Disparition de Roberte Hamayon

Hommages

Le CNRS a la profonde tristesse d’annoncer la disparition de Roberte Hamayon, qui s’est éteinte le 18 mars 2025.

Anthropologue et linguiste, fondatrice des études mongoles en France, du Centre d’études mongoles et sibériennes (CEMS), directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études, médaille d'argent du CNRS et théoricienne internationalement reconnue du chamanisme et du jouer, Roberte Hamayon a transformé le paysage des études sur l’Asie septentrionale en France et dans le monde. Sa contribution décisive à la compréhension des mécanismes de la croyance, des usages de la métaphore et de la vie rituelle des populations mongoles et sibériennes fait d’elle l’une des grandes anthropologues françaises de notre temps.

Née en 1939 à Paris, Roberte Hamayon suit dès 1963 les séminaires d’Évelyne Lot-Falck à l’EPHE, juste après la création de la chaire de Religions de l’Eurasie septentrionale et de l’Arctique, la même année, sous l’impulsion de Claude Lévi-Strauss. Après une formation en ethnologie et en linguistique, forte d’une bonne connaissance du russe, elle profite de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Mongolie en 1965 et de la signature d’un protocole d’échange entre le CNRS et l’Académie des sciences mongole pour faire un premier séjour de recherche dans ce pays. Elle est, avec Françoise Aubin (1932-2017), la première chercheuse originaire d’un pays « capitaliste » à pouvoir se rendre à l’université nationale d’Oulan-Bator en 1967. Elle s’y rendra à de très nombreuses reprises tout au long des années 1970, de même qu’en Union soviétique auprès des populations bouriates.

De retour de son premier terrain ethnographique à l’automne 1967, elle met en place un enseignement de langue et de culture mongoles à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, alors École nationale des langues orientales vivantes) à Paris, où elle enseignera jusqu’en 1973, date à laquelle Jacques Legrand lui succède. Après une première affectation au musée de l’Homme comme bibliothécaire en 1960, elle est recrutée au CNRS comme collaboratrice technique en 1963, puis comme chercheuse en 1965 et, en 1968, elle rejoint à l’université Paris Nanterre le Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative (LESC, UMR 7186 CNRS-Paris Nanterre), fondé l’année précédente par Éric de Dampierre. Avec le soutien actif de ce dernier, elle crée alors le Centre d’études mongoles en 1969 (devenu Centre d’études mongoles et sibériennes en 1976) et fonde l’année suivante la revue annuelle des Études Mongoles (devenue Études mongoles et sibériennes en 1976, puis Études mongoles & sibériennes, centrasiatiques & tibétaines - EMSCAT en 2004).

En 1974, elle est élue directrice d’études à l’EPHE pour succéder à Évelyne Lot-Falck à la chaire de Religions de l’Asie septentrionale, qu’elle occupera jusqu’à sa retraite en 2007 (la chaire, rebaptisée Anthropologie du religieux, est désormais occupée par Grégory Delaplace). Ces années à l’EPHE, pendant lesquelles elle garde des liens étroits avec l’université Paris Nanterre et avec le LESC, dont elle prend la direction de 1988 à 1994, voient l’émergence d’une nouvelle génération de chercheurs spécialistes de la Mongolie et de la Sibérie, qu’elle forme et qui contribuent à ses côtés au développement du domaine.

Quittant le LESC en 2002, Roberte Hamayon devient membre du GEODE (aujourd’hui Sophiapol, EA3932), puis du laboratoire Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL, UMR8582, CNRS / EPHE) en 2004. En 2002, le fonds documentaire du CEMS est transféré de Nanterre à l’EPHE, avant d’être intégré à l’Humathèque, sur le Campus Condorcet. La revue des EMSCAT, institutionnellement rattachée à l’EPHE, est aujourd’hui éditée par la Société des études mongoles et sibériennes (SEMS), créée par Roberte Hamayon en 2013. 

Si sa réflexion s’est nourrie pendant toute sa carrière de l’ethnographie nord-asiatique, l’influence de Roberte Hamayon dépasse très largement les limites de l’aire sibéro-mongole. Sa pensée a inspiré non seulement des anthropologues spécialistes de toutes aires culturelles, mais aussi des sociologues, des historiens et des philosophes, en France, au Canada, au Japon et ailleurs. Elle est reconnue internationalement, dès la publication de son ouvrage majeur, La Chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien (Société d’ethnologie, Nanterre, 1990), comme une théoricienne importante du fait religieux. La publication, 22 ans plus tard, de Jouer. Une étude anthropologique (La Découverte, Paris, 2012), qui explore les pouvoirs de la métaphore et propose d’envisager le jeu comme un mode d’action, affine encore la contribution décisive qu’elle apporte à l’anthropologie sociale et culturelle du début du xxie siècle. Roberte Hamayon se distingue enfin par son apport au champ de l’ethnolinguistique, auquel elle contribue notamment par la publication des Éléments de grammaire mongole, en collaboration avec Marie-Lise Beffa (Dunod, 1975).

Elle reçoit en 2006 la médaille d’argent du CNRS en reconnaissance de l’ensemble de sa carrière. L’État mongol la distingue successivement par la médaille de l’Amitié (Nairamdal) et par celle de l’Étoile polaire (Altan Gadas, en 2016), la plus haute distinction qui puisse être décernée à un étranger. Elle reçoit en 2016 le prix Onon du Mongolia and Inner Asia Studies Unit, à l’université de Cambridge, pour sa contribution au domaine des études mongoles. En 2020, elle reçoit un doctorat honoris causa de l’université de Fribourg (Suisse).

Un premier volume d’hommage lui a été offert à l’occasion de son départ à la retraite, dirigé par Katia Buffetrille, Jean-Luc Lambert, Nathalie Luca et Anne de Sales : D’une anthropologie du chamanisme vers une anthropologie du croire(EMSCAT, Hors-série, 2013), suivi en 2023 par un numéro spécial de la revue des Cahiers d’Extrême-Asie consacré à l’importance de sa pensée pour les études du religieux dans le monde chinois (vol. 30, 2021). Le nombre des contributions rassemblées dans ces deux volumes, sans parler de la diversité des thèmes qu’elles abordent, témoignent bien de l’ampleur de l’héritage intellectuel que Roberte Hamayon laisse derrière elle.

Mais outre son héritage scientifique exceptionnel, c’est avant tout son dévouement envers les étudiants, sa permanente disponibilité, son optimisme et sa bienveillance que retiennent ceux qui sont devenus ses disciples et collègues, français comme étrangers qui expriment avec émotion avoir perdu « un maître, un modèle, une amie ».

Isabelle Charleux, Grégory Delaplace et le comité de la revue Études mongoles & sibériennes, centrasiatiques & tibétaines