Présentation et perspectives de la plateforme SHS Santé

Lettre de l'InSHS Sociologie

#ZOOM SUR...

Directeur de recherche CNRS à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux Sciences sociales, Politique, Santé (IRIS, UMR8156, CNRS / EHESS / Inserm / Université Sorbonne Paris Nord), Alexis Spire mène des recherches sur les transformations de l’État et sur la sociologie des inégalités. Il s’intéresse notamment au rapport que les populations gouvernées entretiennent à l’égard de l’État et de ses représentants, en étudiant les différences de pratiques et de représentations entre salariés du public et du privé en Europe. Depuis 2023, il coordonne la plateforme SHS Santé.

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People in dressing gowns crossing their arms to join hands with each other; a public service message about the need to know about AIDS by the National Association of Social Workers. Colour lithograph. Source : Wellcome Collection. Licence: CC BY-NC 4.0.

Créée à l’automne 2020 par le CNRS pour répondre aux défis soulevés par l’épidémie de Covid-19, la plateforme SHS Santé a vocation à impulser des collaborations entre plusieurs équipes de recherche travaillant dans le domaine de la santé. Toutes ses actions sont débattues et décidées par un comité de pilotage qui rassemble les représentants de plusieurs institutions d’enseignement et de recherche, pour les unes installées sur le campus Condorcet — l’Institut national d'études démographiques (Ined), l’École pratique des hautes études (EPHE), l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’université Sorbonne Paris Nord, l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle, l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis et l’université Paris Nanterre —, pour les autres situées à l’extérieur du Campus — l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) mais souhaitant s’inscrire dans cette dynamique. Après deux années de fonctionnement grâce à un budget dédié du ministère de la recherche, le CNRS a pris l’initiative de prolonger cette plateforme afin qu’elle poursuive son rôle de structuration inaugurée durant ses deux premières années de fonctionnement.

L’ambition de la plateforme est de donner une visibilité aux recherches sur la santé dans le domaine des sciences humaines et sociales sur le Campus Condorcet et au-delà et de permettre des collaborations avec d’autres disciplines, notamment la biologie, la médecine ou la santé publique. Les actions de la plateforme s’organisent autour de trois principaux axes :

  • analyse de la décision publique et de ses acteurs, à différentes échelles du territoire national et au niveau international, en particulier au regard des inégalités de santé ;
  • engagement des patients et du public dans l’organisation des services, l’élaboration des politiques publiques et la recherche ;
  • effets des mutations structurelles, notamment environnementales, climatiques, démographiques, sur la santé humaine (pathologies chroniques et infectieuses, pandémies récurrentes) et les modes de vies (production, consommation, mobilités, loisirs, etc.).

Dans ce dernier axe, sous la responsabilité de Marie Gaille puis d’Emmanuel Henry, la plateforme SHS Santé a déjà organisé plusieurs colloques : sur « Les effets de la pandémie de Covid-19 – Documenter, décrire, analyser », les 29 et 30 juin 2021 au Campus Condorcet ; sur les « Risques, crises et sciences humaines et sociales : vers des observatoires inclusifs santé-environnement-travail », du 24 au 26 octobre 2022 au Campus Condorcet ; sur « Santé environnement travail : des données à la preuve » (journée 1, journée 2), les 12 et 13 juin 2023 à Lyon.

Les ateliers de la Plateforme

Depuis le début de l’année 2024, toujours à l’échelle du Campus Condorcet, la plateforme SHS Santé organise une série d’ateliers de recherche ayant vocation à favoriser les échanges et les collaborations entre des équipes de diverses disciplines et institutions académiques, travaillant sur des thématiques communes. Il est demandé aux membres des équipes participantes de présenter les points suivants : la méthodologie de leur recherche, son originalité, les principaux thèmes, les éventuels résultats, les liens avec les autres disciplines des sciences humaines et sociales et avec les autres travaux sur la santé. Chaque séance est précédée d’un moment convivial autour d’une collation, ce qui permet aux différentes équipes présentes de mieux se connaitre et d’avoir un premier échange informel sur leurs activités respectives.

