMU) ont utilisé un paradigme comportemental fréquemment utilisé pour mesurer l'apprentissage de nouveaux mots à un âge précoce afin de mieux caractériser l'impact de la prématurité modérée à tardive sur le développement d'une fonction essentielle de l'apprentissage du langage.

Plus précisément, ils ont recueilli des mesures de fixation visuelle dans une tâche d'apprentissage de paires minimales2  chez dix-huit enfants sains à terme et dix-huit enfants prématurés modérés à tardifs (âge gestationnel moyen à la naissance de 33,7 semaines) à 18 mois d'âge corrigé3 .

Alors que la reconnaissance des mots familiers était préservée, ils ont observé un impact négatif de la prématurité modérée à tardive sur la capacité à apprendre des paires minimales différant par une caractéristique acoustique assez difficile qu’est le temps de voisement de la consonne de la première syllabe des deux mots nouveaux bisyllabiques (bali et pali). Plus précisément, les chercheurs ont constaté que les enfants nés à terme pouvaient apprendre à associer les pseudo-mots formant une paire minimale à de nouveaux référents, alors que le groupe des enfants prématurés ne le pouvait pas.

image
Illustration de la procédure expérimentale montrant la phase d'habituation suivie de la phase de test. Après l’habituation, au cours de laquelle les enfants apprenaient à associer deux pseudo-mots formant une paire minimale à deux objets non familiers, ils ont été testés sur leur capacité à reconnaître, d’une part, des paires mot-objet familiers (panneau de gauche : essai de reconnaissance de mot familier) et, d’autre part, les associations nouvellement apprises (panneau de droite : essai d'apprentissage de mot nouveau).

Les résultats fournissent des preuves supplémentaires du rôle critique que la naissance prématurée modérée à tardive peut avoir sur l'interaction entre la perception phonétique précoce et le développement des mécanismes d'apprentissage associatif de base requis pour un développement optimal du langage. 

Le fait que les prématurés n'aient pas pu apprendre et reconnaître les paires minimales conforte non seulement les résultats d’études antérieures montrant que les prématurés peuvent avoir de faibles capacités d’encodage de la parole, mais cela suggère également que la prématurité modérée à tardive peut avoir un impact négatif sur l'apprentissage associatif des mots, en particulier lorsque les propriétés phonétiques des stimuli sont trop contraignantes.

image
Distribution des proportions de temps de regard (PLT, proportion of looking time) vers les cibles dans les essais de reconnaissance de mots familiers et d'apprentissage de mots nouveaux pour les enfants nés à terme (FT) et les enfants prématurés modérés à tardifs (L-MPT). Les points représentent la proportion de temps de regard moyen de chaque enfant. La ligne pointillée rouge indique le niveau de chance. * indique une différence significative.

Malgré une taille d'échantillon plutôt modeste, ces résultats montrent que les tâches d’apprentissage de paires minimales peuvent être un outil expérimental utile pour mieux comprendre l'impact d'une naissance prématurée sur les compétences linguistiques de base avant l'émergence de fonctions cognitives supérieures au cours du développement précoce.

L'étude des prématurés modérés à tardifs peut éclairer les modèles neurodéveloppementaux du traitement du langage en fournissant des informations pertinentes sur l'interaction entre l'expérience précoce et la maturation cérébrale.

Cette recherche a bénéficié d’un financement dans le cadre du programme espagnol MINECO (Ministerio de Economia y Competitividad) attribué à Clément François, ainsi que du projet BABYLANG soutenu par l'Agence nationale de la recherche porté par Clément François. Il a également été soutenu par le programme espagnol MICINN (Ministerio de CIencia, Innovation, y Universidades) attribué à Laura Bosch. Ce travail réalisé au sein de l'Institut Convergence Institute of Language, Communication and the Brain (ILCB) a bénéficié du soutien du gouvernement français, géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR) et de l'Initiative d'Excellence d'Aix- Marseille Université (A ∗MIDEX).

  • 1 prématurité tardive (34 à 36 semaines) ; prématurité modérée (32 à 33 semaines), grande prématurité (28 à 31 semaines), prématurité extrême (moins de 28 semaines).
  • 2Une paire minimale correspond à deux mots qui ne se différencient que par un phonème (bateau / château ; balle / dalle).
  • 3L’âge corrigé correspond à l’âge gestationnel ajouté à l’âge post-natal. Les prématurés n’ont pas été vus à 18 mois chronologiques mais à 20 mois.

Référence :

François C., Rodriguez-Fornells A., Cerda-Company X., Agut T., Bosch L. 2024, Impact of late to moderate preterm birth on minimal pair word-learning, Child Development.

Contact

Clément François
Chargé de recherche CNRS, Laboratoire Parole et Langage