Le dispositif de Soutien à la Mobilité Internationale (SMI) de l’InSHS
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L’internationalisation de la recherche, en particulier dans les sciences humaines et les sciences sociales, est l’un des piliers de son excellence. Elle permet aux chercheurs et chercheuses non seulement de collecter des données sur leur terrain de recherche parfois situé à l’étranger mais également de s’insérer dans des réseaux scientifiques à l’étranger et de questionner leurs approches théoriques et méthodologiques. C’est pourquoi l’action internationale est l’une des priorités du CNRS en tant qu’organisme de recherche, inscrite dans son Contrat d’objectifs et de performance avec l’État.
Dans le cadre de sa politique de soutien au déploiement international des carrières des scientifiques de l’enseignement supérieur et de la recherche français, l’Institut des sciences humaines et sociales propose, depuis 2013, un outil permettant d’apporter un soutien aux chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s-chercheur(se)s et ingénieur(e)s de recherche des laboratoires dont le CNRS est tutelle ou cotutelle, pour la réalisation d’actions de recherche à l’étranger.
Sous forme d’un forfait mensuel de 2 000 euros pour frais de mission, le dispositif de soutien à la mobilité internationale de l’InSHS (SMI) permet de financer tous types de missions de recherche à l’étranger (travail de terrain, consultation de sources, montage de projet ou rédaction d’ouvrage en collaboration internationale…), dans toutes les disciplines des sciences humaines et sociales, pour toutes les destinations et dans tous types d’institutions d’accueil. Il cible les missions comprises entre trois et neuf mois, celles de courte durée étant généralement financées par les laboratoires et celles de durées supérieures pouvant donner lieu à des affectations et accueils en délégation à l’étranger.
Depuis 2015, un SMI « fléché » vers les Écoles françaises à l’étranger est proposé conjointement avec l’École française de Rome, l’École française d’Athènes, l’Institut français d'archéologie orientale et la Casa de Velázquez, sur le principe d’un partage des coûts à 50 %. En 2019, un dispositif pilote a également été lancé avec l’Inalco pour l’accueil d’enseignants-chercheurs de cet Institut dans les UMIFRE co-pilotées par le CNRS. Dans le cadre de ce programme, au financement versé par l’InSHS s’ajoute un Congé pour recherches ou conversions thématiques (CRCT), octroyé par l’Inalco pour faciliter la mobilité de ses enseignants-chercheurs. Enfin, ce programme a bénéficié entre 2018 et 2021 d’un soutien de la part du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le cadre du plan SHS.
Entre 2013 et 2022, le dispositif de soutien à la mobilité internationale de l’InSHS (SMI) a permis de financer 365 missions pour une durée totale de plus de 1 300 mois et un budget global de près de 2,5 millions d’euros.
La Covid-19 a entraîné depuis le printemps 2020 de nombreuses restrictions au travail de recherche, qui ont particulièrement affecté les missions à l’étranger. Mais nous observons désormais un retour des chercheuses et chercheurs sur des terrains à l’étranger avec la levée des restrictions aux frontières dans la plupart des régions du monde.
Dans la suite de cet article, nous donnons la parole à trois chercheuses et chercheurs lauréats du dispositif SMI en 2021, qui partagent leur expérience de mobilité et ce qu’elle leur a permis de réaliser.
Iris Seri-Hersch est maître de conférences en histoire contemporaine du monde arabe à Aix-Marseille Université, membre de l’Institut de recherches et d'études sur les mondes arabes et musulmans (Iremam, UMR7310, CNRS / AMU). Elle a effectué une mobilité de deux mois en Israël. Karel Yon est chargé de recherche CNRS en sociologie au laboratoire Institutions et Dynamiques Historiques de l'Economie et de la Société (IDHES, UMR8533, CNRS / ENS Paris-Saclay / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis / Université Paris Nanterre / Université d'Évry - Université Paris-Saclay). Il a effectué une mobilité de quatre mois au Mexique. Fabienne Wateau est directrice de recherche CNRS au Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (LESC, UMR7186, CNRS / Université Paris Nanterre).
Dans quel cadre et dans quel pays votre mobilité s’est-elle déroulée ?
Iris Seri-Hersch – Cette mobilité SMI s’est déroulée en Israël aux mois de juillet et août 2021. Elle a servi à finaliser mes recherches de terrain dans le cadre de la préparation de mon Habilitation à Diriger des Recherches. Il s’agit d’écrire une histoire sociale, politique et environnementale de Jisr al-Zarqāʾ, un village palestinien d’Israël marqué d’une triple singularité : ses habitants se voient fréquemment assigner des origines soudanaises ; sa fondation dans les années 1920 est relativement récente dans l’histoire rurale palestinienne ; et il est le seul village arabe côtier à avoir survécu à la première guerre israélo-arabe/nakba palestinienne de 1948.
Karel Yon – Ma mobilité s’est déroulée au Mexique d’août à novembre 2021, au Centre d’études mexicaines et centraméricaines (CEMCA)1 basé à Mexico. Je suis sociologue et mon séjour s’inscrivait dans le cadre d’une enquête collective que je coordonne sur la pluralité des formes d’engagement au travail. L’originalité du projet consiste dans l’étude croisée de dispositifs souvent considérés séparément : la « Responsabilité sociale et environnementale » (RSE) qui participe de l’affirmation contemporaine d’une « citoyenneté d’entreprise », et les formes classiques de « citoyenneté industrielle » assises sur le syndicalisme et la représentation collective. Ce questionnement se déploie à travers une enquête de terrain multi-située au sein d’une grande entreprise française basée, entre autres, au Mexique.
