« Le monde en musée », cartographier les collections d’objets d’Afrique en France
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Créée par Claire Bosc-Tiessé, conseillère scientifique à l’Institut national d’histoire de l’art, responsable du domaine « Histoire de l’art du xvie au xixe siècle », directrice de recherche au CNRS au sein de l’Institut des Mondes Africains (Imaf, UMR 8171, CNRS / AMU / EHESS / IRD / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et réalisée avec les doctorants de l’INHA, la cartographie « Le monde en musée. Collections des objets d’Afrique et d’Océanie dans les musées français » est accessible en ligne depuis le 28 septembre 2021 et est mise à jour au fil de l’eau.
Remédier à la déshérence des études historiques sur les objets d’Afrique
Cette cartographie a été conçue dans le cadre du programme « Vestiges, indices, paradigmes : lieux et temps des objets d’Afrique xvie - xixe siècle » qui s’attache, depuis septembre 2017, à réinterroger les pratiques et méthodes de l’histoire de l’art à partir des objets africains. Il s’agit ainsi de mettre en place des outils conceptuels et pratiques pour pallier la déshérence d’un champ dans les institutions d’enseignement et de recherche en France, comme dans le monde de manière plus large.
Cette base de données sous forme de cartographie a ainsi été pensée comme un instrument pour poser les bases d’une meilleure connaissance des collections d'objets d’Afrique en France et favoriser le développement des recherches sur ces artefacts et les sociétés dont ils sont issus. Elle rassemble aussi des éléments pour des recherches futures sur la constitution des collections et les processus d’acquisition, en indiquant les archives afférentes conservées dans les musées (inventaires anciens, carnets de voyage des acquéreurs, etc.) et en répertoriant donateurs et vendeurs.
Décrire des fonds et tracer leur histoire
L’enquête a recoupé les informations fournies par les bulletins de musée et de sociétés scientifiques régionales, les catalogues d’exposition et les études académiques, et celles des bases de données en ligne des musées, nationales, régionales ou municipales, complétées par une consultation des responsables de collection. Quand cela a été possible, elle s’est doublée d’une analyse des inventaires des musées.
Pour résultat, la cartographie présente des fonds d’objets : elle décrit rapidement le musée pour mieux cerner la place qu’y occupent les collections d’objets africains ou océaniens et les raisons de leur présence à tel ou tel endroit. Elle détaille l’histoire de la collection depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, mentionne ses objets phares ou méconnus et évoque ses spécificités. Autant que possible — les informations ont rarement été préservées et le récolement de ces collections est souvent encore en cours —, la cartographie donne des informations sur le nombre d’objets conservés, leur typologie et leur origine géographique.
Actuellement, cette cartographie comprend 246 musées : 108 institutions comptent des collections provenant d’Afrique et d’Océanie, 116 des objets africains uniquement et 21 des objets océaniens seulement. Pour le dire autrement, 224 musées possèdent des objets africains — 218 en réalité si on soustrait de ce nombre les musées disparus mais décrits pour tracer la trajectoire muséale des fonds —, et 129 des objets océaniens. Cette liste a vocation à s’allonger. Effectivement, la consultation des musées se poursuit, car beaucoup d’autres comprennent certainement quelques objets d’Afrique, peut-être plus rarement d’Océanie, mais de belles découvertes importantes sont encore possibles. En témoigne la redécouverte de collections méconnues comme celles du musée Saint-Remi de Reims, qui a consacré une exposition à ce fonds durant l’été 2021, ou celles du musée des Ursulines de Mâcon et du département des arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France. D’autres musées se créent : la collection des époux Cligman a, par exemple, fourni le fonds du musée d’Art moderne qui a ouvert en mai 2021 dans l’abbaye de Fontevraud.
Dans les années qui viennent, l’accent sera mis sur les institutions disparues afin de mieux suivre, notamment, l’histoire des collections au xixe siècle et pendant la période coloniale afin de remonter au plus près de l’acquisition des objets et cerner plus finement l’évolution des mentalités et des politiques relatives à ces objets.
Une série de billets, intitulée « L’Afrique en musée », a été lancée en novembre 2020 sur le blog Carnet d’Afriques. Actualité de la recherche en histoire de l’Afrique avant le xxe siècle, pour présenter les collections plus longuement, les mettre en lien avec d’autres documents conservés ailleurs et ce, de manière illustrée, ce qui n’est pas le cas dans la cartographie.
La cartographie donne non seulement une vue par collection, mais aussi une vue d’ensemble à l’échelle du territoire national d’autant plus importante que des ensembles ont souvent été répartis entre plusieurs lieux. Elle entend ainsi rassembler les éléments pour permettre des recherches plus approfondies sur les visages du patrimoine africain tel qu’il est conservé dans les musées en France et qui seront examinés, notamment, lors des prochaines Rencontres des études africaines à Toulouse en juin 2022.
Faire l’histoire des visions du monde mises en place dans les musées
À cette cartographie des collections d’objets d’Afrique, s’ajoute une base de données similaire consacrée aux objets d’Océanie, qui poursuit l’annuaire des collections océaniennes en France, réalisé par Roger Boulay pour le ministère de la Culture à partir de 2004, et pérennise aussi l’ « annuaire Kimuntu des collections extra-européennes françaises et des personnels associés » développé au musée d’Angoulême entre 2008 et 2014 par Émilie Salaberry-Duhoux, aujourd’hui directrice du Musée d’Angoulême, Musée du Papier, Archives Municipales, Artothèque (MAAM), et qui a ici pris en charge la partie océanienne. Le choix de cette double base de données est en partie pragmatique : il s’agissait de mutualiser les moyens pour des projets sur ces régions non occidentales qui ont du mal à voir le jour. Toutefois, les collections d’Afrique et d’Océanie sont décrites dans des fiches séparées. Effectivement, les traiter ensemble ne fait pas sens pour l’histoire des sociétés dont elles proviennent ; les traiter en parallèle montre, en revanche, comment les musées les ont associées dans les mêmes catégories — « ethnographie » d’abord, « extra-occidental » plus récemment — et pose ainsi des jalons pour une histoire comparative.
Par ailleurs, la description des fonds est attentive à signaler la manière dont les objets et leurs lieux d’origine ont été décrits lors de leur acquisition afin de préparer des recherches plus approfondies et détaillées sur les diverses réceptions de l’objet venant de l’étranger depuis le xixe siècle. Il s’agit ainsi de créer un corpus à partir duquel réinterroger l’histoire des objets comme les différentes catégories, principalement sociopolitiques, stylistiques et auctoriales, employées à travers le temps pour les décrire.