Matière Matérialité : le 36e congrès mondial du Comité International d’Histoire de l’Art (CIHA)

La Lettre Histoire Arts et littérature

#À PROPOS

Porté par le Laboratoire de Recherche Historique Rhône Alpes (LARHRA, UMR 5190, CNRS / ENS de Lyon / Université Grenoble Alpes / Université Lumière Lyon 2 / Université Jean Moulin Lyon 3), l’université Lumière Lyon 2, le Comité français d’histoire de l’art (CFHA) et l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), le 36e congrès du CIHA, organisé à Lyon du 23 au 28 juin 2024, a permis de réunir près de de 1 800 participants dont 800 intervenants, en provenance de plus de 60 pays. Évènement scientifique majeur de l’année 2024 pour la communauté internationale de l’histoire de l’art, il restera marquant dans l’histoire des congrès du CIHA par son ampleur et sa diversité.

Accueil des congressistes, 23 juin 2024 ©Lucas Sajot 

Les congrès du CIHA 

Fondé en 1873 à Vienne, le Comité international d’histoire de l’art est le plus ancien organisme international d’histoire de l’art. Il regroupe aujourd’hui plus de 40 pays membres. Son objectif majeur est de soutenir le dialogue entre les différentes communautés internationales de la discipline, avec pour mission principale l’organisation de congrès visant à stimuler les échanges. Depuis les années 1990, les congrès mondiaux se tiennent tous les quatre ans et s’attachent à promouvoir une histoire de l’art moins eurocentrée et plus attentive aux diversités linguistiques, économiques et thématiques de la discipline. Le congrès de Melbourne en 2008 sur le thème Crossing cultures a fait figure de manifeste. Depuis, l’alternance est encouragée entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud pour l’accueil de ces grands congrès, toujours centrés autour d’un thème fédérateur. Les dernières éditions ont eu lieu à Nuremberg (2012, The Challenge of the Object), Pékin (2016, Terms). Celle qui a précédé le congrès lyonnais a été atypique à double titre. D’une part, il s’agissait d’une manifestation conçue en deux volets complémentaires sur le thème Motion : Transformation, Migrations, dont la première partie prévue à Florence à l’automne 2019 devait trouver son prolongement à São Paulo, quelques mois plus tard, en 2020. D’autre part, la crise sanitaire a rompu cette continuité, contraignant les organisateurs brésiliens à reporter l’ouverture du second volet à l’automne 2022 et à mettre en place une formule hybride qui maintenait à distance la quasi-totalité des intervenants. Aussi, le congrès du CIHA à Lyon, dont les préparatifs avaient commencé dès 2017, s’est engagé dans un contexte qui a fortement évolué, entraînant de nouveaux défis. Comment redonner cohésion à la communauté internationale après la crise sanitaire ? Comment élaborer un congrès inclusif et équitable dans un contexte économique et géopolitique tendu ? 

Sept années de préparation, une organisation solidement structurée

Le projet d’organiser à Lyon le 36e Congrès du CIHA à Lyon, sur le thème Matière Matérialité a été initié, dès 2017, par Laurent Baridon et Sophie Raux, tous deux professeurs à l’université Lumière Lyon 2 et membres du LARHRA. La candidature lyonnaise fut approuvée par l’Assemblée générale du CFHA en janvier 2018, avant de l’être par le bureau du CIHA. 

La mise en place de plusieurs comités a permis d’assurer au congrès sa réalisation. Le comité de direction (CODIR) a été constitué de Laurent Baridon, Judith Kagan (ministère de la Culture), France Nerlich (INHA) et Sophie Raux, assistés de Coralie Guillaubez, secrétaire scientifique, et de Mathieu David, chargé de projet. L’ampleur de la tâche a nécessité le recours à un prestataire spécialisée dans les services évènementiels. 

Le comité scientifique international a conseillé le CODIR sur l’élaboration du thème, le choix des keynotes et la sélection des sessions en veillant à la diversité des approches, à l’inclusion de la jeune recherche, à la parité de genre et aux équilibres géographiques. Ce processus, fondamental pour garantir le haut niveau d’exigence scientifique du congrès ainsi que sa diversité et son inclusivité, aura permis de retenir 93 sessions sur les 180 soumises. 

Un comité de pilotage, présidé par Olivier Bonfait (Président du CFHA), a contribué à la mise en œuvre des aspects organisationnels. Enfin, un comité d’organisation, présidé par Damien Delille (université Lumière Lyon 2 / LARHRA) a été chargé de la mise en œuvre du programme culturel en relation avec les acteurs locaux et régionaux. 