Le 5 février 2024, la première séance était consacrée aux travaux ayant pour terrain d’enquête le département de la Seine-Saint-Denis. Pascale Molinier, psychologue de l’université Sorbonne Paris Nord (USPN), et son équipe ont présenté un dispositif d’intervention et de recherche intitulé « La trame » qui a pour but d’accueillir « inconditionnellement » les personnes en souffrance. Anne Gosselin, chercheuse à l’Ined, a ensuite présenté une recherche communautaire réalisée avec deux associations d’aide aux personnes atteintes du VIH d’origine sub-sahariennes, avec une réflexion originale sur l’empowerment en santé, c’est-à-dire sur la capacité d’une personne à prendre le contrôle de tous les éléments qui touchent à sa propre santé. Audrey Mariette et Laure Pitti, enseignantes-chercheuses à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, ont ensuite présenté leur enquête sur la chaîne du soin à l’échelle d’une commune populaire de Seine-Saint Denis. Enfin, Giovanni Prete et Inès Labainville (USPN) ont présenté leur projet collaboratif sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes, les expériences du vieillissement et le travail de care à Aubervilliers. L’intérêt de cette séance a été d’aborder des questions rarement évoquées dans les séminaires académiques traditionnels, notamment sur l’opportunité et la façon de rémunérer les participants aux projets collaboratifs, sur les asymétries de pouvoir entre les équipes de recherche et les équipes associatives, et sur l’hétérogénéité des modes d’organisation du travail et de rapport au temps des chercheurs, chercheuses et des bénévoles. La séance s’est achevée par une discussion sur les différentes échelles d’analyse. Les équipes ont insisté sur l’intérêt d’analyser les enjeux sociaux au niveau territorial de la commune, voire au niveau infra-communal, tout en tenant compte des effets liés à la conjoncture politique plus large et aux transformations sociales qui touchent le système de santé.

Le 4 mars 2024, la deuxième séance était consacrée aux rapports entre l’organisation du travail et la santé. Malo Mofakhami, enseignant-chercheur à l’USPN, a présenté les concepts et les méthodes qu’il utilise pour une analyse socio-économique croisée des enjeux liés au travail et aux logiques de santé. Il a défendu l’intérêt d’une approche multidimensionnelle qui tienne compte de l’environnement du travail, des ressources qu’il exige et qu’il procure, et des différentes formes d’intensification du travail. Il a également souligné l’intérêt de réfléchir à l’articulation entre la qualité au travail et la notion d’exposome (c’est-à-dire l’ensemble des expositions d’un individu à des facteurs sociaux et biologiques pouvant affecter sa santé). Dans l’agriculture par exemple, l’usage de pesticides est un moyen de limiter la pénibilité physique de certaines tâches mais accroit parallèlement les risques pour la santé de celles et ceux qui y ont recours. Serge Volkoff, ergonome au Cnam, a ensuite présenté les évolutions individuelles des conditions de travail et de santé à partir des données recueillies par l’observatoire Evrest, un dispositif de veille et de recherche ayant rendu possible le suivi longitudinal de 8 000 personnes entre 2010 et 2017. On peut ainsi mesurer les évolutions substantielles des conditions de pénibilité au travail durant cette période. Enfin, Maëlezig Bigi, sociologue au Cnam, a présenté une analyse des pratiques de prévention des employeurs dans le domaine des risques psychosociaux. À partir des enquêtes « Conditions de travail », elle a pu montrer, à partir d’une analyse des correspondances, une opposition entre les dispositifs de prévention individuel et collectif. La discussion a porté sur la nécessité d’appréhender la santé à la fois comme facteur de qualité du travail, mais aussi comme un effet de la qualité du travail. Il a également été souligné l’intérêt d’utiliser des méthodes quantitatives qui puissent créer des passerelles entre des analyses individuelles et collectives. À l’individualisation des conditions de travail correspond désormais l’individualisation des questions de santé.

Ces ateliers se poursuivent jusqu’à la fin de l’année universitaire et les activités sur 2024-2025 sont en cours de finalisation afin de structurer durablement ces dynamiques autour des enjeux de santé.

La quantification des inégalités sociales de santé

La plateforme SHS santé s’est enfin engagée, en partenariat avec le projet Gendhi, dans l’organisation d’un colloque international consacré à la quantification des inégalités sociales de santé, qui aura lieu les 4 et 5 juillet 2024 sur le Campus Condorcet.

L’objectif de ce colloque est de réfléchir aux différentes façons de mesurer les inégalités de santé par le biais d’enquêtes statistiques et aux enjeux théoriques qui les sous-tendent, qu’il s’agisse des inégalités socio-économiques, géographiques, de genre ou ethnoraciales. L’enjeu est de rendre visibles les processus sociaux qui contribuent à ce que ces inégalités, inscrites dans les structures sociales, se traduisent voire s’amplifient dans les différentes étapes des parcours de santé : l’exposition aux atteintes à la santé, l’accès aux soins et la prise en charge par le système de soins.

Afin de faciliter la diffusion d’information autour de ces projets, un site internet Plateforme SHS Santé est maintenant en ligne. Il rassemble les informations sur la plateforme et sur les projets de recherche « Du Monde d’Avant au Monde d’Après »

Contact

Alexis Spire
Directeur de recherche CNRS, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux Sciences sociales, Politique, Santé (IRIS)