Focus : quel bilan pour le programme OpenEdition Freemium dédié aux livres ?
Plus de dix ans après le lancement de l’offre OpenEdition Freemium for Books permettant aux bibliothèques universitaires et institutions d’acquérir des livres numériques publiés sur la plateforme OpenEdition Books, laquelle regroupe désormais 14 800 livres et 133 éditeurs, OpenEdition, UGA Éditions, ENS Éditions et les Presses universitaires de Rennes proposent d’apporter un éclairage et un retour d’expérience sur le programme Freemium et les évolutions des politiques d’accès aux contenus.
Ont contribué à cet entretien : Marie Pellen, directrice d’OpenEdition, David Beorchia, co-responsable du service Freemium à OpenEdition, Julie Sorba, directrice scientifique à UGA Éditions, Stéphanie Trine, directrice éditoriale et administrative à UGA Éditions, Isabelle Boutoux, responsable d’ENS Éditions, Sandrine Padilla, responsable Pôle diffusion & valorisation d’ENS Éditions, et Yves Picard, responsable du pôle numérique des Presses universitaires de Rennes.
L’un des objectifs du plan stratégique d’OpenEdition précise que la transition vers l’accès ouvert doit s’appuyer sur des modèles économiques équilibrés et diversifiés. Le programme OpenEdition Freemium est porté auprès des bibliothèques et institutions afin qu’elles puissent être actrices du développement de l’accès ouvert. Comment fonctionne ce programme et en quoi soutient-il l’accès ouvert diamant ?
M.P. Le socle du programme est la publication en accès ouvert freemium, mode de diffusion qui répond à deux enjeux majeurs : publier en accès ouvert (le texte intégral est disponible immédiatement au format HTML) et fournir aux bibliothèques partenaires des services associés.
OpenEdition a naturellement fait le choix de mettre les bibliothèques au centre de sa stratégie de diffusion des contenus. Écouter et respecter les acteurs d’une longue histoire et ménager les maillons d’une économie du livre complexe, nous a toujours semblé crucial au moment de la bascule vers le numérique et du développement de la science ouverte.
En participant au programme Freemium, les bibliothèques restent au cœur de la diffusion des livres académiques et soutiennent les éditeurs qui s’engagent dans la voie de l’accès ouvert, en les aidant à financer leurs publications. Les bibliothèques partenaires bénéficient de services associés à l’offre : téléchargement sans DRM (Digital Rights Management) ni quota de téléchargement des formats PDF et ePub, statistiques Counter 5 certifiées, suggestions d’acquisition, logiciel de gestion des acquisitions personnalisé, formation et assistance, etc.
Deux tiers des revenus générés sont reversés aux éditeurs. Le dernier tiers reste à OpenEdition qui doit notamment, avec ces sommes, couvrir des frais de gestion.
Le programme s’appuie sur une infrastructure qui donne les moyens à chaque éditeur de diffuser ses ouvrages en accès ouvert diamant – publication sans APC (Author Processing Charges) et accès immédiat aux contenus. Il propose, depuis plus de 10 ans, aux bibliothèques et institutions d’être acteur du développement de l’accès ouvert par un soutien renouvelé. Ce soutien régulier à l’accès ouvert est un enjeu majeur car l’ouverture, au coup par coup, ne permet pas aux éditeurs d’obtenir les moyens pour la mise en place d’une politique d’ouverture, sur le long terme.
Quels changements constate-t-on ces dernières années dans les politiques d’accès aux livres sur OpenEdition ?
D.B. Le constat est que la plupart des éditeurs ont dépassé les premiers moments du numérique et de l’accès ouvert, qui furent parfois difficiles et complexes pour les professionnels de l’édition scientifique.
Les équipes se sont remarquablement adaptées à cette nouvelle donne, ont fait évoluer leurs compétences, malgré des contextes d’emploi ou de financement souvent contraints. Début 2024, plus de 40 éditeurs présents sur OpenEdition Books sont en capacité de produire, de façon simultanée, les formats papier et numérique de leurs nouveautés. Ils se comptaient sur les doigts d’une main au lancement de la plateforme pour les livres en 2013. Cela a été rendu possible notamment grâce aux outils et méthodes développés et diffusés par l’infrastructure Métopes.
