À la recherche de ports antiques sous les lagunes et la mer : les apports de la collaboration CNRS/Ifremer/Exail

Lettre de l'InSHS Archéologie

#FOCUS

La géoarchéologie est une discipline qui caractérise le milieu dans lequel évoluent les sociétés anciennes. Les laboratoires Archéorient (UMR5133, CNRS / Université Lumière Lyon 2) et Histoire et sources des mondes antiques (HiSOMA, UMR 5189, CNRS / ENS Lyon / Université Lumière Lyon 2 / Université Jean Moulin Lyon 3), de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (MOM, FR3747 CNRS / AMU / ENS Lyon / Université Lumière Lyon 2 / Université Claude Bernard Lyon 1 / Université Jean Monnet Saint-Étienne / Université Jean Moulin Lyon 3), recourent à différentes méthodologies pour, entre autres, étudier les ports antiques de Méditerranée. Ces études réalisées jusqu’à présent sur la terre ferme par prospection géophysique et carottage ont permis de reconstituer des bassins portuaires ainsi que le trait de côte qui les entourait.

Figure 1. À gauche : photographie sous l’eau des imageurs de sédiment Echoes 3500 (installé sur mini-catamaran) et Echoes 10 000 (installé sur perche). À droite : Logiciel Delph Geo d’Exail pour l’acquisition et visualisation en temps réel © G. Jouve, Exail

Les recherches géoarchéologiques côtières

Une part importante des éléments pouvant faire progresser les connaissances ne se trouve pas sur la terre ferme, ni loin au large. Elle gît à faible profondeur, soit devant la côte, soit dans des lagunes ou des marais littoraux. Les techniques de carottage et prospection de géophysique existantes ne sont pas bien adaptées à ces milieux, ce qui motive des développements techniques et technologiques. Ceux-ci ont été testés dans le cadre des projets IDEX Lyon Thalassocraties sans Ports, ANR AquaTyr, et LabEx IMU UDL projet Urbo sous la forme d’un partenariat avec la société Exail (anciennement Ixblue), pour l’imagerie de sédiment en milieu argileux peu profond, et par fond sableux de faible profondeur pendant la campagne océanographique HISOPE. L’adaptation des techniques de carottage au milieu lagunaire est menée par le Centre de Carottages et Forages National (C2FN) de la division technique de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU) du CNRS dans le cadre de la campagne PENELOPE.

Évolution des ports antiques : des abris naturels aux ports modernes

Entre la fin de l'âge du Bronze et l'âge du Fer, les premières thalassocraties, au nombre desquelles on compte la Phénicie, l’Étrurie et Carthage, développent des flottes marchandes et militaires qui leur assurent une domination de la mer et du commerce sur de vastes secteurs du bassin Méditerranéen. La difficulté à trouver les bassins portuaires de ces thalassocraties a conduit à se demander à quoi pouvaient ressembler les ports utilisés par les premières thalassocraties. L’évolution du littoral fait que les conditions environnementales dans lesquelles se développent les ports changent. Au sortir de la dernière glaciation, le niveau marin remonte rapidement. Les vallées et les crêtes immergées par la remontée du niveau marin donnent naissance à une succession de caps, de baies et d’estuaires offrant d’innombrables abris côtiers. Les sables apportés par la mer et les fleuves forment des cordons derrière lesquels s’installent des lagunes. Cet environnement est propice au développement d’une navigation bien protégée et à la formation d’abris portuaires naturels. La tendance s’inverse ensuite lorsque les apports de sédiments comblent les estuaires et les lagunes, et que l’érosion côtière réduit la protection offerte par les caps. Cette tendance à la réduction du nombre des abris côtiers s’opère sur des millénaires. L’abondance des abris côtiers est peut-être encore suffisante, à l’aube de l’Antiquité, pour permettre aux premières thalassocraties de construire des ports ne nécessitant pas l’investissement dans des infrastructures lourdes, une hypothèse testée dans le cadre du projet IDEX Thalassocraties Sans Ports, en partenariat avec l'université de Florence, la Surintendance Archéologique Italienne de la Mer et de Toscane (Siena) et le WWF Laguna di Orbetello. Les ports des premières thalassocraties seraient constitués de structures légères, pouvant être déplacées au gré des caprices de l’évolution du trait de côte. Le recours aux ports artificiellement protégés se serait imposé du fait de la disparition des abris naturels. L’avènement des grands ouvrages portuaires résout le problème de la protection des navires, mais engendre de nouvelles vulnérabilités, car les structures deviennent coûteuses à entretenir et ne permettent pas une adaptation souple aux changements du trait de côte. Cette nouvelle donne caractérise par la suite la survie ou le déclin des cités côtières de Méditerranée.  