Fabienne Wateau – J’ai réalisé ma mobilité dans le cadre d’un programme de recherche plus englobant, collectif et financé depuis 2016 par différentes instances, dont le Labex Driihm2 , le Labex Les Passés dans le Présent, la MSH Mondes (UAR3225, CNRS / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Université Paris Nanterre) et mon laboratoire de rattachement, le Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative. La recherche porte sur les modes de « Vivre au pied d’un complexe chimique », à Estarreja, au Portugal. Encore peu de travaux en sciences sociales portent ici sur les populations, leurs perceptions, leurs connaissances des risques et dangers, leur relation à l’environnement — et notamment à l’usage de l’eau et des terres contaminées. C’est à ce titre que je multiplie depuis plusieurs années les enquêtes et séjours sur ce terrain.
Qu’avez-vous réalisé pendant votre mission ?
Iris Seri-Hersch – Cette mission m’a permis d’achever la collecte de sources et de travaux académiques en anglais, hébreu, arabe et français dans des bibliothèques et centres d’archives nationaux et locaux. J’ai également eu accès aux archives privées d’un acteur central : l’ingénieur Dov Koblanov (1896-1975), chargé des opérations de drainage des marécages dont les Jisrawīs, éleveurs de buffles avant de devenir des villageois sédentarisés, sont historiquement issus. Des entretiens ont été menés avec des archivistes et des habitants de Jisr al-Zarqāʾ et de deux localités juives voisines, Maʿagan Michaʾel et Zikhron Yaʿaqov. Des observations ont été réalisées dans deux cimetières et autour de la grotte préhistorique de Kabbāra. Enfin, ce séjour a été l’occasion de nouer des contacts avec des chercheurs rattachés au Centre de recherche français à Jérusalem (CRFJ, UAR3132, CNRS / MEAE / AMU), à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO, UAR3135, CNRS / MEAE) et à l’Université de Haïfa.
Karel Yon – Avec un collègue présent pendant une partie du séjour, nous avons réalisé une cinquantaine d’entretiens. Sont venues s’ajouter diverses observations participantes, notamment d’événements « citoyens » sponsorisés par l’entreprise. Nous avons visité plusieurs sites de l’entreprise sur le territoire mexicain. J’ai aussi pu documenter l’importante réforme en cours des relations de travail, qui se présente comme un vaste processus de démocratisation du syndicalisme et des relations professionnelles.
Fabienne Wateau – Durant ma mission de cinq mois, j’ai mis à profit ce temps non interrompu : 1) Pour Prendre le sujet à l’envers, c’est-à-dire pour aussi regarder les efforts que la mairie s’évertue à déployer pour faire de sa ville un espace positif, dégagé de son image de ville contaminée par le complexe chimique. 2) Pour Accompagner sur le terrain une opération de remédiation ou régénération des sols d’un des fossés contaminés au mercure et à l’arsenic, en relevant le discours les ingénieurs responsables du processus et ceux des habitants aux terrains concernés. 3) Pour Entamer une recherche comparative en deux autres endroits contaminés, où une transition de type environnementale a été amorcée : sur le site de Sines, autre très grand complexe chimique en activité ; et à Urgeiriça, aux mines d’uranium aujourd’hui fermées, équipée d’une centrale de traitement des suintements toxiques de la colline, et où la contestation sociale, contrairement à Estarreja, a été très forte.
Que tirez-vous de cette mobilité internationale ?
Iris Seri-Hersch – La possibilité de fréquenter à nouveau le terrain et de m’immerger dans les dynamiques sociales et politiques du pays après une absence assez longue – due aux lourdes tâches d’enseignement et d’administration qui incombent aux enseignants-chercheurs, à la responsabilité d’une famille et à la crise sanitaire mondiale – m’a donné un regain de motivation. Elle a accéléré ma réflexion sur l’objet précis de mon HDR et l’approche à privilégier. Le programme SMI de l’InSHS est un complément très précieux aux ressources des unités de recherche, car celles-ci ne suffisent pas pour financer les mobilités répétées et parfois longues à l’international que nécessitent les travaux scientifiques fondés sur des enquêtes empiriques. J’invite donc vivement mes collègues enseignants-chercheurs et chercheurs à candidater à ce dispositif.
Karel Yon – Le contraste entre les politiques de RSE, assez semblables à celles observées en France, et l’invisibilité, sinon l’absence totale de participation dans l’entreprise au sens de la citoyenneté industrielle, révèle à la fois la sélectivité des préoccupations sociales de « l’entreprise citoyenne » et la nature du régime mexicain de relations professionnelles. Nous avons présenté de premiers résultats dans un séminaire du CEMCA, qui ont été discutés par un collègue mexicain. Nous préparons actuellement diverses publications dans le cadre de la valorisation de cette recherche. Grâce aux contacts que j’ai noués sur place avec des collègues mexicains, je nourris le projet d’un nouveau séjour de recherche pour approfondir l’étude de la réforme des relations de travail.
Fabienne Wateau – Du temps et un appui financier non négligeable. Le SMI m’a permis de rester plus longtemps sur le terrain et d’accompagner de façon plus régulière les populations auprès desquelles je travaille. Soit d’être entièrement disponible pour la recherche et mes interlocuteurs. L’aide à la mobilité, de surcroit non négligeable, est de fait appréciable pour financer les déplacements, l’hébergement et les repas. À signaler aussi une bonne gestion du financement qui s’est déroulée sans problème entre le CNRS, la gestionnaire de mon laboratoire et l’intéressée sur le terrain. La collecte fructueuse des matériaux est aujourd’hui en phase de traitement et de diffusion.
En savoir plus
Chaque année, l’appel à candidatures est ouvert entre septembre et novembre pour le financement de missions dans le courant de l’année civile suivante.
Pour tout renseignement complémentaire sur ce dispositif, écrire à inshs.smi@cnrs.fr.