Les sciences du langage : quels défis pour demain ?
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Directeur de recherche CNRS au Laboratoire Parole et Langage (LPL, UMR7309, CNRS / AMU), Serge Pinto préside la section 34 dédiée au sciences du langage, au sein du Comité national de la recherche scientifique. Avec l'ensemble des membres de la section, il a souhaité engager un dialogue avec les directeurs et directrices d'unités de la discipline afin d’identifier conjointement les défis de demain en science du langage Il nous livre ici son retour d'expérience.
La rédaction du rapport de conjoncture est une étape importante lors du mandat des sections du comité national de la recherche scientifique (CoNRS). Ce rapport a pour objectif « d’analyser les enjeux actuels de la recherche et les perspectives ouvertes par les principales découvertes de leur discipline ou groupe de disciplines ». On voit dans cet objectif le terme de perspectives, qui vient compléter celui de prospective qualifiant le rapport des conseils scientifiques d’instituts du CNRS. Quelle est la différence entre les deux termes ? C’est très probablement une brève histoire de temps.
Si la prospective est le regard scientifique sur l'avenir, et la rétrospective le regard scientifique sur le passé, la perspective « serait le résultat des deux démarches conjointes qui aboutiraient à la finalité suprême qui est la compréhension du présent »1 . Perspective et prospective sont donc au cœur du rapport de conjoncture.
La section 34 du CoNRS, dédiée aux sciences du langage, s’est inquiétée de devoir répondre seule à l’ancrage — dans le temps et dans l’espace — de ses disciplines. Ainsi, nous avons contacté les directrices et directeurs d’unités rattachées de manière principale ou secondaire à notre section, pour les inviter à engager avec nous un dialogue collégial, afin d’identifier de manière commune non seulement les verrous et les obstacles, mais également les défis et les ouvertures auxquels notre communauté scientifique fait face. Forts de ces échanges, nous avons surtout souhaité être au plus proche de la réalité des laboratoires dans les constats et propositions dont nous nous proposons de rendre compte dans notre rapport de conjoncture. Et ainsi établir des éléments prospectifs — tournés vers l’avenir — que nous aurions établis ensemble.
Nous avons tout d’abord proposé aux directrices et directeurs d’unités de répondre à un questionnaire en ligne leur permettant :
- D’ancrer, d’une part, leur laboratoire dans la série de mots-clés — sous-disciplines des sciences du langage — associée à notre section et, d’autre part, d’en décrire dans les grandes lignes les positions théoriques et méthodologiques.
- D’identifier parmi ces sous-disciplines celles qui leur semblaient « en danger », et pour quelles raisons, comme : la diminution de la représentativité de ces sous-disciplines aux niveaux national et international, la diminution de leurs représentations dans l’enseignement, la perte d'attention/intérêt des institutions au regard de ces champs de recherche, le peu de financements pour de tels projets de recherche, etc.
- De partager avec nous s’ils avaient identifié avec les membres de leur laboratoire des thématiques/sous-disciplines nouvelles ou émergentes et qui, à leur avis, méritaient attention de la part de la communauté des sciences du langage.
- De nous communiquer s’ils avaient déjà élaboré ou bénéficié de stratégies spécifiques pour le développement de certaines thématiques/axes de recherche, et la (les) motivation(s) qui les a (ont) amenée(s) à identifier de tels axes, comme par exemple : la soumission/obtention de grands appels d’offre nationaux, européens, internationaux, chaires de professeurs junior, la proposition/obtention de coloriages de poste CNRS, la définition d’une politique scientifique de laboratoire sur les postes d’enseignants-chercheurs, etc.
- Une dernière partie de ce questionnaire permettait une rédaction libre concernant les possibles priorités thématiques que les laboratoires avaient pu identifier, et les aspects de prospective en sciences du langage qui leur semblaient important de partager, discuter, élaborer avec l'ensemble de la communauté.
Il nous a semblé que cette consultation a été bien accueillie, avec un taux de participation de l’ordre de 90 % concernant les laboratoires rattachés de manière principale à notre section, et 60 % pour les laboratoires rattachés secondairement. Les réponses à ce questionnaire nous ont donné des pistes de réflexion, d’interprétation, que nous avons pu, dans un deuxième temps, présenter aux directrices et directeurs de laboratoire lors d’une rencontre en présentiel. Cela a permis d’aborder plusieurs difficultés que l’on pourra qualifier de transversales, propres à l’ensemble des communautés scientifiques qui font face non seulement à des crises dépassant le cadre de leurs disciplines, mais également à des obstacles plus spécifiques aux sciences du langage, comme par exemple leurs impacts sociétaux.
Il nous a semblé que cette rencontre, qui a eu lieu le 25 septembre 2023, a elle aussi été bien accueillie, avec la présence ou la représentation de la quasi-totalité des laboratoires rattachés à notre section. Ceci est un premier résultat en soi : l’engouement pour l’événement atteste du besoin ressenti pour échanger autour de ces problématiques. En présence également du directeur-adjoint scientifique en charge de notre section, cette journée a permis de mettre des mots sur les obstacles, d’en identifier parfois la nature, et de les confronter aux réalités diverses des autres collègues. Le but commun était d’élaborer des perspectives dont le passé (la rétrospective) permet d’ancrer la conjoncture en sciences du langage — sa situation actuelle — dans un avenir à construire ensemble (la prospective).
L’interprétation de ces échanges, les résultats de cette consultation et de cette co-construction figurera dans le rapport de conjoncture de notre section. Mais au-delà de cette restitution, il s’est imposé à l’ensemble des acteurs la volonté de réitérer ces échanges, de prolonger ce dialogue et d’ancrer ce partage de manière durable dans le temps. Peut-être que finalement, la première conclusion que nous pouvons rapporter ici est le besoin pour les acteurs de notre communauté scientifique, du moins hic et nunc, de communiquer, d’échanger, de rassembler et de partager, et ce de manière régulière.
Que ces quelques mots viennent de la section 34, celle des sciences du langage, relèvera peut-être de l’évidence. Si cela va sans dire, cela va encore mieux en le disant.
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Notes
- Valaskakis K. 1975, Prospective, rétrospective et perspective : un essai de modélisation du temps, L’Actualité économique, 51(2) : 209‑228.