Gouverner les îles : territoires, ressources et savoirs des sociétés insulaires, XVIe- XXIe siècle
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« Gouverner les îles : territoires, ressources et savoirs des sociétés insulaires, xvie - xxie siècle » (Gouviles) est un programme de recherche pluriannuel sur les espaces insulaires, soutenu par le Labex « Structuration des Mondes Sociaux », l’unité France Amériques Espagne Sociétés Pouvoirs Acteurs (Framespa, UMR5136, CNRS / Université Toulouse - Jean Jaurès), l’École française de Rome (dont il constitue l’un des programmes scientifiques du contrat quinquennal 2022-2026), l’École française d’Athènes, la Casa de Velázquez, l’Università degli Studi di Palermo, l’Universitat Pompeu Fabra de Barcelone, l’Universidad Autónoma de Madrid, l’Universidad Nacional de Rosario, le Conseil national scientifique et de recherche technique d’Argentine (CONICET) et le réseau RIESGA. Il bénéficie par ailleurs du label scientifique du Réseau des écoles françaises à l’étranger (ResEFE). Il s’articule autour d’une équipe de vingt-sept chercheurs et chercheuses rattachés à dix-huit institutions en France, en Italie, en Croatie, en Espagne et en Argentine, avec une forte spécialisation en histoire et dans la perspective d’un dialogue interdisciplinaire avec les sciences du vivant.
Si le thème des îles ne constitue aucunement une nouveauté historiographique, l’étude de ces espaces demeure liée à une perspective essentiellement monographique, souvent soucieuse de valoriser l’histoire, le patrimoine et l’identité locale d’une île donnée. Cette approche a tendance à voir l’île comme un microcosme, c’est-à-dire comme un « espace total » qui se suffit à lui-même ; une autre caractérisation courante est celle de l’île comme marge, c’est-à-dire comme un territoire isolé des « centres » politiques, administratifs, économiques ou encore culturels situés sur le continent (capitales, métropoles, etc.). Depuis maintenant une vingtaine d’années, des travaux d’histoire connectée, de géographie sociale ou d’anthropologie historique nous incitent à penser différemment la place de ces îles dans le « tissu conjonctif » des espaces maritimes aux périodes moderne et contemporaine. Il s’agit notamment de réfléchir à la manière dont l’insularité elle-même n’est pas un état de fait invariable et transhistorique, dicté par le déterminisme géographique et les « lois de la nature », mais une condition qui évolue dans le temps et en fonction des dynamiques (politiques, économiques et sociales, mais aussi culturelles et environnementales) qui caractérisent ces espaces sur le long terme.
La vaste enquête collective au cœur du programme Gouviles entend ainsi interroger le gouvernement des milieux insulaires à la charnière de l’histoire sociale du politique, de l’histoire environnementale et de l’histoire des savoirs. Fondée sur une comparaison entre des terrains méditerranéens et des espaces situés sur toutes les grandes mers où la monarchie hispanique a eu juridiction, elle se singularise par un souci de considérer des cas représentatifs au cours d’une longue période allant du xvie au xxie siècle : Méditerranée occidentale, Adriatique et côtes balkaniques, mer Tyrrhénienne, mer Égée, côtes maghrébines, Canaries, espace caraïbe, archipel des Malouines et Philippines. Trois objets transversaux et connexes servent d’axes de recherche communs aux membres du programme : les territoires, les ressources et les savoirs insulaires.