Ces nouvelles compétences de fabrication s’accompagnent d’une connaissance plus fine des enjeux de la diffusion numérique. Ce qui était souvent vu uniquement comme une charge supplémentaire de travail est maintenant perçu comme un apport conséquent de lectorats et de revenus. Les éditeurs sont dorénavant armés pour mettre en place des stratégies de diffusion multi-support et d’ouverture de leurs livres.
Quelle est la politique d’OpenEdition en termes d’ouverture des contenus et comment est-elle mise en œuvre ?
M.P. La politique d’OpenEdition est à la fois contraignante et incitative. Par contrat, les éditeurs s’engagent à publier, a minima, 50 % des titres en accès ouvert sur leur site OEB. Début 2024, on constate que 35 éditeurs publient avec un taux de 100 % de livres en accès ouvert freemium, 16 éditeurs publient avec un taux de 100 % de livres en accès ouvert tous formats. Si on cumule ces 2 catégories avec celle des éditeurs qui panachent accès ouvert freemium et accès ouvert tous formats, on obtient 70 éditeurs sur 133 faisant le choix de publier 100 % de livres en accès ouvert. Ce tableau rapide montre qu’une majorité d’éditeurs dépasse, très largement et de leur propre chef, la contrainte de 50 % fixée par OpenEdition. En prenant le point de vue opposé, on observe que seule une petite dizaine d’éditeurs ferment leurs catalogues à hauteur de 40 % ou 50 %.
D.B. À l’échelle du catalogue OpenEdition Books, les livres diffusés en accès limité représentent 15 %, pour 85 % de livres en accès ouvert. Il reste donc à convaincre les plus réticents des bienfaits de la diffusion ouverte des contenus. L’étude menée dans le cadre du projet SO PUR devrait amener des éléments objectifs quant à la non concurrence entre les formats de diffusion papier et numérique, bien au contraire, et illustrer la complémentarité qui les caractérisent. Nous espérons que cela incitera ces éditeurs à franchir le pas d’une ouverture plus forte, au bénéfice des lectrices et lecteurs. Cette plus grande visibilité des sciences humaines et sociales contribue à la compréhension du monde et à la formation de jugements éclairés.
En termes de chiffre d’affaires, nous estimons que les résultats obtenus par le programme Freemium pour les livres représentent entre 10 % et 50 % du revenu des éditeurs qui ont, par ailleurs, une activité de diffusion papier.
UGA Éditions a récemment décidé de publier toutes ses nouveautés en accès ouvert freemium. Pourquoi ce choix ?
J.S./S.T. UGA Éditions adapte ses choix de diffusion afin de répondre au mieux aux besoins de ses communautés : chercheurs, grand public, étudiants, professionnels. L’édition d’ouvrages de recherche est notre fonction historique, ils tiennent ainsi une place importante dans notre catalogue. Les recherches, financées sur fonds publics, sont destinées à être partagées le plus largement possible dans une double perspective de démocratisation de l’information et d’accélération de l’innovation. UGA Éditions propose d’ailleurs toutes ses revues scientifiques en accès ouvert intégral depuis 2017 sur les plateformes OpenEdition Journals et Prairial.
Concernant les ouvrages, ce partage est désormais possible avec des coûts maîtrisés, c’est là la raison du choix de l’accès ouvert freemium pour les publications numériques du secteur « recherche ». UGA Éditions remplit ainsi pleinement les missions qui lui sont confiées par l’Université Grenoble Alpes dans le cadre de son engagement en faveur de la science ouverte. Les versions imprimées des ouvrages, qui continuent à être diffusées en librairie, permettent au lecteur de choisir la version la plus adaptée à ses besoins.
La non-concurrence entre les modes de diffusion papier et numérique est par ailleurs actuellement testée avec la publication en accès ouvert freemium de plusieurs nouveautés hors secteur « recherche ».
De même, ENS Éditions a opté pour un passage à 100 % d’accès ouvert freemium pendant la pandémie. Combien d’ouvrages sont concernés ?
I.B./S.P. La mise en place, dès 2012, de la chaîne Métopes au sein des Éditions a permis la généralisation de la diffusion multisupport de toutes nos nouveautés. Nous sommes ainsi en mesure aujourd’hui de mettre en ligne de façon systématique la version numérique de nos livres en même temps que leur sortie en librairie. L’intérêt est de donner au lecteur la possibilité d’accéder au contenu de manière multiple, sur différents supports et dans différents formats : la version papier, l’accès au HTML, aux fichiers détachables, PDF et Epub, en invitant ainsi à des pratiques de lecture complémentaires, adaptés aux différents lectorats.
