La fréquence à laquelle on parle aux nourrissons varie d’une population à l’autre
D’après certains chercheurs, parler fréquemment aux nourrissons faciliterait l'apprentissage des structures du langage, avec des impacts positifs visibles dans leurs futurs résultats scolaires. D’autres affirment que cette hypothèse est exagérée car l'importance de la parole dirigée vers le nourrisson se fait beaucoup plus rare dans certaines populations. Mais quelles sont les preuves que la quantité de parole dirigée vers le nourrisson varie réellement entre les populations humaines et dans quelle mesure varie-t-elle ? Dans un article publié dans la revue Developmental Science, Alejandrina Cristia, directrice de recherche CNRS au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique (LSCP, UMR8554, CNRS / EHESS / ENS-PSL), et son équipe ont cherché à répondre à cette question en examinant la littérature pertinente.
Un examen de la littérature a permis d’identifier 29 articles portant sur environ 1 300 nourrissons (âgés de 0 à 2 ans) et leurs familles, observés dans leur milieu naturel. En combinant les données de tous ces articles, les chercheurs ont constaté que les observations avaient été faites dans deux types de populations très différentes. Les familles du premier groupe, vivant dans des milieux ruraux, avaient généralement moins accès à l'éducation : il pouvait s’agir de petits agriculteurs, de chasseurs-cueilleurs, ou des deux à la fois. Les familles du second groupe vivaient dans des environnements urbains avec, probablement, un meilleur accès à l'éducation, à un système de santé et à d'autres services encore. Non seulement, la fréquence des comportements de vocalisation dirigés vers les nourrissons différait nettement entre ces deux groupes de population, mais était environ trois fois moins fréquente dans le premier groupe que dans le second. Ce rapport était beaucoup plus important que celui observé dans les études menées aux États-Unis, opposant des échantillons de famille au statut socio-économique élevé à des familles au statut socio-économique faible.
Ces résultats confirment qu’il existe des différences très marquées dans la fréquence à laquelle les gens parlent aux nourrissons dans les populations humaines. Étant donné l'universalité de nombreux aspects du langage humain, ils invitent à mener d'autres travaux interculturels. On pourrait, par exemple, se demander si d'autres pratiques dans ces populations rurales sont particulièrement utiles pour l'apprentissage du langage, permettant aux nourrissons d'apprendre davantage lorsque les gens leur parlent, ou peut-être à prêter une meilleure attention à ce qu'ils entendent, en comparaison aux nourrissons des sites urbains. Cette analyse pourrait avoir un impact sur les programmes destinés à la petite enfance : au lieu de recommander à toutes les familles de parler davantage à leurs enfants, d'autres pratiques tout aussi efficaces pourraient être adoptées, comme le chant ou la conversation de groupe.
En outre, toutes les données étaient basées sur des observations directes, celle d’une personne proche de l'enfant et de son environnement, situation qui peut avoir affecté différemment les familles rurales et urbaines. Dans ses travaux actuels, l'équipe opte pour des enregistrements effectués sur le long terme, recueillis à l'aide d'un petit enregistreur que l'enfant porte pendant plusieurs jours. Cet équipement discret pourrait faciliter la collecte de données dans des populations humaines plus diverses et réduire la probabilité d'effets d'observation.
Référence
Cristia A. 2022, A systematic review suggests marked differences in the prevalence of infant-directed vocalization across groups of populations, Developmental Science