Objets et instruments de l'interdisciplinarité : le CNRS et l'InSHS s'engagent

Lettre de l'InSHS

#ZOOM SUR…

Le 1er avril dernier avait lieu au siège du CNRS un séminaire de travail sur la place des SHS dans l’interdisciplinarité. Si cette dernière se déploie aisément au sein des sciences humaines et sociales, elle est plus délicate à mettre en œuvre entre ces dernières et les autres sciences. Or, les appels à participation visant « les SHS », les velléités de les intégrer au sein de consortia de plus ou moins grande taille, se multiplient, dans lesquels nos collègues peinent parfois à trouver leur place, à faire valoir leurs approches.

 

On ne peut que se féliciter de ces multiples mains tendues, tout en s’interrogeant simultanément sur les motivations de nos interlocuteurs. Pendant longtemps, les SHS ont constitué pour les sciences qui les sollicitaient une sorte d’emballage cadeau des réponses à appels à projet, de caution morale, que l’on se dépêchait d’oublier sitôt le projet obtenu. Nombre d’enthousiasmes ont été refroidis de cette façon, et une partie des chercheurs et chercheuses de l’ensemble des disciplines dites « SHS » reste traumatisée par ces expériences et refuse aujourd’hui de rejouer la même partition. D’autant plus au sein de grands projets nécessitant de travailler dans une urgence qui sied peu à nos disciplines.

Le contexte semble aujourd’hui pourtant assez différent. Certes, les chimistes, physiciens, biologistes ou ingénieurs qui se tournent vers les historiens, philosophes, anthropologues ou sociologues n’ont pas toujours une idée bien précise de ce que peuvent leur apporter « les SHS ». Certes, trop souvent la demande s’exprime encore maladroitement en termes de « communication », de la seule « science participative » ou de la fameuse « acceptabilité ». Mais la volonté de collaboration est bien réelle. Elle doit être travaillée pour persuader de la nécessité de placer les disciplines de l’institut en amont des projets, dès la formulation des problématiques, même dans les projets en apparence les plus techniques.

À bien des égards, le contexte social nous oblige à répondre à cette demande, et à mieux la devancer. Les défis posés par les limites de plus en plus palpables à l’habitabilité du monde imposent de développer des approches non seulement interdisciplinaires mais surtout fortement marquées par les disciplines des sciences humaines et sociales. Si nous sommes bien entrés dans l’Anthropocène, alors l’Homme qui est en quelque sorte le problème devra nécessairement être pris en compte pour définir les solutions.

L’InSHS entend prendre cette exigence au sérieux ; le séminaire du 1er avril a ainsi réuni des représentants de toutes les disciplines ainsi que de GDR, des directions adjointes d’instituts autres que l’InSHS, pour discuter des difficultés posées par les collaborations et des pistes possibles pour les surmonter. Ont été évoqués pêle-mêle et entre autres les difficultés de cette appellation fourre-tout de « SHS » alors que nos collègues se distinguent par discipline ;  la place de la conviction dans les choix d’engagement dans les projets ; l’importance du temps dans l’apprivoisement interdisciplinaire ; la peur de l’instrumentalisation ; le rôle de la condescendance, de la naïveté dans les échanges ainsi que celui de la posture de la minorité ; la place des écoles de pensée, celle de la formation, des doctorants, de l’évaluation ou encore de la carrière, le rôle des revues… De multiples pistes de travail sont ouvertes qui ne pourront toutes faire l’objet de dispositifs immédiats mais qui sont autant de guides pour l’Institut.

Ce zoom entend constituer l’une des actions susceptibles de donner envie de se lancer dans l’aventure des projets interdisciplinaires, et devrait être le prélude à des coups de projecteur réguliers sur les travaux menés en interdisciplinarité.

Nous avons choisi d’évoquer des façons différentes de travailler en interdisciplinarité — équipes, projets, réseau et revue — toutes soutenues, d’une façon ou d’une autre, par le CNRS dans le cadre de dispositifs variés. Ainsi, les équipes dites « Prime » sont des projets labellisés pour trois ans par la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS, et parfois financés par les instituts. Ils réunissent des membres d’unités mixtes de recherche relevant de deux instituts différents (au minimum), autour d’un projet donc interdisciplinaire. BIOLOOP réunit ainsi économiste et chimiste autour des polymères biosourcés, afin de comprendre les leviers et les freins à l’innovation dans le recyclage des plastiques.

Les appels à projet de la MITI sont également l’occasion de la constitution de projets interdisciplinaires, financés pour deux ans. Ne peuvent y candidater que des projets réunissant des chercheurs et chercheuses de deux laboratoires relevant de deux instituts différents. C’est PlastiZen qui est ici présenté, sélectionné dans le cadre de l’appel Sciences Participatives. Cette recherche associe sociologues et écologues, mais également biologistes, chimistes, géochimistes ou encore spécialistes de la télédétection, autour de l’analyse de la dégradation des bioplastiques dans le sol, analyse conduite à partir d’expériences réalisées par des citoyens volontaires. Les résultats vont porter à la fois sur les conditions de la dégradation des plastiques dans les sols et sur les conséquences de la participation des citoyens sur leurs pratiques et habitudes de consommation ainsi que sur leur rapport à la science.

Les prime|80 constituent un autre instrument d’interdisciplinarité, ces thèses réalisées sous la co-direction de deux chercheurs ou chercheuses relevant, toujours, de deux laboratoires d’instituts différents. C’est ici aux porteurs de PrésHuMer que nous avons choisi de demander de présenter leur projet : rendre compte de ce qu’est la présence humaine dans l’eau… Il s’agit de nous faire nous sentir comme des poissons dans l’eau, pour mieux appréhender tout ce que l’activité humaine peut avoir de sensoriellement perturbant pour le monde sous-marin, surtout dans une zone, le littoral marseillais, regorgeant d’activités industrielles, touristiques, ludiques, etc.

Plus pérenne, la constitution de Groupement de Recherche (GdR) peut permettre de soutenir, et ce pendant longtemps, des réseaux offrant à des chercheurs et chercheuses issus d’horizons différents la possibilité de travailler ensemble. Ainsi le GdR Magis fait-il discuter depuis plus de dix années géographes et informaticiens autour de l’acquisition, du stockage, de l’analyse, de l’interprétation et de la diffusion de l’information géographique, dynamisé par l’attention grandissante apportée à la question des données depuis quelques années ainsi que par le renouvellement constant du type de données disponibles en lien avec les évolutions technologiques. La dernière évolution du projet du GdR, avec l’intégration d’une perspective critique sur les sciences de l’information géographique, vient démontrer s’il en était besoin que pérennité peut rimer avec adaptation.

Enfin, nous avons posé trois questions à Didier Josselin sur le Journal of Interdisciplinary Methodologies and Issues in Science (JIMIS), qui entend répondre à un véritable besoin, régulièrement exprimé, de revues de publications des recherches interdisciplinaires.

Un zoom très riche donc, donnant non seulement à connaître des instruments différents par lesquels l’InSHS et le CNRS soutiennent l’interdisciplinarité, mais surtout à découvrir des projets et des échanges passionnants. Il n’entend pas forcer l’interdisciplinarité— la fameuse «injonction » — mais susciter la curiosité pour ce qu’elle peut produire et montrer le soutien que l’Institut est décidé à lui apporter.