Les migrations internes et internationales en contexte de changement climatique au prisme du genre

Lettre de l'InSHS International Sociologie

#À L'HORIZON

Chargée de recherche CNRS au Laboratoire PRINTEMPS - Professions, Institutions, Temporalités (UMR8085, CNRS / Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), Nina Sahraoui conduit des travaux sur l’articulation des questions migratoires et de genre. En 2022, elle est lauréate d’une bourse ERC Starting Grant : son projet — GENDEREDCLIMATEMIG - Migrations internes et internationales en contexte de changement climatique au prisme du genre — entend mettre en lumière un phénomène qui reste occulté dans les catégories administratives et statistiques disponibles à ce jour.

Pourquoi avez-vous postulé à l’ERC ?

Les financements ERC permettent de développer et de tester de nouvelles idées, et cela est très précieux pour se sentir autorisée à explorer de nouvelles directions, certes à partir des recherches précédentes, mais en allant bien au-delà en termes d’objectifs scientifiques poursuivis. Les thématiques que je souhaitais explorer appelaient à un projet d’envergure, une collaboration en équipe et le format des projets ERC permet précisément de mettre en place une recherche collective reposant sur une collaboration étroite entre tous les membres du projet. La réalisation de cas d’études comparatifs requiert en effet de permettre des enquêtes longues, menées de manière autonome, mais en forte synergie et les financements ERC Starting Grant rendent possible la mise en place d’une équipe dédiée à la conduite d’un projet en commun.

 

Les migrations climatiques vont se multiplier dans les années à venir et votre projet se propose d’en éclairer les ressorts au prisme du genre. En quoi la dimension du genre joue-t-elle un rôle dans ces migrations ? Est-ce suffisamment pris en compte par les politiques internationales et nationales existantes ?

Les rapports de genre façonnent à la fois qui peut partir et dans quelles conditions, et aussi comment s’organise la vie pour celles et ceux qui ne partent pas. Si les femmes sont aussi nombreuses que les hommes en migration au niveau mondial, beaucoup de réalités migratoires sont très genrées et les inégalités de genre façonnent les parcours et les expériences des personnes en situation de migration.

Dans mes recherches précédentes, j’ai pu constater par exemple le rôle absolument central des violences de genre, qu’il s’agisse des causes mêmes de la migration, des expériences de violences vécues en route, ou des violences auxquelles sont exposées les femmes exilées qui se trouvent dans une grande précarité socio-administrative dans des contextes européens, que ce soit aux frontières ou dans les grandes villes. Certaines dispositions des régimes de migration et d'asile, a priori neutres, peuvent en outre exacerber les inégalités de genre. C’est le cas par exemple des conditions attachées à la réunification familiale qui peuvent accroître la dépendance des femmes mariées à leur conjoint puisque leur statut administratif dépend dès lors de ce lien conjugal.

Pour en venir à mon projet, à un moment où les migrations en contexte de changement climatique sont encore très rarement reconnues dans les dispositions législatives nationales, mais commencent à être discutées dans les sphères internationales de gouvernance des migrations, il semble crucial de pouvoir mieux appréhender la manière dont les facteurs environnementaux et les inégalités de genre s’articulent et quelles en sont les implications pour les personnes en migration. Le projet s’intéresse notamment à plusieurs régions de départ particulièrement affectées par ce qu’on appelle les effets à action lente du changement climatique, comme les sécheresses qui touchent les régions agricoles.

Nous savons par ailleurs que si le sort des femmes a fait l’objet d’une attention croissante au sein de la communauté internationale — ONU Femmes a aujourd’hui plus de dix ans par exemple —, la prise en compte des inégalités de genre dans toutes leurs dimensions, en pensant également les rapports de pouvoir qui sous-tendent ces inégalités, relève toujours d’un travail en cours ; c’est ce que souligne la critique contenue dans la formule add women and stir qui vise à pointer du doigt les limites d’une simple addition discursive des « filles, femmes et minorités de genre » aux instruments existants et la nécessité d’une réflexion plus profonde autour des conditions politiques et sociales qui produisent certaines formes de vulnérabilité.

 

Quels conseils donneriez-vous aux chercheurs et chercheuses qui souhaitent se lancer dans la préparation d’un ERC Starting Grants ?

Tout d’abord de ne pas hésiter à se lancer, à explorer des idées nouvelles en sortant de sa zone de confort. Tout en ancrant le projet de recherche dans les savoirs et les expériences accumulés au cours des années qui précèdent la candidature à une ERC Starting Grant, il me semble que proposer des déplacements est important pour justifier d’un nouveau projet doté de moyens importants. Ces déplacements peuvent bien sûr prendre une multitude de formes selon les disciplines, les champs, les méthodologies employées, les thématiques et questions soulevées, mais c’est précisément à partir d’une connaissance approfondie de son champ d’ancrage que le chercheur ou la chercheuse qui souhaite candidater à ce type d’appel est à même d’identifier les déplacements les plus prometteurs en termes de production des savoirs. 

Il me semble aussi qu’il est important pour cela de chercher à se détacher des formes de structuration de la recherche qui peuvent varier d’un contexte national à l’autre et tenter de penser les questions de recherche de manière transdisciplinaire. L’idée étant de placer les problématiques qui animent le projet de recherche au cœur de la réflexion sans contraintes disciplinaires ou méthodologiques. Bien sûr les ancrages disciplinaires et la maîtrise de certaines méthodes constituent des atouts précieux, il est toutefois nécessaire à mon sens de chercher à penser les questions de recherche qui sont au cœur du projet de manière décloisonnée.

Et enfin de dédier du temps, autant que possible, pour la préparation du projet, quelques semaines sans autres obligations professionnelles, ou des périodes répétées de quelques jours, de la même manière que l’on dégage du temps pour rédiger un manuscrit. Un temps, autant que faire se peut, protégé des interruptions nombreuses qui fragmentent le travail d’écriture. J’ai bien conscience des inégalités que cela suppose : selon nos responsabilités familiales et nos circonstances personnelles cela peut être particulièrement difficile. C’est pourquoi l’ouverture récente de programmes de financement pour la préparation d’un projet ERC avec les projets  « Access ERC » de l’Agence Nationale de la Recherche me semble précieuse.

Contact

Nina Sahraoui
Chargée de recherche CNRS au Laboratoire PRINTEMPS - Professions, Institutions, Temporalités