Parallèlement, ces enjeux de diffusion et de diversification des modes d’accès sont devenus indissociables des problématiques liées à l’ouverture des publications, et du développement de l’accès ouvert. Face à l’incitation forte à ouvrir les publications issues de travaux de recherche, la politique éditoriale d’ENS Éditions s’est naturellement inscrite dans ce mouvement d’envergure nationale visant à rendre disponible au plus grand nombre les publications.
La pandémie de Covid-19 a en quelque sorte accéléré le mouvement, et dans ce contexte exceptionnel, nous avons décidé de répondre à l’appel lancé au printemps 2020 par le consortium Couperin, demandant aux éditeurs l’ouverture des publications. Tous les ouvrages sont désormais disponibles depuis l’automne 2020 sur la plateforme OpenEdition Books en accès ouvert freemium dès leur parution, sans délai ni barrière mobile. À ce jour, 370 titres sont offerts en accès freemium sur cette plateforme.
Bien que nous n’ayons que quelques années d’observation, nous constatons que la structure générale des ventes papier n’a pas changé, ni le nombre de titres vendus. Nos conclusions rejoignent celles de l’étude réalisée par les PUR dans le cadre du projet SO PUR, qui établit qu’il n’existe a priori ni corrélation ni lien de causalité entre l’ouverture des versions numériques et les ventes de livres papier. Chaque format semble évoluer indépendamment au sein des différents canaux, répondant à des usages et des pratiques à la fois complémentaires et bien distincts.
La forte spécialisation des productions issues des travaux de recherche, à rotation lente, nécessite de diversifier les modes d’accès. Même si les revenus issus du papier représentent aujourd’hui 90% des revenus, le niveau des ventes des ouvrages imprimés n’est pas un critère suffisant pour évaluer l’activité éditoriale d’un service d’édition, financé sur fonds public, dont les missions premières demeurent la valorisation et la diffusion des travaux de la recherche, l’édition de textes de qualité évalués par les pairs, l’accompagnement des auteurs, le travail éditorial, la diffusion et la valorisation des ouvrages, etc. Ainsi, la mise à disposition en libre accès des travaux issus de la recherche prend tout son sens, et constitue la promesse d’une diffusion vertueuse de la recherche.
Pourquoi les Presses universitaires de Rennes (PUR) ont-elles opté pour le programme Freemium ?
Y.P. Pour les Presses universitaires de Rennes, le freemium permet d’affirmer à la fois les vertus du libre accès et l’importance du livre papier, de la librairie. C’est l’édito-diversité, c’est-à-dire concilier les différents modes d’existence du livre. Aucun ne suffit en soi et c’est le nouveau rôle de l’éditeur de garantir, au-delà des supports, la valorisation multiforme du texte scientifique. Et si les canaux de diffusion semblent relativement étanches, il faut faire attention à ne pas faire du libre accès lui-même un silo à côté d’autres silos.
Les vertus du libre accès ne se discutent plus aujourd’hui. Les contenus fermés ne font qu’entretenir des expériences déceptives. Des entretiens menés auprès de notre lectorat montrent bien l’hybridation des usages entre le papier et le numérique : la science elle-même bénéficie de ces nouvelles pratiques.
Pour nous éditeur, le freemium nous permet également de clarifier, vis-à-vis d’auteures et d’auteurs parfois réticents, les formes et les fonctions des différentes formes numériques (libre accès, enseignement, vente, archivage, etc.).
Aujourd’hui, quel bilan faites-vous de ce modèle économique pour les PUR ?
Y.P. L’étude menée grâce au projet SO PUR à laquelle faisait allusion David Beorchia montre plutôt une addition des revenus papier et numérique, en plus d’une addition des usages comme je disais à l’instant. Que le freemium ne cannibalise pas les ventes en librairie, nous en avions déjà le sentiment depuis quelques années aux PUR. L’étude vient le confirmer par des chiffres.
La mise en ligne le jour même de l’office en librairie est donc désormais notre mode normal de publication pour nos collections de recherche. Nos revenus sont très largement dépendants du livre papier mais les deux versions vont s’épauler dans le temps et donc se compléter dans le chiffre d’affaires.
Cela n’empêche pas d’autres formes du livre (poche, beau-livre, manuels) et de diffusion, par exemple exclusivement papier ou libre accès tout format. À nous éditeur de pouvoir proposer différentes filières et destinées au livre de sciences humaines.