Le volet consacré aux territoires entend interroger la fabrique des régimes de territorialité insulaires, notamment à travers les modes d’appropriation et d’exploitation des rivages et des espaces maritimes. On s’intéresse donc à des phénomènes aussi divers que les trafics maritimes, les activités de pêche ou les formes de sociabilité des populations littorales. Parce qu’ils constituent des milieux inséparablement terrestres et maritimes, les milieux insulaires permettent d’embrasser dans un même effort d’analyse des ressources naturelles qui sont souvent abordées de manière compartimentée dans la littérature scientifique — à savoir la terre, l’eau, le bois et les animaux (la chasse et la pêche), mais aussi les minerais, le sable ou les hydrocarbures par exemple. Il s’agit ainsi d’étudier les modes d’appropriation et d’exploitation de ces différents produits en contexte insulaire, pour en cerner, sur la longue durée et au sein d’espaces marqués par de profondes mutations, les singularités sociales, techniques et environnementales. Un troisième axe porte enfin sur les savoirs insulaires, c’est-à-dire les connaissances produites, instituées, diffusées et mobilisées dans le processus de territorialisation de ces milieux. Qu’ils soient savants, profanes et/ou administratifs, ceux-ci participent d’un mouvement de transfert progressif de savoir-faire du praticien au législateur, de l’insulaire au colon, de l’expérience à l’expertise. Au cœur de ces questions de transmission de savoirs, l’enquête porte donc sur les acteurs, les réseaux et les modalités de leur circulation et de leur mobilisation.
Outre le travail « au long cours » mené par chacun des membres de l’équipe sur son ou ses terrains d’expertise à travers des missions de recherche aux archives et en bibliothèque, le déroulement des activités scientifiques du programme Gouviles s’articule autour de différents temps forts qui s’échelonnent sur les cinq années du programme.
Ouvert à toutes et tous et conçu comme un lieu de dialogue avec la recherche en train de se faire, un séminaire transversal et bimestriel est hébergé par la Maison de la recherche de l’Université Toulouse - Jean Jaurès. Les séances se tiennent en présentiel et en distanciel, afin de permettre à l’ensemble de l’équipe ainsi qu’à un public le plus large possible de participer aux échanges. Chaque séance est organisée autour de la présentation des travaux de membres de l’équipe scientifique et/ou de collègues extérieurs. Diverses séances délocalisées dans des institutions partenaires ont vocation à promouvoir un dialogue entre les équipes des institutions d’accueil et les membres du projet. Après trois séances au printemps 2022, le séminaire commun reprendra le lundi 10 octobre, et son programme est disponible sur le carnet de recherche du programme Gouviles.
Plusieurs thèmes au cœur du programme Gouviles feront l’objet de journées d’étude, organisées à l’Université de Palerme et à l’École française de Rome respectivement en 2023 et 2025. La première journée « Terre/mer/îles : frontières, marges, lisières » consistera à décliner les interfaces terre/mer pour réfléchir collectivement à une spécificité insulaire du point de vue de la gouvernance des populations et des territoires maritimes. La seconde journée d’étude, sur « La mesure de l’île : savoirs, administration, populations », permettra de discuter la fabrique et la mise en application des savoirs scientifiques, administratifs et vernaculaires sur les îles, leurs populations et leurs ressources.
Le programme Gouviles a également été pensé comme un cadre dédié à la formation des jeunes chercheurs et chercheuses de diverses disciplines des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences de la mer et de l’environnement. Un premier atelier de formation doctorale est ainsi organisé à Rome du 7 au 10 novembre 2022, sur le thème « Pratiques d’enquête en terrain insulaire et maritime, xvie-xxie siècles ». Un second atelier, qui se tiendra en 2024 à l’École française d’Athènes, portera quant à lui sur « Gouverner les ressources : histoire, sciences sociales ».
Enfin, Gouviles a vocation à assurer la diffusion de la recherche « en train de se faire » auprès du grand public, et ce à travers plusieurs outils et initiatives. C’est notamment le rôle du carnet de recherche Hypothèses, qui sert à valoriser les activités scientifiques du programme : outre un fil d’actualités, on y trouve des notices iconographiques et cartographiques, des ressources bibliographiques ainsi que divers billets destinés aux étudiants et aux enseignants du secondaire. Un second axe concerne la participation de membres de l’équipe à des manifestations auprès du grand public : c’est entre autres le cas de la table ronde sur les « Coexistences insulaires en Méditerranée du xvie au xxe siècle », organisée le 9 octobre prochain dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire de Blois.
Mathieu Grenet, Hugo Vermeren, co-coordinateurs du programme Gouviles