Le LinCS : en quête de nouveauté

La Lettre Anthropologie

#VIE DES LABOS

Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles, le LinCS (UMR7069, CNRS / Université de Strasbourg), créé en 2022, est aujourd’hui le premier laboratoire proposant un dialogue entre anthropologie, sociologie et histoire contemporaine dans le Grand-Est. La proximité avec l’Allemagne, son histoire et sa tradition des Kulturwissenschaften, ainsi que la modernité offerte par les études culturelles anglophones, ont ouvert une porte pour ce laboratoire dont le maître mot est le renouveau. Si bien que cette jeune unité a fait le pari des Cultural Studies, encore faiblement représentées en France.

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Corridor entre le hall et l'aula vitrée du Palais universitaire, haut lieu des Kulturwissenschaften à Strasbourg (1885) © Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg

Le LinCS, anciennement Dynamiques Européennes, est aujourd’hui dirigé par Jérôme Beauchez, enseignant-chercheur en sociologie et anthropologie. Le laboratoire décline sa politique stratégique autour de trois thématiques fortes qui sont désignées par des verbes — incarner, altériser, dévier —, car il s’agit de situer la recherche au plus près des actions et des interactions.

Les recherches sur les dimensions incarnées de la vie sociale sont particulièrement prégnantes dans les enquêtes menées autour de la corporéité et de la sensorialité. La thématique « incarner » prend corps dans des domaines tels que la santé, le genre et les sexualités, les émotions et la phénoménologie des perceptions. Les critical medical humanities y occupent une place importante.

La constitution de l’autre – « altériser » – est également au cœur des travaux conduits au LinCS et amène à questionner aussi bien la construction des identités que les raisons des conflits et des crises. Elle interroge les notions de frontières, de migrations, d’opposition entre nature et culture, ou entre humain et non-humain.

L’étude de la déviance porte quant à elle sur notre rapport aux normes : que vivent les personnes désignées comme déviantes ? Comment les institutions les perçoivent-elles ? Qu’est-ce que cela implique en termes de droits ? « Dévier » a également un sens plus créatif, lorsqu’il s’agit d’imaginer de nouveaux modèles de société qui dévient des routes anciennement tracées ; tout particulièrement celles qui nous ont conduits dans les impasses des crises économiques, écologiques et sociales.

Au sein du LinCS, Anaïk Pian, directrice adjointe de l’unité, coordonne (avec Anne-Cécile Hoyez, chargée de recherche CNRS au sein du laboratoire Espaces et sociétés1 ) le programme OSFOSAM (Outils de sensibilisation et de formation : santé en migration). Porté par une équipe pluridisciplinaire (sociologues, épidémiologistes, géographes, médecins, sage-femmes), il a pour objectif de développer des outils ayant une double portée en matière de sensibilisation et de formation sur les enjeux de santé en migration et l’accès aux soins des personnes migrantes. Financé par l’Institut Convergences Migrations (ICM) et s’inscrivant notamment dans la continuité de l’ANR Migsan Expériences de la santé et trajectoires de soins des populations primo-arrivantes en France (coordonné par Anne-Cécile Hoyez), ce programme cherche non seulement à déconstruire des stéréotypes autour de la santé des migrants (liés à des approches culturalistes ancrées), mais aussi à faire prendre conscience des enjeux de langue et d’interprétariat ; autant d’enjeux liés à la place des proches, à la grossesse, à l’accès au droit, à la catégorisation des patients et à ses impacts sur le parcours de soin. Derrière cette liste non exhaustive, il y a la volonté de comprendre et de faire comprendre comment ces enjeux permettent de penser la construction des inégalités en matière de santé. Ces réflexions font l’objet d’ateliers participatifs rassemblant des chercheurs et chercheuses, des professionnelles de la santé, et des associations intervenant auprès du public migrant et, plus largement, en situation de vulnérabilité. En synergie avec la dynamique du laboratoire, qui cherche à « faire savoir » — et, donc, à diffuser la connaissance auprès du grand public — des capsules vidéos expliquant ces enjeux seront réalisées et hébergées sur le site de l’ICM.

En connexion avec l’actualité, le laboratoire s’inscrira également dans le calendrier sportif de l’année à venir, particulièrement dense jusqu’à la tenue des Jeux Olympiques de Paris 2024. Lauréat d’un projet Idex, Denis Jallat, historien du sport, s’intéressera à la manière dont les pratiques sportives sont utilisées pour poursuivre des visées sociales ou idéologiques. Associés au projet TEPAS (Territoire et patrimoine du sport) qui recense, contextualise, valorise et rend accessible le patrimoine sportif de la région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur, Denis Jallat et son collègue Sébastien Stumpp — lui aussi membre du LinCS — apporteront au public leurs éclairages sur l’histoire et l’actualité du sport en Alsace. À travers des conférences d’une trentaine de minutes et des échanges, il sera question de faire davantage participer la société civile, afin de favoriser l’émergence de nouvelles problématiques. La coupe du monde de rugby 2023 permettra, par exemple, d’interroger l’inscription longtemps incertaine de cette pratique en Alsace, de sorte à analyser une culture locale des corps et des sports qui porte aussi bien l’empreinte de la France que de l’Allemagne et du monde anglo-saxon.