Figure 2. Perspective oblique sur la lagune d’Orbetello, montrant, au centre, la ville étrusque ceinte de sa muraille en opus poligonalis (surlignée en jaune), et sur les côtés les profils réalisés dans la lagune (panneaux noirs et blancs), avec le sondeu© CNES/Airbus, European Space Imaging, Maxar Technologies, Données cartographiques, 2023

Grâce à la faible teneur en gaz des sédiments, il a été possible d’imager avec une résolution verticale de 7,5 centimètres l’empilement des couches sous le fond vaseux jusqu’à huit mètres de profondeur (Figure 2).

Exemples étrusques

Les cibles de ces projets sont notamment les ports de Pyrgi, Orbetello, Populonia et Talamone, en Étrurie. Pendant l’Antiquité, la côte étrusque est constituée d’une succession de grandes lagunes, séparées par des promontoires rocheux. Aucun bassin portuaire d’importance n’y a encore été identifié. La quasi-totalité de ces lagunes est aujourd’hui comblée. Le projet IMU-Urbo porte sur l’étude de la plus grande lagune subsistante, celle d’Orbetello, au centre de laquelle se dressent depuis vingt-quatre siècles les remparts d’une ville étrusque. Il s’intéresse aux liens entre la ville et sa lagune. Les développements de l’une ont un impact considérable sur l’autre, de sorte que leurs destins sont inextricablement liés.

Figure 3. L’Haliotis à quai dans la marina de Porto Ercole © G. Brocard

HISOPE et PENELOPE : une réponse aux défis de la prospection côtière et lagunaire

Le partenariat Exail, la campagne océanographique HISOPE (Ifremer) et la campagne de carottage PENELOPE (INSU / InSHS) constituent une suite logique pour tester ces nouveaux moyens d’investigation. De nouveaux modèles d’imageurs de sédiment (Figure 1) ont été testés dans les petits fonds (moins de 1,6 mètre) de la lagune d’Orbetello. La capacité des émetteurs-récepteurs à produire une image du sous-sol sous une tranche d’eau inférieure à quelques mètres représentait le principal défi. À cela s’ajoutait une grande abondance des algues, ainsi que des fonds coquilliers réfléchissant les ondes acoustiques. 

Ces sondeurs de sédiments ont été utilisés en mer pendant la campagne HISOPE sur l’Haliotis, un navire côtier de la Flotte Océanographique Française, optimisé pour la prospection géophysique par petit fond (Figure 3). Un sondeur interférométrique de type Geoswath a permis de produire en parallèle une carte bathymétrique très détaillée des fonds marins sur les lieux de la découverte récente de fondations d’un monument étrusque, à 200 mètres de la côte, sur le site du port étrusque de Pyrgi, dans le Latium (Figure 4).

Gilles Brocard, chercheur associé, HISOMA, Jean-Philippe Goiran, chargé de recherche CNRS, Archéorient

Figure 4. Carte bathymétrique des fonds marins au sud de Pyrgi, campagne HISOPE. Espacement des lignes de niveau 1 m. Traitement des données et visualisation sous Globe (GLobal Oceanographic Bathymetry Explorer) SEANOE. Image satellite © CNES/Airbus, European Space Imaging, Maxar Technologies, Données cartographiques, 2023

Références bibliographiques

Brocard G., Conforti A., Goiran J-P. 2022, HISOPE : Archéorient
en campagne océanographique le long des rives étrusques
,
ArchéOrient - Le Blog.

Contact

Jean-Philippe Goiran
CNRS,  UMR 5133 Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Université de Lyon 2.