Un thème fédérateur en prise avec les grands enjeux actuels

La thématique retenue puise aux sources mêmes de l’art et concerne la conception, la production, l’interprétation et la conservation des œuvres d’art de toutes les cultures et de toutes les époques. Récemment, les notions de matière et de matérialité ont donné lieu à d’importantes remises en cause théoriques et avancées méthodologiques qui justifiaient leur choix, en 2017, pour le congrès de 2024. Mais nul ne pouvait imaginer combien entretemps le monde allait changer, rendant ce thème d’autant plus pertinent et engagé : la pandémie a banalisé la dématérialisation des relations humaines et des pratiques de la recherche ; le développement de l'IA ravive à nouveaux frais le débat sur l'authenticité matérielle ; l'accélération de la crise climatique et la situation géopolitique mondiale soulèvent des questions urgentes : accès aux ressources, durabilité, conservation, musées et transition écologique, dématérialisation, destruction/reconstruction, guerre et patrimoine. 

Le public lors de la cérémonie d’ouverture, 23 juin 2024
© Pôle Image Animée et Audio, Maison des Sciences de l’Homme Lyon St-Etienne, CNRS

Ce thème était également propice au dialogue avec plusieurs champs des sciences humaines et sociales (anthropologie, archéologie, économie, politique, linguistique, philosophie, sociologie) ainsi qu'avec les sciences cognitives et sciences appliquées (physique, chimie). Il aura également permis de rassembler des communautés professionnelles encore trop souvent éloignées, celle de la recherche académique et celles des professionnels des musées et du patrimoine, tout en mobilisant également des artistes, designers et architectes. Au fil des 93 sessions, 14 tables rondes, 12 keynotes, près de 800 interventions auront permis un partage d’approches et de points de vue des plus stimulants. 

L’ambition internationale a été soutenue par l’engagement de grandes figures des mondes de l’art et de la culture. La conférence inaugurale a été prononcée par Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature. Des conférenciers de haut niveau ont abordé des notions clés du congrès, tels Éric de Chassey, Georges Didi-Huberman, Finbarr Barry Flood, Tim Ingold, Antoine Picon, Neville Rowley, Devika Singh, Gabriela Siracusano, Monika Wagner. Deux artistes internationaux ont également été invités à partager leur rapport à la matière : Sheela Gowda (Inde) et Jefferson Pinder (États-Unis).

Parallèlement, une riche programmation culturelle a permis de prolonger les échanges et les découvertes. Un salon du livre a réuni une quarantaine d’éditeurs nationaux et internationaux. Une trentaine de visites de musées et de sites patrimoniaux de la métropole lyonnaise a été proposée tout au long du congrès. En soirée, les échanges se sont poursuivis à l’occasion d’événements privilégiés organisés avec les musées, les fondations partenaires et le soutien de mécènes privés (visites de collections, performance artistique, rencontres avec des restaurateurs. A aussi été offerte une palette d’excursions dans la Région Auvergne Rhône Alpes, le 28 juin. 

Défis économiques, enjeux éthiques 

L’idée de proposer un congrès en mode hybride a été écartée d’emblée, ce qui peut paraître paradoxal à l’ère des crises sanitaires et de la transition écologique. Les raisons d’équité ont primé : ne pas laisser à distance celles et ceux en provenance de régions moins favorisées sur le plan économique et déployer d’importants efforts pour le financement de bourses de mobilité. L’organisation d’un tel évènement mondial, dans le contexte économique actuel, a constitué un défi de taille. Il aura fallu réunir 900 000 euros dont 250 000 fléchés en bourses de mobilité. Si les recettes propres ont permis de financer un tiers des dépenses, le budget a trouvé son équilibre grâce à des subventions publiques (ministères, collectivités territoriales, universités, CNRS) et au soutien de nombreuses fondations et mécènes privés, tant nationaux qu’internationaux, sans qui les objectifs de ce congrès exigeant n’auraient jamais pu être atteints. 

Les résultats scientifiques du congrès seront publiés sous la forme d’un volume proposant une synthèse des apports de chacune des 93 sessions. Enfin, la 37e édition des congrès du CIHA sera accueillie à Washington en 2028.

Orhan Pamuk prononçant la conférence d’ouverture, 23 juin 2024 © Pôle Image
Animée et Audio, Maison des Sciences de l’Homme Lyon St-Etienne, CNRS

Contact

Sophie Raux
Professeure d’histoire de l’art moderne, Université Lumière Lyon 2, Laboratoire de Recherche Historique Rhône Alpes (LARHRA)
Laurent Baridon
Professeur d’histoire de l’art contemporain, Université Lumière Lyon 2, Laboratoire de Recherche Historique Rhône Alpes (LARHRA)