Les historiens chercheront également à toucher le public des scolaires. En rentrant dans les écoles, ils espèrent montrer comment les pratiques sportives peuvent expliquer les histoires locales et, par là-même, comment ces « petites histoires » s’intègrent à la grande : quel a été le rôle du sport dans les annexions qu’a pu connaître l’Alsace ? Comment a-t-il aidé à pérenniser des relations entre les pays frontaliers ?

Des événements fédérateurs, associant l’INA et la Bibliothèque Alsatique du Crédit Mutuel, seront organisés dans l’année à venir : ils permettront de vulgariser une histoire complexe, en donnant la parole à des acteurs locaux, et participeront à la transmission des connaissances auprès du grand public.

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Champions d'Europe 1922, Barcelone © Archives privées As1881

Directrice de recherche CNRS, Sandrine Glatron dirige depuis 2016 la Zone Atelier Environnementale Urbaine (ZAEU), dispositif de recherche transdisciplinaire et interdisciplinaire sur les socio-écosystèmes de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), dont l’objectif principal est de co-construire des connaissances pour faire face aux enjeux environnementaux actuels et futurs dans une logique de développement urbain durable. Avec le soutien de multiples partenaires académiques et territoriaux, les équipes de la ZAEU observent, sur le long terme, les interactions entre les hommes et leurs milieux sur le territoire de l'agglomération strasbourgeoise. Sandrine Glatron porte le projet Solenville, programme de recherche participative qui vise à améliorer la connaissance des sols urbains de la région strasbourgeoise, tant en ce qui concerne leur biodiversité grâce à l’étude de la macrofaune et de la microfaune, qu’au plan de leurs qualités physico-chimiques2 . Ce programme a pour objectif de promouvoir les bonnes pratiques en matière de conservation et de régénération des sols et à jeter des ponts entre le grand public et le monde de la recherche scientifique. Sandrine Glatron coordonne également le projet Récolte, qui entend qualifier et quantifier l’autoproduction maraîchère dans les zones urbaines, pratique qui s’est considérablement accrue depuis le confinement, mais dont nous n’avons qu’une connaissance partielle.

Pour faire connaître les recherches qui y sont menées, le LinCS n’hésite pas à déployer des actions de communication et de médiation. Si Sandrine Glatron a notamment choisi le format jeu en créant un Dobble sur la macrofaune des sols, Jérôme Beauchez souhaite de son côté décupler la visibilité du laboratoire en développant la communication visuelle. Animé d’une véritable volonté de « faire savoir », nom donné à une rubrique du site web, le directeur du LinCS ambitionne d’utiliser des formats moins traditionnels que la seule publication scientifique pour diffuser les connaissances. Il a ainsi fait appel au vidéaste et réalisateur Cyril Podgorny pour créer des capsules vidéos de 7 à 10 minutes chacune, axées sur les recherches interdisciplinaires menées au LinCS. Ces capsules seront ensuite diffusées sur YouTube. Le ton parfois léger et badin adapte la forme à un nouveau public, mais ne cède rien sur le fond des arguments scientifiques. Pour transformer l’essai, la collaboration de Nicolas Meyrieux a été requise ; humoriste et youtubeur reconnu, il a notamment créé la web-série La Barbe. L’objectif du LinCS est donc clair : rendre les sciences sociales non seulement accessibles, mais disponibles pour plus grand nombre et transmettre les connaissances par le biais d’un regard neuf.

Le LinCS est un laboratoire héritier d’une histoire très riche, notamment par son emplacement géographique et les multiples transformations qu’il a connues. Aujourd’hui, son identité et ses objectifs se distinguent nettement de ceux du passé, comme en témoigne le dynamisme dont il fait preuve et qu’il met au service de ses nombreux projets. Avec cette volonté d’inscrire les études culturelles dans le paysage français, le LinCS prend une direction nouvelle et affirmée, avec un enthousiasme communicatif.

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Atelier « connaissance des sols » aux jardins familiaux Helenengarten, Strasbourg © Simon Marrou
  • 1Espaces et sociétés (ESO, UMR6590, CNRS / Le Mans Université / Nantes Université / Université d’Angers / Université de Caen Normandie / Université Rennes 2 / L’Institut Agro).
  • 2L’un des volets de cette recherche a été présenté dans une précédente Lettre de l’InSHS : Glatron S. 2023, À la découverte des sols urbains vivants : un programme de recherche participative interdisciplinaire à Strasbourg, Lettre de l’InSHS n°83 : 11-14. https://www.inshs.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/la-decouverte-des-sols-urbains-vivants-un-programme-de-recherche-participative

Contact

Jérôme Beauchez
Directeur du Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles