Les sciences citoyennes au service de l’écologie expérimentale : le projet PlastiZen

La Lettre Sciences des territoires

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Ingénieur de recherche CNRS en environnements géo-naturels et anthropisés, Arthur Compin s’intéresse à la caractérisation des systèmes aquatiques continentaux aux différents niveaux d’échelle géographique d’après l’analyse de leurs composantes biotiques et abiotiques. Chargée de recherche CNRS, Camille Larue mène notamment des recherches sur le devenir des nanomatériaux dans l'environnement. Tous deux sont membres du Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement (LEFE, UMR5245, CNRS / Université Toulouse III - Paul Sabatier / INP Toulouse). Maître de conférences et spécialiste des controverses sanitaires et environnementales, Saliha Hadna est membre du Centre d'étude et de recherche Travail Organisation Pouvoir (CERTOP, UMR5044, CNRS / Université Toulouse III - Paul Sabatier / Université Toulouse Jean Jaurès). Pierre Marty est volontaire en service civique à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier et détaché auprès du LEFE pour participer à l'animation du projet PlastiZen.

Les sciences citoyennes se sont récemment beaucoup développées en écologie. Cette discipline scientifique est propice aux interactions entre les organismes de recherche, la société civile et les citoyens dans la mesure où elle étudie des problématiques qui nous concernent tous et sont au cœur des préoccupations sociétales actuelles.

Ainsi, les citoyens sont de plus en plus sollicités pour réaliser des bilans instantanés sur des questions environnementales. Ils participent par exemple à l’état des lieux de la biodiversité en faisant des relevés de présence de différents organismes (programmes gérés par Vigie Nature en particulier). La problématique de la pollution plastique est l’un des douze problèmes environnementaux majeurs auquel notre société doit faire face, de nombreux projets de recensement des déchets plastiques ont vu le jour ces dernières années comme ReMed Zéro Plastique, Plastique à la loupe, Surfrider, Oceaneye, La Pagaie Sauvage. Mais le développement de projets de sciences citoyennes qui impliquent activement les citoyens dans la mise en place d’une démarche scientifique inscrite dans la durée et dont ils s’approprient le protocole expérimental pour répondre à une question de recherche en écologie reste limité.

PlastiZen, un projet co-construit en interne

C’est ce type de démarche que le Laboratoire Ecologie Fonctionnelle et Environnement (LEFE) a mis en place, en 2021, avec le projet PlastiZen dont le but est double :

  • acquérir des données sur la dégradation des bioplastiques dans le sol (mesures de cinétiques) et les facteurs l’influençant (texture du sol, pH, matière organique, facteurs climatiques) ;
  • sensibiliser le grand public aux enjeux de l’utilisation du plastique à usage unique.

Ce projet a été co-construit au sein de l’axe transversal au laboratoire dédié à l’« écologie fonctionnelle participative » au cours d’ateliers qui ont permis d’impliquer dans la réflexion quarante-cinq personnes tous statuts et métiers confondus apportant des regards et des compétences très diverses et complémentaires (pédologie, biologie, écologie, écotoxicologie, géochimie, télédétection). C’est lors de ces ateliers que la thématique de la dégradation des plastiques biodégradables dans le sol des jardins de particuliers a été retenue. La question de la pollution plastique est une problématique de santé environnementale qui touche tout un chacun en tant que citoyen et consommateur et la démarche participative des sciences citoyennes nous est apparue particulièrement bien adaptée pour traiter ce sujet. En effet, d’un point de vue environnemental, elle est efficace pour répondre à des questions écologiques à des échelles de temps et d’espace qui ne peuvent pas être couvertes par une petite équipe de recherche en laboratoire et elle permet ainsi d’étudier l’effet de gradients géographiques et saisonniers (par exemple, climatique, géologique, occupation des sols) sur le processus de biodégradation.

Le dispositif participatif

En pratique, les participants qui ont eu connaissance du projet par les réseaux sociaux ou d’autres médias de communication, s’inscrivent sur le site internet dédié. Nous leur envoyons ensuite par courrier un kit expérimental contenant des bandelettes de plastique biodégradable et conventionnel, du petit matériel pour évaluer certaines propriétés biologiques, physiques et chimiques du sol et une plaquette décrivant le protocole à réaliser (Figure 1). Les participants enterrent des sachets contenant les plastiques dans leur jardin en suivant les indications de la plaquette. Tous les mois, ils déterrent les plastiques, nous en envoient une photographie par mail, puis les remettent en place. Après trois mois, ils renvoient les échantillons ainsi qu’un prélèvement de sol au laboratoire pour des analyses complémentaires. Les coordonnées GPS de l’adresse des participants nous permettent d’associer aux échantillons des caractéristiques climatiques provenant de modèles météorologiques et extraites de couches d’informations géographiques. Le protocole est accompagné de deux questionnaires afin d’appréhender le profil des participants et les caractéristiques du milieu dans lequel ils réalisent l’expérience. Ces questionnaires remplis en début et en fin d’expérience permettent également d’évaluer l’impact de la participation au projet sur les habitudes de consommation des citoyens et leur perception de la problématique des déchets plastiques.

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Figure 1 : kit PlastiZen avec les sachets en nylon contenant les bandelettes de plastique biodégradable et conventionnel ainsi que des sachets de thé pour déterminer l’activité de décomposition microbienne des sols et le tube contenant les bandelettes de papier pH et le protocole associé

Les premiers résultats

À ce jour, 196 kits expérimentaux ont été envoyés aux citoyens, dont 108 ont mis en place l’expérience et renvoient des données. PlastiZen est déployé sur tout le territoire français et touche 47 départements pour le moment.

Les premiers résultats montrent une très grande hétérogénéité de la dégradation des bioplastiques dans les sols (et aucune dégradation des plastiques conventionnels ; Figure 2). En effet, après trois mois dans le sol, 42 % des bioplastiques n’étaient peu ou pas du tout dégradés alors que 37 % avaient totalement disparu. Les analyses statistiques ont permis de faire ressortir, en particulier, l’importance des températures et de l’humidité sur ces processus de dégradation (Figure 3). D’autres paramètres seront prochainement ajoutés à l’analyse pour avoir une vision plus détaillée des processus mis en jeu dans cette dégradation.

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Figure 2 : échelle de notation pour évaluer le degré de dégradation des plastiques.
Ces photos sont toutes issues des expériences des participants après un mois dans le sol,
ce qui représente bien l’hétérogénéité de la dégradation

 

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Figure 3. Analyse en composantes principales montrant la répartition des niveaux de dégradation (ellipses de couleur) des kits (symboles) en fonction de différents paramètres du sol (pH, granulométrie, activité microbienne) et climatiques (température et précipitations) au bout de trois mois d’enfouissement

En parallèle, la participation des citoyens a eu des répercussions intéressantes puisque beaucoup d’entre eux (77 %) ont partagé cette expérience avec leurs proches ou via les réseaux sociaux. Ils sont également 75 % à avoir cherché plus d’informations de leur propre initiative sur la thématique des déchets plastiques ; 23 % se disent plus sensibles aux projets de sciences citoyennes et tous serait prêts à participer à une nouvelle expérience. On constate enfin des changements dans leurs perceptions mais ce point demande à être plus approfondi via des entretiens semi-directifs avec les participants.

PlastiZen 2.0, l’interdisciplinarité

Des améliorations nous semblaient nécessaires pour permettre à PlastiZen d’être pleinement fonctionnel en replaçant le citoyen au cœur du projet et en lui donnant plus d’importance tout en permettant une meilleure collecte des données scientifiques. En particulier, l’aspect sociologique était, pour l’instant, mal pris en compte puisqu'uniquement considéré par des collègues écologues du LEFE dont ce n’est pas la spécialité. Le projet PlastiZen 2.0 financé par la Mission pour les initiatives trans­­sversses et interdisciplinaires du CNRS qui associe le LEFE et le Centre d’étude et de recherche Travail Organisation Pouvoir (CERTOP), par le biais de son axe « Transitions Écologiques, Risques, Innovations, Tourisme (TERNOV) » est un bel exemple de collaboration interdisciplinaire qui va permettre le développement de plusieurs aspects du projet initial. Ainsi, le CERTOP va analyser le projet PlastiZen comme un dispositif sociotechnique, afin de mieux comprendre les contours de cette configuration et d’en saisir les spécificités par rapport à d’autres configurations existantes (sciences citoyennes, expertise citoyenne, recherche-action participative…). De plus, le développement d’une interface numérique permettra une gestion simplifiée des interactions entre les chercheurs, chercheuses et les citoyens avec un meilleur suivi de l’expérience, de la participation et des échanges d’informations. La mise en place de nouvelles fonctionnalités donnera également aux participants plus d’autonomie dans le processus de production des connaissances en rendant possible le traitement par les utilisateurs des données qu’ils auront eux-mêmes générées et de celles générées par d’autres participants. Ce format de participation dépasse la « captologie citoyenne » puisque les citoyens participent à l‘interprétation des données. Cet outil permettra, enfin, d’assurer le partage avec les participants des résultats de l’expérimentation en particulier sous forme de cartographies (partage souvent négligé et constituant un point de déception mentionné par les acteurs de la société civile participant à ce genre d’expériences). L’intervention de l’analyse sociologique permettra à la fois d’étudier l’impact de PlastiZen 2.0 sur l’implication des citoyens à des enjeux sociétaux, et de saisir l’influence d’une telle expérience sur leur rapport à la science en général.

À plus long terme, le développement de capteurs low tech (à bas coûts) est envisagé en collaboration avec des collègues électroniciens et physiciens. Ils permettraient aux participants de s’équiper d’appareils autonomes pour mesurer eux-mêmes, en continu, des paramètres tels que l’humidité du sol et la température (pour l’instant estimées à partir de modèles météorologiques). Le projet PlastiZen évoluerait alors vers un nouveau degré d’expertise citoyenne et d’interdisciplinarité.

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